Concurrence de la droite aux élections européennes : le CRE et l’ENL désignent leurs Spitzenkandidaten

, par Bastian De Monte, Traduit par Lorène Weber

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Concurrence de la droite aux élections européennes : le CRE et l'ENL désignent leurs Spitzenkandidaten
Jan Zahradil, candidat tête de liste du CRE pour les élections européennes de 2019. © European Union 2018 - Source : EP (Genevieve Engel)

Emboîtant le pas au Parti Populaire Européen et aux Sociaux-Démocrates, deux des groupes de droite du Parlement européen ont également choisi qui les mènerait aux élections européennes en mai prochain : l’eurodéputé tchèque Jan Zahradil et le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini.

En vertu du système des Spitzenkandidaten (légalement non contraignant), chaque parti politique européen présente un candidat qui pourrait prendre la tête de la Commission européenne si le parti remporte le plus de sièges au Parlement européen. Après la nomination du candidat de centre-droit Manfred Weber et du social-démocrate Frans Timmermans, les eurosceptiques ont également pris leur décision : Jan Zahradil entre dans la course pour les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE), alors que Matteo Salvini représentera l’Europe des Nations et des Libertés (ENL). Les forces anti-européennes défient les partis traditionnels, et une chose semble déjà être sure : la droite connaîtra des changements significatifs.

Le CRE et son Spitzenkandidat Zahradil

Le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens composent actuellement le troisième groupe le plus important au Parlement européen, avec plus de 70 membres issus de 19 pays de l’UE. Il s’est originellement formé après avoir fait scission du Parti Populaire Européen, en raison des positions plus critiques de ses membres vis-à-vis de l’UE. Plutôt favorable aux entreprises, le CRE a exprimé son ressentiment vis-à-vis de l’euro, est partisan de la réduction de l’intervention gouvernementale (« faire moins mais mieux »), et défend la souveraineté nationale ainsi que l’immigration contrôlée. Actuellement, le groupe est principalement composé du Parti conservateur britannique et du parti Droit et Justice (PiS) polonais, mais comporte également des membres du Parti populaire danois et des Vrais Finlandais, ainsi que quelques apostats de l’AfD.

Le candidat tête de liste choisi par le parti est Jan Zahradil, eurodéputé tchèque de 55 ans et diplômé en chimie, qui a participé à la pacifique Révolution de Velours. Il a par la suite été parlementaire national pour le Parti démocratique civique (OVDS), auparavant force dominante de centre-droit du pays et également parti de l’ancien Président Václav Klaus (qui n’a jamais caché sa méfiance quant à une intégration européenne plus poussée). Jan Zahradil a été élu au Parlement européen après l’accession de la République tchèque à l’UE en 2004, et a été le leader du CRE entre 2011 et 2014.

Dans une tribune libre, ce conservateur a décrit la course entre les candidats du PPE Manfred Weber et Alexander Stubb comme « un choix entre du Coca Zéro et du Coca Light », et exige de véritables politiques conservatrices pour l’Europe. Alors que cela causerait probablement la renationalisation des compétences, faire de l’UE « le leader commercial mondial » semble pourtant également faire partie des priorités de Jan Zahradil. Mais bien qu’il ne fasse pas campagne en tant que Spitzenkandidat à proprement parler (étant donné la victoire très probable d’un candidat pro-européen, le CRE ne soutient pas officiellement le système), Jan Zahradil entend être celui qui « partira au front pour aider à façonner une UE pour les citoyens et non pas pour Bruxelles ».

L’ENL et son Spitzenkandidat Salvini

Encore plus à droite du spectre politique, l’Europe des Nations et des Libertés n’existe que depuis 2015. Il s’agit actuellement du plus petit groupe parlementaire, composé d’environ 35 eurodéputés, dont la plupart sont issus du Rassemblement National (anciennement Front National) de Marine Le Pen. D’autres membres notables sont la Lega italienne, le Parti de la liberté autrichien, et le PVV néerlandais de Geert Wilders. Ce groupe se concentre sur la souveraineté et l’identité nationale, et ses membres sont connus pour leurs déclarations anti-immigration, anti-euro et pro-russes.

