Brexit : un été dans le brouillard

, par Rémi Laurent

Brexit : un été dans le brouillard
Photo : CC0 Domaine public

Nous avions quitté Theresa May au début de l’été démissionnaire après plus de 2 ans et demi de tergiversations et renoncements. Incapable de faire approuver l’accord de sortie négocié avec l’Union européenne par la Chambre des Communes. Remplacée depuis par Boris Johnson au terme d’une élection interne au sein du parti conservateur britannique, rien n’a bougé sur le fond.

A peine arrivée au 10 Downing street, Boris Johnson s’est lancé dans une purge des Remainers et des partisans d’un Brexit « doux » pour nommer les Brexiteers les plus durs au Gouvernement. Mais, à peine installé, sa majorité se réduisait un peu plus, passant à un seul siège de majorité si l’on inclut le DUP, petit parti unioniste nord-irlandais. En effet, à la faveur d’une élection partielle au Pays-de-Galles, plusieurs partis souhaitant le maintien dans l’Europe, ont profité du scrutin pour envoyer un message à Boris Johnson en se désistant pour favoriser l’élection du candidat « Remainer » le mieux placé.

Fermeté de façade

La Chambre des communes en vacances, Boris Johnson a d’emblée choisi d’afficher une position ferme, refusant même de rencontrer ses homologues européens tant que le backstop, le fameux « filet de sécurité » qui doit garantir la paix entre les deux Irlande, ne sera pas aboli. C’est cependant oublier un peu vite que celui-ci a été demandé par les Britanniques.

Sans positionnement clair, sans alternative au backstop dont rien ne dit que la suppression lui garantirait une majorité à la Chambre des Communes, Boris Johnson a alterné les positions floues, les déclarations fracassantes et multiplié les menaces sur les engagements du Royaume-Uni pour trouver un accord de transition à la sortie du Royaume-Uni de l’UE. La dernière en date étant la menace de ne pas régler la facture du divorce, dossier pourtant déjà réglé.

Le Parlement suspendu

La date de sortie se rapproche et il n’y a toujours aucune solution quant à une sortie en bon ordre du Royaume-Uni de l’Union européenne. Peut-il d’ailleurs seulement en avoir une ? Boris Johnson en envoyant le Parlement britannique en congés plus longtemps qu’il n’est d’usage en ce mois de septembre traditionnellement marqué par les congrès de partis, a déclenché une tempête dans la classe politique britannique. Le speaker de la Chambre des communes, John Bercow parlant d’un « scandale constitutionnel ». Mais en est-ce vraiment un ?

Si l’on en juge l’émoi parmi les parlementaires et la population, oui. Mais si on prend un peu de recul, pas tant que cela. Le 27 mars dernier, la Chambre de Communes s’est exprimé sur 8 propositions alternatives sur des alternatives à l’accord de sortie négocié par Theresa May qui venait d’être une nouvelle fois rejeté. Sur ces 8 propositions, aucune n’a recueilli de majorité. Aucune !

Boris Johnson en mettant le Parlement britannique dos au mur tente de forcer la décision. On lui reproche une dérive dictatoriale alors qu’il ne s’agit pour lui que d’un « coup » non pas d’État mais un coup politique. Si sa manœuvre réussit, il sera parvenu à rassembler son camp par la peur. S’il échoue, le pays se dirigera vers des élections générales qu’il pourrait remporter en faisant valoir sa détermination à respecter la « volonté du peuple britannique ».

Guerre des nerfs

Dès le début, Boris Johnson a annoncé qu’il ne négocierait pas avec l’UE. Si depuis, il a mené quelques consultations et est allé rendre visite à Angela Merkel puis Emmanuel Macron, ces démarches avaient plus valeur de forme que de réelle volonté de négocier puisque, comme l’a encore réaffirmé Michel Barnier dans le Sunday Telegraph, le filet de sécurité en Irlande du Nord ou « backstop », initialement proposé par les Britanniques eux-mêmes, est le maximum de flexibilité que l’UE peut accorder à un pays non-membre.

