Commission Juncker : un bilan fiscal mitigé

, par Perrine Rossi

Commission Juncker : un bilan fiscal mitigé
« Justice fiscale ». Source : Flickr / crédits photo : Jeanne Menjoulet, Janvier 2019, Paris.

A l’aube de son mandat, Jean-Claude Juncker a fixé des objectifs ambitieux en matière fiscale. Si des progrès indéniables ont été réalisés en matière d’échange d’informations et de lutte contre l’évasion fiscale, les mesures d’harmonisation fiscale positive peinent à avancer.

La fiscalité peut difficilement se décrire comme un long fleuve tranquille. Elle est mouvante à l’heure de la globalisation et de la digitalisation, d’une complexité abyssale et agitée par des courants contraires en provenance à la fois des Etats membres aux intérêts contradictoires et de certains opérateurs économiques qui cherchent à éluder l’impôt. Jean-Claude Juncker a fait de la justice fiscale un leitmotiv dans ses discours de politique générale. L’Union européenne a-t-elle vraiment avancé sur le sujet au cours du mandat écoulé ? L’heure du bilan a sonné.

Fixer le cap fiscal

Dans son discours devant le Parlement européen prononcé à Strasbourg le 22 octobre 2014, Jean-Claude Juncker a présenté la question fiscale sous l’angle de l’équité au sein du marché intérieur. L’action de l’Union européenne devait se concentrer sur la lutte contre l’évasion fiscale qui crée des distorsions entre les opérateurs économiques. Le Président de la Commission alors fraîchement élu mis en avant quatre mesures concrètes : améliorer la coopération administrative entre les autorités fiscales nationales, harmoniser l’impôt sur les sociétés, créer une taxe sur les transactions financières et renforcer les règles européennes de lutte contre le blanchiment des capitaux.

Pour s’attaquer à ce programme ambitieux, la Commission Juncker partait avec un caillou dans sa chaussure dont elle ne parviendra pas à se débarrasser : l’adoption de mesures fiscales au sein de l’Union européenne requière l’unanimité (art 115 TFUE), or les conceptions et les intérêts nationaux diffèrent radicalement d’un Etat membre à l’autre.

Les mers trop calmes

La taxe sur les transactions financières et l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés sonnent comme deux vieilles rengaines, chantées bien avant l’entrée en scène de la Commission Juncker.

La première a fait l’objet d’une proposition de la Commission en septembre 2011. L’hostilité du Royaume-Uni et de la République Tchèque a entraîné l’échec des négociations à 27. Par la suite, la voie de la coopération renforcée a été tentée sans beaucoup plus de succès . Pourtant, les intentions de la Commission sont louables : assurer une meilleure répartition de la charge fiscale entre les secteurs de l’économie. En effet, le secteur financier étant exonéré de TVA, une imposition via une taxe particulière parait justifiée. Après plusieurs années d’enlisement des négociations, la taxe sur les transactions financières a refait son apparition sous une version moins ambitieuse en décembre 2018. Elle a été à nouveau discutée au sein du Conseil ECOFIN comme un moyen de financement du budget de la zone euro. La taxe sur les transactions financières ne comptera sans doute pas parmi les succès fiscaux de la Convention Juncker mais sont à blâmer certains Etats membres plus soucieux de protéger certaines de leurs structures financières que de trouver des moyens de financement de l’Union européenne.

Deuxième refrain constant des ambitions fiscales européennes : l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés pourrait être décrite comme un grand projet face à de nombreuses mauvaises volontés. La Commission Juncker a profité des vents favorables créés par les révélations des Luxleaks pour relancer en 2016 le projet d’une assiette commune pour déterminer l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne. Ce projet présente l’avantage d’une part, de s’attaquer frontalement au dumping fiscal entre Etats membres et d’autre part, d’offrir l’opportunité de consolider le patchwork que constituent les multiples directives ponctuelles sur des questions de fiscalité directe. Le Parlement européen l’a bien compris et a proposé d’intégrer les règles spécifiques à l’imposition des activités du numérique au sein des propositions de directives relatives à l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés. Encore une fois, les réticences au sein du Conseil sont à l’origine du blocage des propositions de directives. La présidence bulgare s’est engagée à avancer sur le dossier en proposant une feuille de route, à elle de jouer !

