Le multilinguisme, pour quoi faire ?
Pour en mesurer l’enjeu, il faut bien en saisir la substance. Le multilinguisme, ce sont là deux réalités fondamentalement indissociables : ’’multilinguisme institutionnel’’ et ’’multilinguisme individuel’’ [2]. Deux idées complémentaires ayant un même point de départ et d’arrivée : la Personne.
En effet, le ’’multilinguisme institutionnel’’- inscrit dans les textes communautaires - donne à chacune des langues officielles de l’Union européenne un statut d’égalité d’avec ses consoeurs, afin que chaque citoyen puisse avoir librement accès aux textes de l’UE. Tandis que le ’’multilinguisme individuel’’ se référe, quant à lui, à l’individu polyglotte : se focalisant ainsi plus précisément sur les soucis quotidiens de la Personne.
Il faut dès lors prendre conscience de combien ’’multilinguisme’’ et ’’fédéralisme’’ sont, in fine, consubstantiels l’un de l’autre. Car si le fédéralisme vise à obtenir une « Pax Europea » (à la fois paix sociale et ’’salad bowl’’ – c’est-à-dire unité dans la diversité culturelle), le multilinguisme est, quant à lui, une voie à emprunter pour y parvenir...
Multilinguismes et Pax europea
« Pax Europea » : voilà bien une expression qui décrit clairement cette fameuse ’’paix’’ que l’Europe appelle de ses voeux :
Une ’’paix mondiale’’, non imposée aux autres par la puissance dominante du moment et une paix ’’à l’européenne’’, c’est-à-dire sous-tendue par les valeurs humanistes que promeut l’Europe : solidarité, respect de la diversité, démocratie et “soft power”.
Or, s’il y a bien quelque chose qui peut nourrir pleinement cette idée de « Pax Europa », c’est bien le multilinguisme, qu’il soit multilinguisme institutionnel ou multilinguisme individuel.
Multilinguisme institutionnel
Par ’’multilinguisme institutionnel’’ on désigne, en termes concrets, cette réalité juridique qui fait que tout document officiel émis par les services et par les institutions communautaires se doit d’être traduit dans toutes les langues officielles de l’Union. Chacun d’entre nous peut obtenir une réponse à ses questions. Et ce, dans sa langue propre.
Or, certains rétorquent que l’on gagnerait en efficacité tout en diminuant les dépenses en se basant sur le principe d’une langue officielle unique, ou deux – au maximum ; des langues qui seraient, admettons, choisies en fonction d’un critère démographique ou économique. Pourquoi ne pourrait-on pas se contenter de cela ?
Discrimination linguistique vaudrait inégalité et donc, in fine, oligarchie. C’est pourquoi on peut affirmer qu’une égalité de statut et de traîtement entre les langues serait la seule garantie d’un système pleinement égalitaire et véritablement transparent.
Si le multilinguisme institutionnel a - bien sûr - un coût, l’évaluation de ce coût est un exercice, on ne peut plus subjectif. Ainsi, s’il n’est, pour les ’’multilinguistes-sceptiques’’, qu’une dépense superflue, il doit faire en revanche partie, pour les autres, du prix de la démocratie.
Ce pourquoi déterminer arbitrairement une, deux voire trois seules ’’langues officielles’’ de l’Union ne serait sans doute pas dans l’esprit de l’Union Européenne : ensemble institutionnel (en quête de reconnaissance et de légitimité auprès de ses citoyens) et entité porteuse de valeurs humanistes.
Multilinguisme individuel
Par "multilinguisme individuel", on désigne la capacité de l’individu de savoir parler une ou plusieurs langues étrangères. A ce titre, la maîtrise de trois langues pourrait être considérée comme un objectif raisonnable en Europe. Le ’’trilinguisme’’ devenant une norme, avec la langue maternelle, la langue de l’adhésion affective (ou langue ’’amante’’) et la langue fonctionnelle au strict sens opérationnel - voire professionnel - du terme (ou langue ’’secrétaire’’).
Dans cette perspective, il faut se rendre compte que la proposition diamétralement opposée d’une langue unique, un espéranto ou un néo-anglais (un rêve, pour d’aucuns), n’a - à mon sens - rien de séduisant. En effet, chaque langue a son propre fonctionnement, qu’il faut connaître pour pouvoir pénétrer la logique propre de la mentalité de ses locuteurs. Ainsi une langue, c’est une mentalité, qui plus est indissociable d’une mémoire collective.
