« Coronabonds » : Eurobonds ? Augmentons plutôt la croissance potentielle grâce à l’épargne privée !

Double article « pour ou contre l’émission de coronabonds »

, par Eric Drevon-Mollard

« Coronabonds » : Eurobonds ? Augmentons plutôt la croissance potentielle grâce à l'épargne privée !
Image : ZDNet

La crise économique provoquée par les mesures de confinement et de fermeture des frontières a ressuscité la vieille idée de titres de dette communs aux pays de la zone euro. Si l’idée se conçoit dans une fédération putative, les divergences économiques et les blocages politiques aux torts partagés rendent son application hasardeuse voire préjudiciable à court terme. A brève échéance, l’urgence est plutôt de faire repartir la croissance, afin de remettre de l’huile dans les rouages politiques de l’Union. Pour ce faire, il serait judicieux de mobiliser les excédents d’épargne des pays du nord dans des projets européens qui augmenteront la croissance potentielle.

Les prévisions d’Eurostat prévoient une croissance économique négative de 7,5% pour la zone euro en 2020, toutes choses égales par ailleurs (donc sans prendre en compte les mesures d’entrave au commerce et à la circulation dans et en dehors de l’espace Schengen, maintenues malgré la fin du confinement, de « distanciation sociale » et d’interdiction de travailler pour des pans entiers de l’économie, notamment la restauration et le tourisme, qui feront sûrement passer ce taux sous les 10%...).

Devant la panique, les hommes politiques des pays du sud, notamment français, ont ressorti un de leurs marronniers favoris : des obligations émises par les institutions européennes, sur le modèle des bons du Trésor américain, nommées eurobonds (puis « coronabonds », histoire de culpabiliser les sceptiques).

Les eurobonds, un risque pour la cohésion européenne

Si le concept d’obligation fédérale n’est pas absurde dans une Union qui aurait parachevé sa construction politique, le moment est fort mal choisi : tous les pays européens souffrent économiquement, y compris les moins impactés et ceux qui avaient réformé leurs économies quand c’était le moment (pensons à l’Allemagne et aux Pays Bas).

Leur demander de payer (et se persuader qu’ils doivent le faire) n’est pas la solution. Ils souffrent aussi (certes un peu moins que la France et l’Italie), et le sentiment national européen n’a pas commencé à être construit. Le risque est donc de conduire à des blocages politiques et à des rancœurs des deux côtés qui peuvent disloquer l’Union Européenne.

Ne faut-il rien faire pour autant ? Les économies du sud sont au bord de l’effondrement, parce qu’elles étaient déjà fragiles et endettées avant la crise. Elles auront beaucoup de mal à se relever sans actions appropriées. Utilisons donc les bonnes ressources en les allouant vers des projets efficaces pour relever l’économie européenne.

La mobilisation de l’épargne européenne remédierait aux déséquilibres économiques

Quelles sont donc actuellement les leviers de croissance économique sur lesquels nous pouvons agir au niveau européen ? Une énergie bon marché, et une modernisation du capital physique des entreprises grâce aux innovations de la troisième révolution industrielle.

Ces leviers requièrent un financement. Certains partisans des eurobonds disent « oui mais on ne va pas mettre en commun les dettes futures, on va juste s’endetter pour des projets porteurs de croissance ‘socialo-localo-écolo-inclusive’ ».

Mais pourquoi diable créer de nouvelles dettes ? N’en avons-nous donc pas assez au niveau national, pourquoi en rajouter au niveau européen ?

De plus, l’Allemagne et d’autres pays bien gérés du nord de l’Europe ont des excédents d’épargne considérables, qui étaient investis dans les pays du sud jusqu’à la crise de 2008, mais qui a révélé qu’elle servait à construire des châteaux en Espagne (principalement de l’immobilier surnuméraire) au lieu de financer des activités rentables.

Forcément, après cette prise de conscience, les épargnants et les gestionnaires d’actifs sont allés placer leur argent à l’extérieur de l’Union Européenne, où ils étaient bien plus en sécurité malgré le risque de change...

La confiance entre le nord et le sud de l’Europe s’est évaporée, ce qui est une source d’inefficacité pour la zone euro, puisque les excédents d’épargne des Allemands ne financent plus des projets espagnols ou grecs.

En conséquence, la BCE se sent obligée d’intervenir en utilisant le Quantitative Easing pour éviter la hausse des taux des obligations d’État des pays du sud (ce qui rendrait insoutenable le financement des états et des acteurs privés) et pour aider leurs banques à assainir leurs créances. Les pays du nord en pâtissent à leur tour, parce que ces mesures font trop baisser leurs taux d’intérêts, qui deviennent même négatifs en terme réels, mettant les épargnants et les banques sous pression.

Comment remédier à ces dysfonctionnements ? Certainement pas avec des eurobonds :

 d’une part ils ne régleraient pas le problème de l’épargne des pays du nord, qui irait toujours se placer en dehors de l’UE ;

 d’autre part, ils feraient gonfler le volume des liquidités en euros, déjà surabondantes sur les marchés financiers, provoquant soit de l’inflation, qui appauvrirait l’ensemble des citoyens et les épargnants (dans l’hypothèse où on cloisonnerait l’Europe par des mesures protectionnistes, ce qui est désormais demandé même par des partis de gouvernement), ou alors créant des bulles sur le prix des actifs, porteuses d’instabilité financière. Ce qui préparerait à moyen terme, vu le niveau des dettes publiques, une prochaine crise économique encore plus grave (dans l’hypothèse où l’Europe ne prendrait pas trop de mesures protectionnistes).

