Catherine Chabaud au One Ocean Summit : « Il faut que chacun prenne sa part »

, par Servane de Pastre

Catherine Chabaud au One Ocean Summit : « Il faut que chacun prenne sa part »
Catherine Chabaud, en décembre 2015 (source : Wikipédia Commons)

INTERVIEW. La ville de Brest a été le théâtre les 10 et 11 février derniers d’un sommet international sur l’océan, le One Ocean Summit. Des dirigeants d’une quarantaine d’Etats se sont retrouvés pour discuter lutte contre la pollution, impact du changement climatique sur les mers ou encore protection de l’océan. Un certain nombre d’engagements communs ont été adoptés. Nous revenons sur cet événement avec Catherine Chabaud. Ancienne navigatrice, maintenant eurodéputée (Renew) et particulièrement engagée sur les thématiques liées à la protection des océans, elle a participé au One Ocean Summit.

Le Taurillon : On va tout d’abord revenir sur le One Ocean Summit qui a eu lieu il y a une le 10 et le 11 février, à Brest. Etes-vous satisfaite de cette rencontre ?

Catherine Chabaud : Le One Ocean Summit était une opportunité formidable pour mettre enfin l’océan à l’agenda international et le rendre plus visible. C’est très rare les grandes conférences sur l’océan, - et quand je dis l’océan, je parle de tous les enjeux liés à la mer : les enjeux de connaissance, de préservation, de développement d’une économie bleue durable, et les enjeux de gouvernance.

Lors de l’ouverture du Congrès Mondial de la Nature, qui avait lieu en septembre dernier à Marseille, Emmanuel Macron et Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur de l’océan, des pôles et des enjeux maritimes avaient organisé une sortie en mer. Ils avaient invité Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, Charles Michel, président du Conseil européen et un certain nombre d’acteurs, experts sur les sujets maritimes, dont je faisais partie. On a pu discuter avec le « haut niveau européen » de l’importance de ces enjeux. Le One Ocean Summit s’est décidé à la fin de cette sortie en mer. On a ensuite été nombreux à proposer des sujets prioritaires, que ce soit sur la recherche, la science, les aires marines protégées, la surpêche, la transition énergétique des transports maritimes. Le travail a consisté à organiser, avant le Sommet, deux journées d’ateliers avec des panels étaient très internationaux. Ces ateliers permettaient une rencontre à haut niveau avec des parties prenantes de tous les continents.

J’ai participé à deux panels, qu’on a préparés pendant plusieurs mois, l’un sur la gouvernance mondiale de l’océan, et l’autre sur l’Europe de la mer. J’ai pu partager des convictions et lancer trois appels à l’action : la reconnaissance de l’océan comme un bien commun, un appel pour la création d’une GIEC de l’océan, et pour la création de ce qui pourrait ressembler à une COP Océan, une conférence internationale comme le One Ocean Summit qui déboucherait sur de véritables engagements politiques, en présence de la société civile et des acteurs économiques.

Justement en ce qui concerne ces engagements politiques, diriez-vous qu’il y a eu des avancées concrètes lors de ce One Ocean Summit ?

Des engagements ont été pris pour porter un traité international sur le plastique. La Commission européenne a lancé une coalition pour renforcer l’ambition dans le futur traité en négociation aux Nations Unies sur la préservation de la biodiversité en haute mer (négociation BBNG : Beyond Biodiversity National Juridiction). Cela fait dix ans que cette négociation est ouverte, elle a été retardée avec le Covid, mais on a besoin de ce traité. Un des quatre axes de ce traité concerne notamment les aires marines protégées.

Pour moi il y a un sujet qui a été une véritable avancée, c’est la création d’une coalition entre la France et la Colombie – pour l’instant l’Europe n’est pas dedans – pour la prise en compte de la restauration des écosystèmes marins et côtiers dans tout le marché carbone. Jusqu’à présent, la restauration des forêts est beaucoup plus à l’agenda et fait l’objet de transactions dans le marché du carbone. Les écosystèmes marins et côtiers sont en revanche assez absents. Il y a une marge de progression, il faut arriver à trouver des financements pérennes pour restaurer le carbone bleu (le carbone bleu regroupe trois écosystèmes majeurs des régions côtières et littorales, très productives en matière de captation de CO2 et de dégagement d’oxygène : les mangroves, les herbiers et les zones humides côtières). C’est un sujet que j’essaye de pousser au Parlement européen. J’espère que l’Europe se joindra à cette annonce franco-colombienne.

Vous avez appelé plusieurs fois de vos vœux à ce qu’il y ait une équipe dédiée à l’océan au sein de la Commission, un vice-président en charge des Océans, et une Union des Océans et pour un Green Deal plus « bleu ». L’Europe doit-elle être plus active sur les questions de l’océan ?

C’est effectivement l’appel à l’action que j’ai lancé dans l’atelier sur l’Europe et les Océans, en amont du One Ocean Summit. Ces dernières années, l’Europe s’est de plus en plus tournée vers la mer. Ça a commencé avec une directive sur la politique maritime intégrée, énoncée en 2007. Et puis il y a la directive sur la planification des espaces maritimes (2014). Ce qui est problématique c’est que la la mer est gérée en silo du côté de la Commission comme du Parlement européen.

