Colère agricole : dans le sillon du Pacte vert européen

, par Cassandre Cousin, Les Jeunes Européens Paris, Martin Samiez

Colère agricole : dans le sillon du Pacte vert européen
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“Il faut avoir 4 % de l’exploitation en jachère […] mettre des parcelles au repos alors qu’il faut produire toujours plus." - explique Sébastien Perrot, agriculteur dans la Drôme. La transition vers une production alimentaire durable, telle que promue par le Pacte vert européen, rencontre une résistance significative chez les agriculteurs européens. Les racines de cette colère agricole, nourries par les normes environnementales européennes, s’expliquent aussi en raison des choix politiques effectués par les États membres. Si le Green Deal alimente la crise agricole en Europe, d’autres éléments sont également à mettre sur la table.

Qu’est-ce que le Pacte vert européen ?

Le Pacte vert vise à atteindre la neutralité carbone de l’Union européenne d’ici 2050. Il comporte des objectifs ambitieux dans tous les secteurs, dont l’agriculture.

Au cœur de ce paquet législatif se trouve la stratégie "De la ferme à la table", qui établit des lignes directrices pour transformer le paysage agricole européen. Il s’agit notamment de réduire notre consommation de produits animaux, de limiter le gaspillage alimentaire, de diminuer le recours aux intrants de synthèse tout en promouvant une alimentation saine et durable.

Les racines de la colère agricole

Le Pacte vert européen comporte des règles contestées par les agriculteurs. Par exemple, l’obligation pour les exploitants de consacrer une partie de leurs terres à sa régénération ou de respecter des normes strictes en matière d’utilisation de pesticides sont perçues comme des entraves à leur activité. A ces contraintes écologiques s’ajoutent des revendications sociales et économiques. Les inquiétudes concernent l’impact des normes sur la compétitivité internationale des agriculteurs européens, le manque de soutien financier pour la transition vers des pratiques durables ou encore le rythme de travail des agriculteurs, alourdi par le cumul des tâches administratives.

Si l’Europe est montrée du doigt, les maux des agriculteurs sont multiples et prennent également leur source dans des mesures nationales. A titre d’exemple, des Etats, tels que la France, l’Italie et l’Allemagne, prévoient la suppression d’une fiscalité avantageuse pour le secteur agricole, notamment à l’égard des carburants, impliquant une hausse des coûts de production. D’autres ajoutent des normes environnementales en plus de celles de l’Union. Ainsi, les Pays-Bas prévoient d’introduire des mesures visant à réduire les émissions d’azote, tandis que la France légifère pour interdire l’utilisation des néonicotinoïdes sur son territoire.

A ces contraintes s’ajoutent les problématiques liées au réchauffement climatique (sécheresses, inondations, feux de forêts…) auxquelles les Etats d’Europe du Sud, tels que l’Italie, la Grèce, l’Espagne et la France, font face, entraînant des conséquences dramatiques sur les rendements agricoles. L’insuffisance des dispositifs d’aide mis en œuvre par les gouvernements pour compenser ces aléas sont dénoncés par les agriculteurs. La question des revenus est également prépondérante dans ces pays, où les agriculteurs estiment qu’ils ne peuvent pas vivre dignement de leur travail.

Les agriculteurs d’Europe de l’Est, dont la Pologne, la Bulgarie, et la Roumanie, dénoncent la concurrence déloyale exercée par les importations ukrainiennes, totalement exonérées de droits de douane depuis l’agression russe.

La diversité des revendications au sein des Etats membres est révélatrice de leur part de responsabilité dans la crise actuelle ; les agriculteurs sont certes confrontés à des problématiques communes à l’échelle européenne, mais également à des obstacles spécifiques à leur pays d’origine.

Adapter le Pacte vert à une agriculture qui voit rouge

Face à cette tempête de critiques, des ajustements sont opérés par la Commission européenne, tels que l’abandon de mettre en jachère au moins 4% des terres agricoles pour leur régénération ou de certaines propositions de règlement limitant l’utilisation des pesticides.

Ce ralentissement des mesures climatiques de l’Union européenne vise à apaiser les tensions politiques et permettre au secteur de s’adapter. Il ne s’agit nullement d’une suspension du Pacte vert. En effet, de nombreuses directives s’appliquent toujours. Ces directives devaient se durcir dans les prochaines années à travers de nouveaux quotas et de nouvelles échéances. C’est sur ce point que jouent notamment les institutions européennes. A titre d’exemple, la directive “IED” prévoit la réduction de polluants atmosphériques dans les grands élevages. Elle devait s’appliquer à de plus en plus d’exploitations mais s’avère finalement moins ambitieuse.

Notons aussi que dans un contexte d’élections européennes, les personnalités politiques préparent leur réélection. Cela se traduit souvent par des votes moins ambitieux, notamment sur les sujets clivants comme l’environnement. Si le manque de courage politique de certains est pointé du doigt, d’autres, comme le parti écologiste européen, font du renforcement du Pacte vert leur priorité pour le 9 juin prochain.

Afin de concilier la nécessité de la transition écologique avec la protection de l’agriculture européenne, d’autres solutions peuvent être envisagées. L’application de “mesures miroirs” par exemple, exigerait que la totalité des produits agricoles importés au sein du territoire de l’Union respectent les mêmes normes que ceux qui sont produits en son sein. Cependant, pour mettre en œuvre une telle proposition, il faudrait renégocier l’ensemble des traités de libre-échange. Une alternative serait d’élargir le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) au domaine agricole. Cela compenserait les déséquilibres de compétitivité découlant de l’application inégale des normes européennes

Modèle agricole : un changement nécessaire pour ce secteur prioritaire

La mise en œuvre du Pacte vert implique des changements majeurs de paradigme. Il est jugé inacceptable par le milieu agricole dès son annonce en 2019. Ces contestations ne sont donc pas nouvelles. Désormais, toute nouvelle contrainte venant de Bruxelles est associée, parfois à tort, au Pacte vert européen.

A ce changement de modèle économique s’ajoutent les conséquences du réchauffement climatique. L’agriculture est en première ligne face aux sécheresses, inondations et vents violents qui s’illustrent en Grèce ou en Espagne. A la fois bourreau et victime, l’agriculture contribue à la pollution et se trouve elle-même affectée par ses effets.

Les opinions partagées dans cette tribune n’engagent que celles de leur auteur. Elles ne sauraient en aucun cas être rattachées aux opinions du journal ou des membres de son comité de rédaction.

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