La négociation étant dans l’impasse, il s’agit plus de tenter de trouver une solution réaliste mais de faire porter la responsabilité d’un échec à l’Union européenne. Rien de très surprenant, cette stratégie est utilisée depuis des années et a contribué à la carrière journalistique de Boris Johnson.

Celui-ci présente l’absence d’accord ou « no-deal » non pas comme le résultat de l’indécision et la division profonde de la classe politique britannique, incapable de prendre ses responsabilités, ce que le « no deal » est, mais comme le choix de l’Union européenne qui entendrait « faire payer » au peuple britannique son désir de retrouver son indépendance, sa souveraineté et de l’empêcher de reprendre son destin en main.

En politique, il ne faut pas oublier que le récit compte parfois autant si ce n’est plus que la réalité. Et pour Boris Johnson, c’est la faute à l’Europe même si, au final, ce sont comme d’habitude les britanniques les plus modestes qui paieront le prix le plus fort d’une sortie sans accord.

Avis de gros temps à la Chambre

A peine un mois après avoir été porté à la tête du parti conservateur britannique et donc, au poste de Premier ministre, Boris Johnson a voulu forcer le destin en tentant d’empêcher le Parlement de s’opposer à sa volonté de sortir du l’UE « quelqu’en soit le prix » [1] pour reprendre les mots de son illustre prédécesseur, Winston Churchill dont l’actuel locataire du 10 Downing street a écrit une biographie. La manœuvre a déclenché des manifestations monstres de Britanniques outrés par ce coup de force qu’ils considèrent comme une atteinte à la démocratie britannique tant du côté des Remainers que du côté des Brexiteers.

A ce coup de force, l’opposition à la Chambre des Communes a réagi en déposant une motion pour que le Parlement britannique reprenne la main sur le Brexit et impose à Boris Johnson une nouvelle extension du délai pour éviter une sortie sans accord. Le débat commençait fort puisqu’à peine Boris Johnson avait-t-il commencé son discours que Philipp Lee, élu conservateur de Brackwell (circonscription du Grand Londres) allait sous les yeux de tous, rejoindre les bancs de l’opposition et s’asseoir sur le banc des députés libéraux-démocrates actant ainsi physiquement son changement de parti. Une manœuvre effectuée en son temps par un certain… Winston Churchill (qui était lui aussi passé des conservateurs aux libéraux-démocrates en 1904). Malgré sa verve, Boris Johnson évoquant une capitulation face aux européens, celui-ci n’a pu éviter le naufrage. Si Jeremy Corbyn, chef du parti travailliste et grand partisan du Brexit, lui rappelait : « les Européens sont nos partenaires, pas nos ennemis ». Les coups les plus rudes sont venus de son propre camp.

Pas effrayés par les menaces soufflées de Dominic Cummings, âme damné de Boris Johnson, envers eux, les rebelles du parti conservateur, ont décoché leurs flèches. Dans un discours très policé, Kenneth Clarcke [2], à droite d’une Theresa May située pile dans le dos de son successeur, demandait à son Premier ministre : « Le PM peut-il confirmer que son évidente stratéqie est d’énoncer des conditions qui rende le Brexit sans accord inévitable ; d’être certain que la faute soit autant que possible rejetée sur l’UE et sur cette Chambre pour ses conséquences. Et ensuite, aussi vite qu’il le peut agir, le chiffon d’élections anticipées AVANT que les conséquences d’une sortie sans accord ne deviennent trop évidentes pour le public. Peut-on entendre des explications claires sur sa politique. […] et s’il poursuit dans sa voie et dans celle d’une sortie sans accord, que le Royaume-Uni entamera des années et des années de négociations avec les Européens et le reste du monde pour avoir de nouveaux accords de libre-échange et d’autres accords. Et s’il pense sérieusement que cette démarche lui permettrait d’obtenir de quelque autre pays du monde un accord de libre-échange qui ne serait-ce qu’à moitié aussi bon que celui que nous avons actuellement avec le Marché Unique. ».