Et voulons-nous vraiment en venir à une langue, une mentalité, une culture - unique et uniforme - pour tous les citoyens européens ?! Ainsi, passer par la case « traduction » est sans aucun doute un travail long et fastidieux, mais s’en priver - par l’uniformisation linguistique - serait là une forme de ’’suicide’’ pour l’Europe telle que nous la voulons : ouverte, diverse, multiple, solidaire.
Multilinguisme et défis actuels : chômage et multiculturalisme
En ce 26 septembre 2006 dernier, ont coïncidées la « Journée européenne des langues » et l’« Année de la mobilité des travailleurs ». Une ’’rencontre’’ et simultanéité heureuse qui souligne combien le multilinguisme est une clé ouvrant de nouvelles portes à l’individu ...
En effet, la langue ne doit plus aujourd’hui être un obstacle dans la recherche ou l’exercice d’un travail. De même que le fait de connaître plusieurs langues devrait être, mécaniquement, un moyen d’élargir le champs géographique de la recherche d’emploi.
C’est tout autant le défi du multiculturalisme qui est concerné. L’Europe se voulant être non pas un ’’melting pot’’, mais un ’’salad bowl’’ : il faut bien entendre par là que nous ne cherchons pas à faire de l’Europe un ’’milk-shake’’ des divers ingrédients qui la composent, mais bel et bien une ’’macédoine de fruits’’ !
Et - ici encore – mettre en place une politique de promotion du multilinguisme serait une clé pour l’avenir. Dans la mesure où reconnaissance de la ’’pluralité linguistique’’ et ’’capacité du citoyen à parler plusieurs langues’’ sont seules susceptibles d’ancrer véritablement dans les mentalités la nécessité d’accepter l’autre tel qu’il est.
Le multilinguisme, comment faire ?
Pour essayer de rendre concrètement effectif un véritable multilinguisme, il faudra alors imaginer de nouvelles initiatives et procéder à de nombreuses réformes.
En seuls termes de formation des enseignants, je vous renvoie aux positions adoptées par les Jeunes Européens - France sur la question : un document intitulé « Vingt-cinq propositions des Jeunes Européens-France pour un système éducatif français (plus) ouvert sur l’Europe », document à consulter à l’adresse suivante www.jeunes-europeens.org [3].
Egalement, il faudra sans doute procéder à des réformes similaires en termes de formation professionnelle initiale et continue (puisque c’est là un aspect crucial du problème...). Car si la maîtrise de l’anglais est certes aujourd’hui un objectif louable, il s’agit néanmoins là d’un objectif sans doute loin d’être suffisant sur le long terme (puisque rien ne dit que - dans vingt ans - ce ne sera pas le chinois qui sera alors la langue des affaires la plus parlée…).
Et il en va de même au niveau de la société d’information. Laquelle se trouve aujourd’hui face à un véritable défi de ’’multilinguismisation’’ !
Enfin, ’’last but not least’’, il y aurait d’indéniables efforts d’information à faire pour une meilleure sensibilisation de la jeunesse à l’égard des divers programmes institutionnels existants, (ex : programme Comenius, Erasmus, Léonardo…) [4] et autres initiatives interactives, notamment via internet [5].
En bref, s’il n’y a plus aujourd’hui de frontières physiques en Europe, force est de constater que les frontières mentales, elles, demeurent. De ce constat, il ressort que la promotion du multilinguisme est un enjeu-clé de l’intégration fédérale européenne.
1. Le 29 octobre 2006 à 15:14, par krokodilo En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Ne le prenez pas mal, mais je trouve votre article un peu fumeux, il me paraît être une somme de clichés, et en outre très éloigné de la réalité des faits. Comme on dit, les faits sont têtus.
« En effet, la langue ne doit plus aujourd’hui être un obstacle dans la recherche ou l’exercice d’un travail. De même que le fait de connaître plusieurs langues devrait être, mécaniquement, un moyen d’élargir le champs géographique de la recherche d’emploi »
Un vœu pieux : les offres d’emploi exigeant l’anglais sont innombrables et celles exigeant des native ou des « same level » sont légion, au point qu’un australien aura davantage de chances de dégotter un job (!) qu’un européen doté d’un broken english.
