« Despuei tugiù a curù russa e gianca » : histoire du drapeau de Monaco

, par Samuel Touron

« Despuei tugiù a curù russa e gianca » : histoire du drapeau de Monaco
Image par jorono de Pixabay

"Depuis toujours les couleurs rouge et blanche" flottent sur Monaco, et plus particulièrement ce 19 novembre, jour de fête nationale. Rendue célèbre par son casino et par ses taux d’imposition très avantageux, la principauté attire les oligarques et les milliardaires du monde entier certes, mais aussi des travailleurs des quatre coins du globe qui viennent y chercher fortune. Comptant environ 38 000 habitants sur un territoire de 2 kilomètres carrés, les Monégasques représentent seulement 22,45% de la population totale de la principauté. Les Français (24,89%) et les Italiens (21,9%) sont les deux autres principales communautés vivant sur “le Rocher”. Bien que petite par la taille et par le nombre, la principauté a cependant su se bâtir une renommée mondiale et ses couleurs nationales, le rouge et le blanc, sont bien connues.

Un drapeau connu dans le monde entier

À Monaco, les couleurs de la principauté sont partout : sur le palais princier, sur le casino, dans les rues, sur les ports de Fontvieille et d’Hercule, sur les plages comme celle, célèbre, du Larvotto. Si le monde entier vient visiter la cité-Etat - le tourisme génère 25% du PIB monégasque et a représenté 900 000 nuitées dans le secteur hôtelier en 2019 - les couleurs monégasques s’exportent aussi par l’imposant soft power de la principauté.

Tout d’abord, le club de football de l’AS Monaco, affilié à la Fédération française de football, exporte sur toutes les pelouses de France et d’Europe les couleurs rouges et blanches de la principauté. Champion de France à huit reprises et finaliste en 2004 de la prestigieuse Ligue des Champions, le club de la principauté est un élément central du soft power monégasque. Le maillot domicile de l’équipe a d’ailleurs l’obligation quasi-légale d’arborer les couleurs rouges et blanches avec la fameuse diagonale dessinée par la princesse Grace Kelly. L’ASM ne fait pas que briller sur les terrains, le club est aussi une marque à succès, à la fin de la saison 2017-2018 qui voit le club remporter le championnat de France, les tuniques rouges et blanches se sont vendues à 200 000 exemplaires soit plus que l’Olympique Lyonnais. Rappelons que la Principauté compte seulement 38 000 habitants contre plus de 518 000 habitants pour la “capitale des Gaules”.

Au-delà du football, les couleurs de Monaco s’exportent aussi par un autre évènement sportif majeur, le Grand Prix de Formule 1 de Monaco. Circuit mythique considéré comme l’une des trois courses les plus prestigieuses au monde, il réunit environ 200 000 spectateurs en principauté et 1,2 milliards de téléspectateurs en moyenne. Durant quatre jours, chaque année à la fin Mai, les yeux du monde entier sont rivés sur les pilotes de Formule 1 qui sillonnent les rues de Monte-Carlo, du port Hercule et de la Condamine. Seul circuit de Formule 1 à être urbain, le Grand Prix de Monaco possède un charme unique au monde contribuant très largement à la renommée de la principauté et de ses couleurs.

Si Monaco est une principauté sportive, c’est aussi le prestige culturel de la ville qui lui a permis d’exporter son mythique drapeau rouge et blanc. Volontariste dans ce domaine, la principauté dispose de plusieurs lieux culturels de prestige : le Forum Grimaldi d’abord, qui accueille l’Orchestre philharmonique de Monaco et des réunions des Nations Unies, mais aussi l’Opéra de Monte-Carlo où se produisent les plus grands. Enfin, le splendide musée océanographique de Monaco, fondé en 1889, par le “prince navigateur savant”, Albert Ier, est sans aucun doute l’un des plus beaux et des plus riches au monde. Monaco n’est donc pas la principauté fermée sur elle-même que l’on tend parfois à nous décrire. Bien au contraire, ouverte sur le monde et faisant venir le monde à elle, elle est cosmopolite et ses couleurs sont connues à travers le monde de par son rayonnement international.

