Congo-RDC : Ce que l’annulation de la mission d’observation électorale de l’UE signifie

, par Louis Ritter

Congo-RDC : Ce que l'annulation de la mission d'observation électorale de l'UE signifie
Des électeurs parcourent les listes électorales dans un centre de vote (Collège Alfajiri) à Bukavu © MONUSCO, Flickr

Fin novembre 2023, l’Union européenne (UE) a annoncé l’annulation officielle d’une mission d’observation électorale (MOE) qu’elle devait mener en République démocratique du Congo, à l’occasion de l’élection présidentielle qui doit se tenir dans ce grand pays d’Afrique centrale ce 20 décembre 2023. Déjà très contesté, le scrutin risque de perdre encore plus en crédibilité. Pire, cette marche arrière alerte sur la progression démocratique de cet État de près de 95 millions d’habitants, en proie à des troubles incessants.

Les fonctions de la mission d’observation

Dans un monde soumis à l’assaut incessant des régimes autoritaires, un grand nombre d’organisations internationales et d’organisations non gouvernementales (ONG) pratiquent l’observation électorale dans des pays qui entament un processus de démocratisation de leur gouvernance et de leurs institutions. L’observation électorale est une mission qui consiste à envoyer sur le terrain où se déroulent des scrutins nationaux, des observateurs extérieurs pour juger du bon déroulement du processus électoral.

Pour se faire, ces organisations se basent sur un certain nombre de normes et de conventions inscrites dans la Déclaration de principes pour l’observation d’élections et Le Code de conduite à l’usage des observateurs électoraux. Deux textes établis par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 2005. L’objectif est de pouvoir assurer la population du pays hôte de la mission et la communauté internationale, de la légitimité d’élections libres, justes et équitables. Toutefois, les éventuels rapports négatifs des missions d’observation ne disqualifient pas forcément le scrutin.

Les organisations qui pratiquent cela sont pour beaucoup reconnues pour la qualité de leurs rapports et attendues sur le terrain de la démocratie. C’est le cas notamment des Missions d’Observation Electorale (MOE) conduites par l’Union européenne. Il s’agit d’un service d’action extérieure rattaché au Service Diplomatique de l’Union européenne. Les MOE sont des missions civiles, c’est-à-dire qu’elles ne concernent pas des actions militaires comme le maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme ou la piraterie, que l’UE pratique également. Elles couvrent au contraire des missions telles que la formation, l’assistance ou le conseil politique. Elles se déploient dans des États dits “fragiles” ou bien à la gouvernance défaillante.

Les faits en République Démocratique du Congo (Congo-RDC)

L’Afrique compte aujourd’hui un grand nombre de ces Etats. Selon l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ou le Fonds Monétaire Internationale (FMI), 26 et 28 États africains sur 48 sont considérés comme “fragiles”. Selon l’index du think tank américain Fund for Peace, cinq des dix Etats les plus fragiles du monde se trouvent en Afrique (dont le Congo-RDC). En matière de gouvernance, l’indicateur de la Fondation Mo Ibrahim, l’un des plus connus, ne compte que 10 États en Afrique considérés comme des démocraties parfaites ou presque parfaites. La grande majorité d’entre eux est qualifié d’ ”autoritaire”. C’est le cas notamment du Congo-RDC, immense pays d’Afrique centrale.

Le pays fait face à une échéance importante : le 20 décembre 2023, il organise ses élections présidentielles. La campagne a démarré le 19 novembre 2023 sur les chapeaux de roues. Félix Tshisekedi, président sortant élu pour la première fois le 30 décembre 2018, est candidat à sa propre succession. Un grand nombre de candidats d’opposition se sont manifestés mais peu sont considérés comme réellement viables. L’un d’eux a une aura particulière, le docteur Denis Mukwege, militant reconnu pour son combat contre les violences faites aux femmes et pour la reconnaissance des massacres commis dans l’est de son pays. Le Prix Nobel de la paix (2018) veut “réparer la RDC”, comme il réparait les femmes victimes d’excision. Un autre challenger sérieux est Moïse Katumbi, ancien homme d’affaires et gouverneur de la province du Katanga (sud-est), dont le principal combat est de rétablir la paix dans l’est du Congo-RDC. Plusieurs candidats moins importants se sont d’ailleurs ralliés à lui.

