Crise ukrainienne : la fin de l’euroscepticisme en Europe de l’Est ?

, par traduit par Delphine Gesché

Crise ukrainienne : la fin de l'euroscepticisme en Europe de l'Est ?

Euromaidan a déclenché une série d’événements dont personne ne pouvait prévoir l’immense impact sur le monde. L’Ukraine traverse une période de troubles, la Crimée a rejoint la Fédération de Russie, l’UE et les États-Unis ont imposé des sanctions économiques, et d’aucuns évoquent même le retour de la Guerre froide. La crise intervient au mauvais moment pour l’Union européenne. Nous nous remettons encore lentement de la crise économique, et l’euroscepticisme est plus fort que jamais, comme l’ont confirmé les élections européennes.

Tous ces facteurs mettent en danger le projet européen et son avenir. Fait surprenant, cette crise ukrainienne serait au final bénéfique pour l’UE. La peur de l’expansionnisme russe et de futures agressions ainsi que des flashbacks de l’ère soviétique ont provoqué en Europe de l’Est une hausse du nombre de voix en faveur du projet européen.

Étant donné que de nombreux pays d’Europe de l’Est avaient connu la domination russe pendant des décennies, nous étions tous très inquiets des événements en Ukraine. La Pologne et les pays baltes en particulier, qui ont sans doute vécu une des pires expériences de la domination russe, demandent la disponibilité opérationnelle de l’OTAN et des sanctions décisives de la part de l’UE. Par ailleurs, le scrutin et les hommes politiques montrent que du fait de la crise ukrainienne, le peuple a renforcé son soutien envers l’UE afin d’assurer sa propre sécurité. L’euroscepticisme en Europe de l’Est est en général plus modéré qu’en Europe de l’Ouest, et l’actualité a fait de l’ombre aux voix eurosceptiques.

Le plus grand retournement politique lors des élections européennes a eu lieu en Pologne. Avant le scrutin, on pouvait presque prédire la victoire de Jaroslaw Kaczynski, le président controversé et eurosceptique du parti Droit et Justice (PiS). L’élection devait se concentrer sur les problèmes nationaux et économiques, thèmes pour lesquels le premier ministre actuel Donald Tusk et sa Plateforme civique étaient donnés perdant. Cependant, les récents événements en Ukraine ont placé la Plateforme civique en tête, ce qu’ont confirmé les résultats du vote (32,1 %, même si le PiS n’est pas loin derrière avec 31,8 % et le même nombre de sièges – 19). Le parti a mis en avant son appartenance au Parti populaire européen (PPE), ce qui lui confère un réel pouvoir d’influence sur les décisions de l’UE, contrairement au PiS, qui appartient aux Conservateurs et Réformistes européens (CRE). La Plateforme civique a également obtenu davantage de soutien grâce au ministre polonais des Affaires étrangères Radek Sikorski, très visible sur la scène européenne depuis le tout début de la crise en raison de ses vives critiques à l’encontre de la Russie. Il s’agit également d’un des candidats sérieux au poste de Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Les Pays baltes, anciennes républiques soviétiques, partagent eux aussi l’inquiétude face à la Russie. En effet, si la crise ukrainienne venait à s’intensifier, ils craignent d’être la cible suivante du projet de réunification soviétique de Poutine. Les partis au pouvoir en Lettonie ont déjà annoncé l’augmentation de la part du budget allouée à la défense à deux pour cent du PIB ; des avions et des soldats de l’OTAN sont arrivés dans le pays, et l’éventualité de réinstaurer la conscription a été évoquée. D’après le directeur du cabinet de recherches SDKS, « De nombreux Lettons sont heureux de faire partie de l’UE et de l’OTAN car cela garantit leur sécurité face à la Russie ». Cependant, la minorité russe, importante car elle représente un tiers de la population lettone, n’a jamais vraiment été en faveur de l’UE et se sent plutôt liée à la Russie. Des sondages montrent qu’une bonne partie soutient même le rattachement de la Crimée. Néanmoins, les votes de cette minorité sont censés être divisés en quatre groupes ethniques, ce qui explique que, dans son ensemble, l’attitude de l’électorat envers l’UE n’ait pas connu de changement radical.

La crise en Ukraine n’a pas d’impact significatif sur les campagnes pour les élections européennes en Slovaquie et en République tchèque qui se concentrent sur les questions économiques et nationales. Ces populations ne se sentent pas particulièrement visées par la crise ukrainienne ni mises en danger par les actions entreprises par la Russie. Bien que la Slovaquie soit exposée aux graves répercussions économiques et politiques potentielles dues aux sanctions appliquées par l’UE à la Russie – nuisant ainsi aux exportations slovaques – et au transit de gaz russe vers l’Ukraine « dans le dos de la Russie », la population n’éprouve pas de ressentiment envers le gouvernement. La situation a été très bien décrite par le ministre slovaque des Affaires étrangères et européennes, Miroslav Lajčák : « L’euroscepticisme en Slovaquie n’est qu’un masque qui n’est pas et ne peut pas être expliqué par des arguments rationnels. Nous recevons de l’aide financière et les bénéfices de l’appartenance à l’UE. Le scepticisme n’est dû qu’à la crise économique, parce que les ressources à distribuer sont réduites ».

De manière générale, cette observation s’applique à la majorité des pays d’Europe de l’Est dont l’adhésion a entraîné bien plus de conséquences positives que négatives. Au sujet des plaintes eurosceptiques concernant le plus gros défaut de l’UE – la perte de souveraineté des États –, le journaliste du New York Times Timothy Ash déclare : « Le monde du 21e siècle sera un monde de géants. Dans un monde de géants, mieux vaut être soi-même un géant. » Ainsi, si les pays d’Europe de l’Est ne font pas partie du géant européen, ils pourraient bien être absorbés très rapidement par le Léviathan en pleine croissance de Vladimir Poutine.

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