Les horizons atteints

S’il est un domaine dans lequel la Commission Juncker n’a pas ménagé ses efforts, c’est en matière de lutte contre l’évasion fiscale. L’accent a été mis sur une amélioration des échanges d’informations entre les Etats membres. La Directive 2011/16/EU a été amendée cinq fois sous le mandat de la Commission Juncker à la faveur du scandale sur les tax rulings. Les réformes ont mis l’accent sur la transparence en introduisant une information sur les comptes financiers détenus dans l’Etat membre donnée à l’Etat de résidence. En outre, une base de données recensant les fameux rulings fiscaux conclus par des personnes morales avec les Etats membres a été créée. Ces accords qui ont défrayé la chronique lors des Luxleaks permettent à des entreprises de fixer auprès de l’administration fiscale d’un Etat « tax friendly », la méthode d’évaluation des prix de transfert. Ces accords sont à l’origine de transferts de bénéfices injustifiés. L’obligation de transparence à la charge des entreprises a également était renforcée avec une obligation de déclaration pays par pays (country-by-country report) que doivent désormais produire les grandes multinationales. Cette déclaration vise à déterminer notamment pour chaque Etat membre où la société opère son chiffre d’affaires, ses bénéfices, l’impôt sur les sociétés payé. La transparence a été étendue à l’actionnariat avec l’obligation de déclarer le bénéficiaire effectif des bénéfices distribués par une société.

Le dernier aspect des multiples réformes est le plus contesté par les professionnels de la fiscalité. Il s’agit de la directive dite « sur les intermédiaires » qui vise à obliger les conseillers fiscaux, les comptables et les juristes à déclarer les montages potentiellement agressifs qu’ils conçoivent. Une base de données centralisée recensera ces déclarations.

La Commission Juncker s’est également attaquée directement aux montages permettant les transferts artificiels de bénéfices à travers les directives ATAD I et ATAD II. Plus techniques, ces textes fixent cinq règles anti-abus que les Etats Membres doivent appliquer pour lutter contre la planification fiscale agressive.

Ajouter une escale à la traversée fiscale

La Commission Juncker a lancé un chantier d’ampleur : adapter la fiscalité à l’économie numérique. Le 21 mars 2018, la Commission européenne a publié ses « Digital Economy taxation proposals » qui contiennent une petite révolution : l’établissement stable numérique. L’idée est de définir des critères permettant d’imposer les géants du numériques qui spéculent sur les données des Européens sans être imposés dans les Etats où leurs services sont utilisés. Dans ce paquet de réformes figure exactement la taxe GAFA, taxe basée sur le chiffre d’affaires qui vise à imposer certaines activités du numérique à savoir les contrats de publicité utilisant des données personnelles (type Facebook) et la mise en relation entre acheteurs et vendeurs (type Uber). Si les propositions ont le mérite de mettre sur le devant de la scène un sujet qui s’enlise au niveau de l’OCDE, on peut se demander si l’approche minimaliste en matière de réforme de l’impôt sur les sociétés ne revient pas à colmater les fuites, alors que le modèle de la fiscalité internationale basé sur la territorialité est en train de sombrer…

Si l’on s’arrête aux quatre points cardinaux fixés dans le programme initial de la Commission Juncker, le bilan est mitigé : succès en matière de lutte contre l’évasion fiscale, enlisement sur les questions d’harmonisation et de taxation des activités financières. Une explication simple à ce succès contrasté concernant les quatre objectifs fixés en 2014 peut se trouver dans le fait que l’ensemble des Etats membres bénéficient économiquement de la lutte contre l’évasion fiscale. Ils ont donc tous intérêts à s’entendre et adopter rapidement les propositions de la Commission pour contrer la créativité en matière de planification fiscale agressive. En revanche, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés ne ferait pas que des heureux... Il semble que le dumping fiscal a encore de beaux jours devant lui, tant que la règle de l’unanimité règne en maître !

Pour aller plus loin : Rapport détaillé de toutes les mesures fiscales prises au niveau de l’UE et international en 2018 : https://issuu.com/cfetaxadviserseurope/docs/cfe_eu___global_tax_policy_developm

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