Contentieux gréco-turc en mer Égée : l’adhésion de la Turquie à l’UE s’éloigne toujours plus

, par Elsa Desloges

Contentieux gréco-turc en mer Égée : l'adhésion de la Turquie à l'UE s'éloigne toujours plus
L’ONU essaie tant bien que mal de résoudre le conflit chypriote / Crédits : Nations Unies

La Grèce est accusée d’avoir violé l’espace aérien de la Turquie. Après une courte période d’apaisement entre les deux pays, les tensions reprennent concernant les frontières gréco-turques. Recep Tayyip Erdoğan accuse la Grèce de violer les accords internationaux en militarisant les îles de la mer Égée, il menace ensuite le pays de payer un « prix élevé » s’il continue à ne pas respecter l’espace aérien turc.

L’histoire gréco-turque : entre tensions et volonté d’apaisement

L’histoire gréco-turque est marquée par des tensions, en particulier depuis l’indépendance de la Grèce en 1821. Depuis cette date, les deux pays ont été en conflit direct à quatre reprises : durant la guerre gréco-turque de 1897, les guerres balkaniques de 1912 à 1913, la Première Guerre mondiale entre 1915 et 1918 et la guerre gréco-turque de 1919 à 1922. L’adhésion simultanée des deux États à l’OTAN en 1952 leur donne le statut d’alliés. Ainsi depuis cette date les deux pays n’ont pas été en guerre directement, et une volonté d’apaiser les tensions a été observée chez l’un comme chez l’autre.

La première raison pour laquelle les deux pays souhaitent mettre leurs différends de côté est la volonté turque de rejoindre l’Union européenne. La Grèce est en effet un des partisans de l’adhésion de la Turquie à l’organisation européenne. Accompagnée de Chypre, elle a voté OUI en octobre 2005 pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Les deux parties souhaitent ensuite s’entendre en dehors d’autres organisations internationales : elles signent des accords de coopération économique en 2013.

En 2020, les relations entre la Grèce et la Turquie se crispent à nouveau, et la mer Égée devient un lieu de tension migratoire et géopolitique. Depuis, les deux pays franchissent régulièrement les frontières qu’ils contestent et le contentieux prend de l’ampleur.

La mer Égée : une délimitation polémique des frontières maritimes

Depuis plusieurs décennies la Turquie ne reconnait pas les frontières maritimes de la mer Égée. D’abord, la Grèce dispose de toutes les îles de la mer Égée, à l’exception de seulement deux, qu’elle reçoit suite à la guerre des Balkans et à la Seconde Guerre mondiale. La situation de certaines îles dérange puisque leur emplacement rend le partage de souveraineté injuste aux yeux de la Turquie. Le contentieux gréco-turc en mer Égée est le principal point de tension entre les deux pays depuis 1970, et a mené à des crises marquées par le rapprochement d’affrontements militaires en 1987 et en 1996.

Les gisements d’hydrocarbures, qu’on y découvre à la fin des années 2000, sont la cause de la question complexe des frontières entre la Grèce et la Turquie. La Grèce, Chypre et Israël se sont entendus début 2020 pour établir un projet de gazoduc avec le soutien de la Commission européenne, avec l’objectif qu’il desserve l’Europe directement sans dépendre de la Turquie. Ankara risque donc un isolement en matière énergétique concernant les ressources sous-marines de mer Égée, mais également un isolement diplomatique. En effet, l’Union européenne a soutenu la Grèce face à la Turquie, comme bon nombre de ses pays membres : la France et l’Italie lui apportent des aides militaires.

La Turquie riposte avec sa doctrine de la « patrie bleue » (Mavi Vatan), selon laquelle les îles ne donnent pas droit à une Zone économique exclusive et avec laquelle la Turquie se permet d’empiéter sur les eaux grecques et chypriotes. Les Turcs n’ont pas ratifié la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer et ne reconnaissent pas les frontières de la ZEE qui lui est attribuée, ils prétendent alors tracer leur propre frontière, et envahissent régulièrement les eaux turques.

La question chypriote dans le contentieux gréco-turc

Chypre fait partie du contentieux qui oppose la Grèce et la Turquie depuis les années 1950. Les Chypriotes grecs sont majoritaires sur l’île (ils représentent environ 80% de sa population), et les Turcs craignent que Chypre ne soit rattachée à la Grèce. Un compromis est adopté en 1960 : Chypre devient un État indépendant, les troupes grecques et turques restent sur l’île pour protéger leurs communautés, qui sont victimes de violences et de déplacements. En 1974, un coup d’État manqué avait pour objectif l’Enosis (le rattachement de Chypre à la Grèce), les tensions sont ravivées sur l’île avec notamment une augmentation de la présence des troupes turques. En 1983, la République turque de Chypre du Nord est proclamée mais elle n’est reconnue que par la Turquie.

Au début des années 2000, les deux pays sont prêts à se soumettre à des compromis – malgré les différends qui les opposent depuis plusieurs décennies, voire siècles – dans un objectif d’adhésion à l’Union européenne. Ainsi la Turquie ne peut plus menacer d’annexer la partie nord de l’île, et la Grèce semble disposée à s’entendre avec Ankara.

On reproche à la Turquie, lorsqu’elle est candidate pour intégrer l’Union européenne, d’occuper un des États membres de l’Union. En effet la république de Chypre englobe en principe l’île entière et elle est intégrée à l’Union européenne en 2004, alors que la Turquie reconnait la République chypriote turque et occupe du point de vue européen une partie de l’île sur laquelle les chypriotes sont souverains. Les défenseurs de l’inclusion de la Turquie à l’Union européenne soutiennent que cette annexion était le seul choix de la Turquie face à la menace de l’Enosis. Ils soulignent également que le pouvoir turc cherche des solutions. En 2004, les Nations unies proposent la création d’une république unie de Chypre constituée de deux États autonomes : un État grec au sud et un État turc au nord, qui serait gouverné par intermittence.

L’ONU prévoit que le chef de l’État soit turc quand le vice-président est grec et alternativement, elle propose aussi une Cour Suprême composée de membres des deux États et d’étrangers. Mais lors du référendum, les Chypriotes grecs rejettent majoritairement ce plan de réunification des Nations unies alors que les Chypriotes turcs votent en sa faveur. Michel Rocard souligne que « le fait que l’échec de ce plan soit venu de la communauté grecque, qui a voté non, rend difficile à la Turquie d’accepter de nouveaux sacrifices dans la négociation d’un autre compromis ». Ainsi la Turquie s’éloigne à la fois de sa volonté passée d’intégrer l’Union européenne, en même temps qu’elle semble de moins en moins disposée à discuter avec la Grèce.

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