Monaco : État sans nation

L’identité monégasque est singulière et témoigne d’un condensé d’histoire de la Méditerranée. D’origine ligure - la langue monégasque en est encore fortement imprégnée - développée par les Grecs qui lui donnent le nom de Monoïkos (Μόνοικος), rattachée à la Gaule Narbonnaise durant la période romaine, puis, tour à tour sous domination du Saint-Empire, de l’Empire espagnol, du Royaume de France, rattachée au département des Alpes-Maritimes après la Révolution, il passe sous protectorat Sarde en 1815. En 1860 Monaco, qui comporte alors sur son territoire les communes de Menton et de Roquebrune, devient indépendante. En 1861, Menton et Roquebrune votent leur rattachement à la France, la principauté reste indépendante mais perd 90% de son territoire. En 1911, à la suite d’une révolution, le pays devient une monarchie constitutionnelle. En 1918, un traité fait de la France la protectrice et la garante de la souveraineté de la cité-État.

Monaco n’a donc connu l’indépendance que tardivement. Oubliée par le Risorgimento, relativement délaissée par la France qui ne s’intéresse pas vraiment à ce qui est alors un simple rocher sur la Méditerranée, c’est un peu par hasard que Monaco voit son autonomie se transformer en indépendance. Cette autonomie, gagnée du Royaume de Gênes en 1294 s’est toujours accompagnée d’un protectorat qu’il soit germanique, espagnol, français ou sarde. Cela explique la faible affirmation nationale monégasque. Dans les faits, l’identité monégasque s’exprime presque uniquement par ses couleurs qui se retrouvent donc sur son drapeau et ses armoiries. Même le partage d’une langue commune n’est pas un élément d’unité et d’affirmation nationale. Le monégasque, dialecte du ligure, n’est parlé que par une infime partie de la population. Il en va de même de l’occitan, autre langue “autochtone” de la principauté. La seule langue officielle de la principauté est le français.

D’où viennent les couleurs monégasques ?

Adopté en 1881, le drapeau de Monaco se compose de deux bandes de taille équivalente : la bande supérieure est de couleur rouge, la bande inférieure de couleur blanche. Le drapeau reprend les couleurs des armoiries de Monaco. Ces couleurs sont un hommage à la fois aux armes de la famille Grimaldi, la famille régnante de la principauté depuis 800 ans, et aux couleurs de la République de Gênes. En outre, c’est de cette République que Monaco acquiert son “indépendance” en 1294 et que vient la famille Grimaldi. Le drapeau est donc à la fois un hommage à la famille princière et aux origines génoises de la cité-État.

Une autre explication, plus légendaire, consiste à voir dans le rouge du drapeau, le sang de Sainte-Dévote, sainte-patronne de la Principauté et de la Corse. Martyrisée et exécutée à Aléria, en Corse, son corps, mis dans une barque, aurait dérivé jusqu’au port romain de la Turbie (commune française voisine de Monaco) guidé par une colombe. Cette légende a donné naissance à une tradition monégasque, encore active aujourd’hui, qui veut que chaque 26 janvier, on brûle une barque dans le port à proximité de l’église dédiée à la Sainte dans le quartier de la Condamine. La religion catholique étant religion d’État dans la principauté, le 27 janvier, jour de Sainte-Dévote est férié. Selon cette légende, la couleur blanche du drapeau serait une évocation de la colombe ayant guidé la barque de Sainte-Dévote.

Les armoiries de Monaco reprennent en leur centre les mêmes couleurs rouges et blanches du drapeau, on dit qu’il est “fuselé d’argent et de gueules”. Surplombé par la couronne princière et entouré de deux moines en armes, ils se tiennent debout sur la devise de la principauté “Deo Juvante” (avec l’aide de Dieu) comme pour signifier l’existence quasi-miraculeuse d’une principauté minuscule épargnée par ses puissantes voisines.

Petite par la taille, la principauté de Monaco est grande par son rayonnement international. Loin des paillettes du “Carré d’Or”, l’histoire monégasque est riche du fait des multiples dominations qu’elle a subi. Son drapeau incarne plus de huit siècles d’histoire de la principauté : de l’indépendance obtenue de la République génoise, autre cité-État, en 1294, à l’opulente richesse et réussite du Monaco du XXIe siècle. Cette continuité historique d’une principauté, toujours fidèle à elle-même, Monaco en témoigne jusque dans son hymne qui s’ouvre par la strophe suivante : “Depuis toujours, sur notre pays / Flotte joyeusement au vent le même pavillon / Depuis toujours les couleurs rouge et blanche / Constituent le symbole de notre liberté / Grands et petits l’ont toujours respecté !” [1]

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Notes

[1en version monégasque dans l’hymne : Despoei tugiù sciü d’u nostru paise / Se ride au ventu, u meme pavayùn / Despoei tugiù a curù russa e gianca / E stà l’emblema, d’a nostra libertà / Grandi e i piciui, l’an sempre respetà !

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