Matteo Salvini, 45 ans, leader de la Lega et ministre de l’Intérieur de l’Italie, a été désigné pour donner un visage aux populistes d’extrême-droite pour les élections à venir. Cet ancien journaliste et parlementaire national, qui a également été élu au Parlement européen en 2004, est tristement célèbre pour avoir envisagé de restaurer la ségrégation raciale dans les trains. Et il n’y a pas grand-chose à ajouter.

Quelles perspectives pour les eurosceptiques ?

Les eurosceptiques progressent. Mais la formation d’un groupe unique, tel qu’envisagé par les leaders de l’ENL, apparaît peu probable au vu d’intérêts divergents et de réserves mutuelles entre les différents partis nationalistes, et du fait que le CRE, tout comme l’ENL, ont mis en avant leurs propres Spitzenkandidaten.

Néanmoins, les projections actuelles (novembre 2018) n’allouent que 48 sièges au CRE. Les Conservateurs britanniques vont tous quitter le Parlement européen suite au Brexit, et le Fidesz de Viktor Orban, malgré des liens amicaux, ne rejoindra pas les rangs du parti Droit et Justice polonais. Le groupe se retrouvera donc derrière l’ENL et même derrière le troisième groupe eurosceptique, l’Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe (ELDD).

Ce dernier, cependant, disparaîtra probablement suite au Brexit et à la perte des membres du parti UKIP. Un nombre significatif de membres actuels de l’ELDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe) sont également issus du Mouvement Cinq Etoiles : bien que les populistes italiens puissent s’attendre à gagner des sièges en mai, leur destin au sein du Parlement doit encore être décidé, étant donné que le parti mêle un euroscepticisme à des politiques plutôt de gauche. Un autre parti membre de l’ELDD susceptible de remporter des gains considérables sera l’AfD en Allemagne. Ses eurodéputés pourraient rejoindre l’ENL, ce qui en ferait le nouvel acteur de premier plan de la droite eurosceptique, réunissant jusqu’à 70 sièges.

Les Spitzenkandidaten s’inscriront-ils dans la durée ?

Le fait que ces groupes – bien qu’ils ne soutiennent pas le système des Spitzenkandidaten – aient nominé des candidats tête de liste malgré leur euroscepticisme, peut être considéré comme un signal positif pour la démocratie européenne. Avec de plus en plus de partis rejoignent le système de nommer un candidat tête de liste, le principe selon lequel la nomination du Président de la Commission européenne devrait être clairement liée aux élections au Parlement est renforcée, et donne aux citoyens au moins quelques choix.

Dans le même temps, les libéraux européens ne soutiennent pas le système, dans la mesure où il bénéficie au PPE et rend impossible pour leur candidat d’accéder à la Présidence de la Commission. Emmanuel Macron s’y oppose également, et son parti (La République en Marche) unira ses forces avec l’ALDE. Les libéraux peuvent ainsi s’attendre à redevenir le troisième groupe le plus important au Parlement européen, avec environ 90 sièges. Représentés au Conseil européen par sept chefs d’Etat et de gouvernement issus de petits Etats membres et de la France, ils veulent naturellement avoir leur mot à dire.

L’avenir du système des Spitzenkandidaten demeure ainsi incertain. Un remède potentiel – bien qu’il soit loin d’être incontesté au sein des fédéralistes – pourrait être l’élection au suffrage universel direct du Président de la Commission par les citoyens européens. Un tel scrutin amenant au second tour les deux candidats ayant remporté le plus de suffrages à l’issue du premier donnerait au candidat de l’ALDE ou d’un autre plus petit groupe une chance réaliste de l’emporter. Cela ne donnerait pas nécessairement davantage de pouvoirs au Président – cela est de toute façon très peu probable – mais aurait le mérite de donner un visage légitime à l’UE et un choix pour les Européens.

On peut ainsi se demander ce qu’il arriverait si un candidat eurosceptique atteignait le second tour : c’est un scénario que notre démocratie peut certainement supporter. Et en repensant aux élections présidentielles en France et en Autriche, ainsi qu’en considérant les projections mentionnées précédemment et le fait que la majorité des Européens croient encore en ce projet, nous pouvons avoir confiance en la victoire d’un candidat pro-européen.

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