Coutumier des conflits armés, des coups d’État, des régimes autoritaires et encore en proie à de nombreux troubles, le Congo-RDC laisse place à un scrutin déjà très contesté par les candidats de l’opposition et la société civile. Les autorités du pays ont donc fait appel à une MOE de l’UE début novembre dont les rapports étaient très attendus. L’emploi du passé est de mise car le 29 novembre, l’UE annonçait officiellement l’annulation de la mission d’observation. En cause, “des contraintes techniques échappant au contrôle de l’UE”, a déclaré la porte-parole du service diplomatique de l’UE. Les services diplomatiques n’ont pas donné davantage de détails, laissant les commentateurs dans le flou.

Un problème de transparence

Les causes ont néanmoins sauté aux yeux des experts du pays et des analystes des relations UE/Congo-RDC. La première d’entre elles est d’ordre procédural. Une mission d’observation est obligatoirement demandée par le pays hôte et non imposée par les organisations internationales. Chacune de ces missions comporte un cahier des charges destiné à répondre aux besoins des observateurs pour mener leur mission à bien. Parmi les conditions, il y a le besoin de pouvoir rassembler les données électorales du pays afin d’effectuer les analyses sur lesquelles se baseront les rapports de la mission. Cela suppose de recourir à des moyens de communication en conséquence.

Or, dans ce cas, les observateurs de l’UE souhaitaient importer eux-mêmes du matériel de communication afin d’échapper aux potentielles coupures des transmissions durant l’élection. D’autres missions internationales avaient été témoins de tels événements ailleurs en Afrique. Des moyens qui échappent par conséquent aux services techniques des renseignements congolais, comme l’explique Bob Katamba, politologue à l’Université de Liège, dans un entretien à RFI. Les services diplomatiques européens avancent que les autorités congolaises n’ont pas donné le feu vert à l’importation de ce matériel. Pour se justifier, ces dernières expliquent n’avoir reçu la demande d’importation que le lundi 27 novembre 2023, alors qu’une équipe de quarante observateurs européens devait déjà se déployer au 1er décembre.

Dans la réalité, la raison la plus probable est que le pouvoir ne souhaite pas réitérer une erreur commise lors du précédent scrutin présidentiel. Durant les élections de 2018, les autorités n’avaient pas apprécié que la très influente Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) ait contredit les résultats officiels, déjà contestés, par ses propres analyses. L’organisation disposait alors de ses propres moyens de transmission.

En outre, un certain nombre de conditions préalables à la bonne marche d’une mission d’observation n’étaient pas réunies. Des doutes persistent sur le fichier électoral par exemple. Les Eglises protestante et catholique, premières garantes de la santé démocratique du pays, avaient d’ailleurs averti en mars 2023 qu’elles ne prendraient pas part à un scrutin biaisé par l’ingérence du pouvoir dans le processus. Ce danger avait déjà dissuadé l’Organisation Internationale de la Francophonie d’effectuer un audit du fichier électoral.

Le danger de l’insécurité

L’autre argument avancé par la diplomatie européenne est le souci de la sécurité des membres de la mission. Le Congo-RDC est en effet l’un des pays les plus gangrenés par les conflits armés. L’est du pays est particulièrement soumis à des violences de nombreux groupes armés depuis plus de trente ans. Dans ce pays parmi les plus corrompus d’Afrique, l’Etat est considéré comme “défaillant” dans cette région.

Ce pays de plus de 2 millions de km² possède le sous-sol le plus riche de la planète. On y trouve tous les minerais stratégiques comme le tungstène, l’uranium, le coltan (un minerai du tantale dont 75% des réserves mondiales se trouveraient au Congo-RDC) et des métaux précieux comme le diamant ou l’or. Ces ressources naturelles font l’objet d’une intense prédation par des groupes armés étrangers ou rebelles, voire des grands groupes internationaux ou d’autres Etats comme la Chine. En 2014, le groupe d’experts des Nations unies sur le Congo-RDC estimait dans un rapport que 98% de l’or produit dans le pays était exporté illégalement, soit plus de 10 tonnes par an. L’ONG Greenpeace dénonçait également dans un autre rapport en 2013 un “chaos organisé” et un pillage des bois tropicaux du pays. Un trafic qui tend même à financer des groupes terroristes comme les Chebabs de Somalie.

Ce désordre est le fait d’un contrôle absent de l’Etat du Congo-RDC sur l’est de pays, où pullulent les milices armées. En 2022, on dénombre pas moins de 120 groupes différents. Ils étaient 70 au début du siècle. Pour preuve du réel risque qu’ils présentent, il suffit de citer l’assassinat, par une bande criminelle, de l’ambassadeur italien au Congo-RDC en 2021. Son convoi fut pris en embuscade à une vingtaine de kilomètres de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu à la frontière rwandaise. Lui, son garde du corps et leur chauffeur Congolais furent tués.