Quelques temps plus tard, Antoinette Sandbach (@Sandbach), députée conservatrice d’Eddinsbury, évoquant la menace faite à l’encontre des députés conservateurs frondeurs qui uniraient leurs voix à celle de l’opposition pour contrer la suspension du Parlement décidé par Boris Johnson, rappelait que Jacob Rees-Mogg, leader de la Chambre des Communes (équivalent du ministre des relations avec le Parlement) a frondé plus d’une centaine de fois contre le Gouvernement conservateur (de Theresa May) : « Le ministre des relations avec le Parlement a frondé contre un Gouvernement conservateur et il a été récompensé par une place au Gouvernement (« on the front bench ») tandis que des députés qui n’ont jamais voté contre leur Gouvernement vont être exclus du Parti conservateur. En quels temps vivons-nous ? Je voterai pour ce texte. ».

Dominic Grieve, député conservateur déclarait : « Enfin, j’aimerai dire ceci : évidemment ce texte est souhaitable, totalement dans la ligne historique et les traditions de cette Chambre et une chose qui doit être adoptée pour éviter l’enfer d’un Brexit sans accord car il est certain que l’enfer suivrait [un Brexit sans accord]. » Puis citant Thomas More [3] « Sir Thomas More à qui l’on avait dit que c’est la mort qui l’attendait s’il opposait la volonté du Roi : « Ce sont là des histoires pour enfants ». Et donc s’il pense que la menace des whips [4] changera mon avis ou celui de mes honorables collègues, il peut toujours espérer. ».

Le texte passait dans la soirée avec 328 voix « POUR », 301 voix « CONTRE ». La Chambre des Communes s’étant opposée aux projets de Boris Johnson, on peut se demander quel accord celui-ci entend négocier avec l’UE. Philipp Hammond, chancelier de l’Échiquier sous Theresa May ayant rappelé peu avant le vote citant la Chancelière allemande Angela Merkel que celle-ci n’avait pas vu une seule proposition concrète britannique quant à un accord.

Une réalité corroborée par la décision de Boris Johnson de réduire de 75% la taille des équipes chargées de négocier un accord relatif à la sortie du Royaume-Uni.

“You ask what is our policy ?”

La stratégie du Premier ministre apparait maintenant pour ce qu’elle est réellement : inexistante. Boris Johnson, malgré ses déclarations concernant la conclusion d’un accord, n’a aucune intention de négocier quoique soit, ne fait pas la moindre proposition. Il cherche simplement à approcher le plus possible la situation du bord des falaises de Douvres pour menacer de jeter le Royaume-Uni dans l’inconnu ou plutôt dans les eaux de la Manche et tenter d’obtenir par la peur ce que Theresa May fut incapable d’obtenir par la négociation : un accord de sortie l’avantage unique du Royaume-Uni et d’énormes concessions de la part de l’Union européenne.

Mais le problème tant pour ce dernier que pour les députés britanniques est que, quelque soit, la décision du Parlement, l’UE aura son mot à dire et les 27 États-membres restant unis comme jamais dans un élan de survie du projet commun. Plus question de céder au chantage britannique lorsqu’il s’agit de son propre avenir.

Boris Johnson a annoncé que le Gouvernement déposerait un texte demandant des élections anticipées. Chose qu’il n’est pas sûr d’obtenir puisqu’il faudrait la majorité des 2/3 aux Communes alors qu’il vient d’être mis en minorité.

Notes

[1Discours de Winston Churchill devant la Chambre des communes du 04 juin 1940 « We shall fight on the beaches ».

[2Doyen de la chambre des Communes et très respecté. Il fut ministre sous Margaret Thatcher, John Major et David Cameron

[3Juriste et philosophe britannique, il fut Chancelier (ministre de la justice) du roi Henri VIII qui le fit exécuter pour s’être opposé à l’annulation de son mariage avec sa première épouse, Catherine d’Aragon, et à son mariage avec Anne Boleyn.

[4Parlementaires chargés de faire respecter la discipline de parti lors des votes.

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