Pour investir dans des projets qui nous aident à sortir de la crise économique, le plus simple et logique serait donc plutôt de canaliser l’épargne des pays d’Europe du nord vers des projets économiques rentables, donc sources de profits futurs, sur tout le territoire européen, particulièrement dans les pays les moins bien dotés du sud et de l’est.

Premier pilier : une énergie bon marché et durable

Un approvisionnement énergétique bon marché, constant, durable et neutre en gaz à effets de serre est nécessaire à la croissance européenne. La source la plus adaptée est l’énergie nucléaire. Les Chinois l’ont bien compris, puisqu’ils construisent près de 10 réacteurs par an, c’est-à-dire 100 en 10 ans, dont des surgénérateurs qui fournissent une énergie presque aussi durable que le solaire et l’éolien.

Les compagnies européennes d’électricité doivent donc pouvoir proposer des obligations à taux d’intérêt faible, garanties par la BEI, en échange d’investissements importants (après appels d’offre internationaux) dans la construction à grande échelle de réacteurs nucléaires, particulièrement celles qui opèrent dans les pays les plus pauvres et les moins bien équipés, à l’est et au sud.

La France a mis moins de 20 ans pour construire son parc nucléaire qui produit 75% de son électricité, il est donc possible de le faire dans toute l’Union Européenne. Cerise sur le gâteau : leur construction créerait des centaines de milliers d’emplois qualifiés et bien payés, dont les revenus viendraient renflouer les finances publiques dégradées des pays du sud.

Normalement les états-membres n’ont pas le droit de subventionner leurs entreprises privées pour des raisons de distorsion de concurrence au niveau européen, mais les énergies « vertes » sont exclues de cette disposition.

En complément de cette politique favorisant le développement du nucléaire sur tout le territoire européen, il faudrait rétablir les dispositions de droit commun pour les éoliennes, c’est-à-dire interdire aux états-membres de subventionner leurs entreprises nationales pour leur conception ou leur achat.

En effet, elles font baisser artificiellement le coût d’investissements non rentables : ces infrastructures sont en effet incapables de fournir une électricité constante, rendant nécessaire la construction de centrales au charbon ou au gaz qu’il est possible d’allumer rapidement en cas d’absence de vent. La conséquence : un coût élevé pour le contribuable. Il paye deux fois, par ses impôts, et par sa facture d’électricité qui augmente du fait de la baisse de la productivité des entreprises du secteur énergétique.

Second pilier : moderniser le capital des entreprises

Le retard de nombreux pays européens en matière de robotisation de l’industrie, qui progresse au niveau mondial, est un vrai problème. En effet, sa démographie en berne, qui entraînera à long terme des pénuries de main d’œuvre difficiles à compenser par l’immigration sans risque sécuritaire, et une productivité horaire à la traîne dans de nombreux états-membres, rendent nécessaire une modernisation de son capital physique, afin d’assurer la poursuite de la croissance à long terme.

Sur ce plan, l’Allemagne est la mieux placée en Europe, mais même là, quand on compare le taux d’équipement avec le Japon et la Corée du Sud, on constate un retard certain. Quant à la France et à certains pays de l’est, ils sont lourdement sous-équipés.

Moderniser le capital des entreprises est d’une importance capitale : en effet, nous assistons à une nouvelle révolution industrielle, avec sa grappe d’innovations centrée autour de l’Intelligence Artificielle, de la robotisation, des bio et nanotechnologies, ainsi que des appareils autonomes et connectés.

Manquer ce rendez-vous, c’est se retrouver dans la situation de l’Italie à la fin du XIXème siècle ou de l’Espagne au début du XXème siècle : dans une économie affaiblie avec une population paupérisée, qui a tendance à émigrer vers des contrées plus prospères. Si nous ne voulons pas devenir une colonie américaine ou chinoise, il faut d’urgence adopter et perfectionner les innovations de la dernière révolution industrielle !

Des obligations privées pour mobiliser l’épargne : vive les robobonds !

Il faut d’abord arrêter de chercher à réglementer l’IA et les robots, comme le Parlement européen y a songé il y a trois ans.

Ensuite, plutôt que de créer des eurobonds, créons des « robobonds » !

Ils seraient non une créance publique, mais un type d’obligation privée, d’une unique catégorie au niveau européen, avec des avantages spécifiques pour les épargnants, comme ceux qui concernent les Livrets A ou les Plans d’Épargne Logement.

Notamment, ces obligations pourraient être exonérées d’impôts sur le capital, sur leur revente et sur les successions, incitant les épargnants et les investisseurs institutionnels à y recourir.

Les entreprises qui les émettront auront enfin des allègements d’impôt sur les sociétés, la seule condition expresse étant qu’elles les utilisent pour s’équiper en robots industriels, en véhicules autonomes, en drones ou en Intelligence Artificielle.

Les eurobonds ne sont pas la bonne réponse aux enjeux politiques et économiques auxquels l’Union européenne doit faire face. En effet, les importants excédents d’épargne des pays du nord ne demandent qu’à s’investir dans des projets rentables à long terme en Europe.

Aux pouvoirs publics de donner le bon cadre réglementaire pour faire revenir la confiance des épargnants envers les pays du sud, en favorisant de bons investissements, sources de croissance sur le long terme et de bons emplois pour les citoyens européens.

Ce cadre prendrait la forme d’obligations privées qui mobiliseraient efficacement l’épargne des pays du nord vers la construction de centrales nucléaires et la modernisation du capital des entreprises.

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