Cette situation découle de nombreuses années de conflits qui font suite à la mort du dictateur Mobutu Sese Seko, qui a gouverné le pays de 1965 à 1997. Il est renversé par un coup d’Etat de groupes rebelles soutenus notamment par l’Ouganda et le Rwanda. Sa chute déclenche une spirale infernale de violence dans l’est du pays entre des groupes armés, mais également tous les États frontaliers qui cherchent à s’accaparer des ressources naturelles congolaises. C’est la deuxième guerre du Congo, qui s’achève par le traité de Sun City signé en 2002. Le retrait des armées étrangères n’arrête pas pour autant la violence. L’Etat ne parvient pas à rétablir son autorité dans la région. Les groupes armés prennent la place laissée vacante et continuent de semer la terreur. Elles commettent les pires atrocités souvent sous le regard des casques bleus de la Mission des Nations unies au Congo-RDC (MONUSCO), tenue en échec, et dans l’impunité totale. La mission a entamé son retrait à la demande du président Tshisekedi.

Moins de crainte pour le pouvoir, plus de peur pour la société civile

Dans la mesure où même les forces de sécurité congolaises sont incapables d’assurer leur propre sécurité, la décision des autorités diplomatiques européennes est compréhensible. Mais l’annulation de la MOE de l’Union européenne a des conséquences importantes pour la légitimité démocratique du scrutin et est le signe de profondes dissensions avec le Congo-RDC.

La présence d’observateurs internationaux pose souvent beaucoup plus de contraintes aux autorités du pays, s’agissant de la légalité du processus électoral. Les rapports de ces observateurs sont souvent très attendus et tendent à sanctuariser ou sanctionner le scrutin. Mais un avis négatif n’entraîne pas l’annulation de ce dernier. Il ne s’agit que d’observations que les autorités du pays autorisent à faire, sans tenir compte forcément de leur avis. En revanche, si le rapport est positif, les dirigeants n’hésitent à s’en emparer pour montrer la bonne foi de leur démarche et ainsi entrer en bonne grâce auprès des puissances occidentales notamment.

L’absence des observateurs de l’UE comporte ainsi le risque de manipulations accrues du scrutin, dans un pays encore loin de proposer un régime proprement démocratique. Certains organes congolais de la société civile vont tâcher d’assurer cette mission d’observation. C’est le cas des Églises protestante et catholique du pays, dont l’influence avait été déjà décisive en 2018, notamment pour repérer les bureaux de vote fictifs. Le collectif Regard Citoyen va également déployer 22 500 observateurs à travers le pays. Mais l’absence de contrôle direct des autorités sur une mission d’observation est garant d’une certaine indépendance des analyses. La mission européenne étant annulée, les autorités congolaises auront une plus grande facilité à agir sur les missions nationales. Par ailleurs, l’absence des observateurs européens pourrait avoir des répercussions sur les autres missions internationales mobilisées, comme celle de l’Union africaine (UA).

En outre, le choix de l’UE d’annuler sa mission d’observation est le dernier acte d’une série de différends avec Kinshasa. Le 27 décembre 2018, le gouvernement du Congo-RDC avait demandé à l’UE de rappeler sous 48 heures son ambassadeur dans le pays. Il s’agissait d’une mesure de rétorsion en réponse au maintien de sanctions européennes à l’encontre de 14 personnalités du régime de l’ancien président Joseph Kabila, accusées de violation des droits de l’Homme. Ces frictions se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement du Congo-RDC a longuement retardé l’accréditation du nouvel ambassadeur de l’UE dans le pays, qui devait succéder au Français Jean-Marc Châtaignier.

Le scrutin au Congo-RDC s’annonce pour le moins tendu. D’une part, il est déjà largement contesté par les protagonistes en raison de l’état du pays et de l’incapacité des services électoraux à assurer la bonne marche du processus. D’autre part, le retrait de la mission européenne d’observation et les alertes sur les mauvaises conditions de la séquence électorale tendent à indiquer un manque de transparence flagrant. Le Congo-RDC, à l’histoire autoritaire très récente, n’est pas encore en situation de basculer vers la réelle démocratie. Toutefois, une récente déclaration des services diplomatiques européens a annoncé le maintien de huit observateurs européens à Kinshasa, la capitale du pays, d’où ils analyseront le scrutin. Les résultats sont à suivre.

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