La mer a d’abord été considérée par l’Union européenne pour sa compétence dans les domaines de la pêche et de la préservation avec les zones protégées Natura 2000 en mer. Le Commissaire européen en charge de l’Environnement, de l’Océan et de la Pêche ne s’occupe ainsi pas des énergies marines, du transport maritime, de la recherche océanographique, du tourisme côtier, ou du digital (plus de 90% de nos communications passent par des câbles sous-marins), etc. Mais la mer est un enjeu géostratégique, elle ne peut pas être traitée par un commissaire uniquement en charge de l’Environnement, de l’Océan et de la Pêche. Si on veut avoir une vision plus intégrée de ces sujets-là, il faut avoir un vice-président en charge des enjeux liés à l’océan ou avoir une « project team » dédiée à la mer, comme il en existe sur le digital et le climat.

Trouvez-vous du répondant du côté des institutions européennes et des citoyens européens de manière générale ?

Alors, j’ai un grand soutien du côté de la DG Recherche et Innovation, à la Commission. Il faut maintenant qu’avec mon bâton de pèlerin j’aille voir les différents commissaires. Dans le cabinet d’Ursula von der Leyen, je rencontre des gens qui trouvent cela pertinent. Du côté du Parlement européen on doit aussi faire la même démarche.

Quand je suis arrivée au Parlement européen, j’avais du mal à trouver ma place, à savoir dans quelle commission travailler : ce qui m’intéresse, ce sont les enjeux croisés. On avait déjà essayé de faire bouger les frontières entre les commissions en début de mandature avec mon collègue Pierre Karleskind (Renew), qui préside la commission pêche. On voulait faire évoluer la commission pêche en commission pêche, environnement et enjeux maritimes. Mais la commission pêche est restée très tournée vers la pêche.

Cela ne vous décourage-t-il pas ? Pourquoi la navigatrice que vous êtes a-t-elle décidé de s’engager en politique, au niveau européen spécifiquement ?

J’ai arrêté la compétition il y a 20 ans, et depuis, j’ai monté plusieurs associations, j’ai cofondé la plateforme Océans et climat, j’ai créé l’association « Innovation bleue », j’ai été au Conseil économique social et environnemental. J’ai été très engagée dans la société civile. Et j’ai refusé par trois fois depuis 2004 de m’engager politiquement au Parlement européen parce que je trouvais que j’étais très bien du côté de la société civile et que mon action était plus efficace de ce côté-là.

J’ai franchi le pas parce qu’on m’a convaincu de le faire. Et parce que l’océan n’a pas de frontière, et donc il y a énormément de sujets qui sont européens et même globaux. Et souvent au niveau global, c’est l’Europe qui parle au nom des 27. Donc si l’on veut accélérer la mise en œuvre de solutions pour mieux connaître l’océan, pour le préserver et pour le gérer durablement, le niveau national n’est pas suffisant. Il faut vraiment essayer de lever des verrous et d’accélérer la prise en compte au niveau européen et international.

Un engagement au niveau européen permettrait donc selon vous plus de coordination entre les États membres qui partagent des mers et de peser dans les négociations internationales.

Oui c’est ça. Mais pour l’instant, les États membres qui se déplacent individuellement pèsent plus dans les conférences internationales que l’UE elle-même. On a encore du boulot à faire. Par exemple sur la création d’aires marines protégées, l’UE est volontaire mais elle devrait prendre le lead. Il y a un sujet sur lequel elle essaye de pousser l’action au niveau international, c’est la décarbonation du transport maritime. Je suis moi-même rapportrice sur l’un de ces textes. Mais sur la lutte contre le plastique ou la préservation des océans en général, il y a des États insulaires, sud-américains comme le Costa Rica ou le Chili, ou encore des États du Pacifique qui sont plus volontaires. Je trouve que l’UE devrait être encore plus exemplaire sur certains sujets.

Qu’est-ce qu’il manque à l’UE pour être plus exemplaire ?

Que les citoyens européens, même quand ils n’ont pas de frontière avec la mer, comprennent qu’ils doivent tous leur survie à la mer, à condition que la mer soit préservée.

La moitié de l’oxygène que l’on respire provient des écosystèmes marins et côtiers. Un quart des émissions de CO2 est absorbé par l’océan. Ce dernier a absorbé 93% de la chaleur produite par le réchauffement climatique. Depuis le début de l’ère industrielle, s’il n’y avait pas eu la mer, l’atmosphère se serait réchauffée presque deux fois plus. Trois milliards d’individus trouvent en outre leurs ressources en protéines dans la mer, et l’on fabrique de plus en plus de médicaments à partir de ressources marines.

Et demain on va vouloir exploiter les minerais des grands fonds marins. L’enjeu va être de freiner cette exploitation tant que l’on ne connaît pas les écosystèmes des fonds sous-marins et d’arriver à mettre en place des conditions d’une exploitation éventuelle et durable. Je suis personnellement pour un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins. Cette disposition a d’ailleurs été votée au Parlement européen.

Une autre raison de mon engagement européen est le combat que je mène depuis quatre ans et demi pour que l’océan soit reconnu comme un bien commun de l’humanité. Ce sujet doit aussi être porté par l’UE.

Pourquoi au niveau de l’UE ?

Parce qu’elle doit porter le leadership. J’essaye également de convaincre des États membres. La France reconnaît aujourd’hui l’océan comme un bien commun par exemple.

Au travers de la notion de bien commun, on essaye de porter cette idée qu’avant la désignation des droit communs sur les ZEE et la liberté de navigation en haute mer, les Etats ont la responsabilité de préserver les océans. Mais cette responsabilité est partagée avec les collectivités, les citoyens, les entreprises. Il faut que chacun prenne sa part.

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