’’last but not least’, ’’melting pot’’, ’’salad bowl’’, ’’milk-shake’’ : avez-vous remarqué que lorsque vous voulez une métaphore ou une citation, c’est toujours en anglais ? Ou est le multilinguisme là-dedans ?
« Dans cette perspective, il faut se rendre compte que la proposition diamétralement opposée d’une langue unique, un espéranto ou un néo-anglais (un rêve, pour d’aucuns), n’a - à mon sens - rien de séduisant. »
C’est votre avis, et nous nous sommes exprimés en détail à ce sujet sur les autres articles. Mais l’espéranto est une langue. Dire « un espéranto » est péjoratif en sous-entendant qu’il y en a des tas, qu’il s’agit d’un sabir parmi d’autres ; diriez-vous un anglais, ou un français ? L’Eo n’est pas une langue unique mais une langue auxiliaire facile à apprendre, qui permettrait à tous les européens de se comprendre avec un ou deux ans d’étude seulement, libre à chacun d’étudier en outre sa langue régionale et une ou deux langues nationales à l’école.
Lorsque vous proposez le multilinguisme pour l’UE, la maîtrise de 3 langues étrangères (ou nationale+2 ?), vous ne précisez pas lesquelles, ni à quel niveau. Comment empêcher les parents de choisir systématiquement l’anglais en LV1, puisqu’on leur répète inlassablement que c’est indispensable pour l’avenir des enfants ? Comment la logistique suivra-t-elle ? Comment disposera-t-on de suffisamment de profs pour une offre diversifiée au primaire et en LV1 en 6e alors qu’actuellement cette offre se réduit comme une peau de chagrin ? Les propositions des « jeunes européens » tombent dans le travers jadis dénoncé par François de Closet dans son livre ’Toujours plus", penser que la solution est quantitative : plus de sous, plus de profs, dédoublement de classes, plus de cabines de langue, plus d’intervenants extérieurs natifs (anglais ?), davantage d’heures de langue, de séjours linguistiques, voire des colonies de vacances en anglais dans le massif central… Un rapport récent vient de rappeler que les élèves français ont plus d’heures de cours que la moyenne avec des résultats égaux ou inférieurs. est-il raisonnable d’augmenter les heures de cours ? Va-t-on commencer l’anglais à la maternelle ? Va-t-on enseigner l’histoire en anglais, la géo en allemand, les maths en espagnol, le français en suédois ?
« Le visuel d’ouverture de cet article est - preuve, s’il en est, de l’existence d’un multilinguisme officiel et institutionnel harmonieux - la photographie d’une ’’plaque (administrative) officielle’’ murale trilingue (i.e : en roumain, hongrois et allemand) à Satu Mare (en Transylvanie, Roumanie) »
3 plaques sur un mur et une photo sont des preuves du multilinguisme ?? Cette mention est surtout l’illustration de l’hypocrisie de la commission européenne qui se gargarise du mot multilinguisme alors que la plupart des documents importants et des rapports sont en anglais, que les état-majors militaires et les coopérations civiles (policières et travaux publics) utilisent l’anglais. La Suisse a longtemps réellement essayé le multilinguisme à 4 langues, avec persévérance et conviction, mais il s’avère que c’est un échec ; comment réussir à l’échelle européenne ce qui s’est avéré impossible chez eux ?
« En effet, chaque langue a son propre fonctionnement, qu’il faut connaître pour pouvoir pénétrer la logique propre de la mentalité de ses locuteurs. Ainsi une langue, c’est une mentalité, qui plus est indissociable d’une mémoire collective » Cliché ! Ce que l’on appelle l’anglais de communication, l’anglais international, est un anglais simplifié abâtardi, volontairement pauvre en idiomes (pour qu’on puisse se comprendre…) et ne permet absolument pas de pénétrer l’âme anglaise ou américaine. L’immense majorité de ce que nous savons des autres cultures nous vient des traductions : vous-même, avez-vous lu des classiques en chinois, en anglais, en grec, en espagnol ? Avez-vous discuté en VO avec ces habitants dans leur propre langue pour connaître leur âme profonde ? Cliché.
Et si la vérité était ailleurs (comme dans les séries télés !) ? Le multilinguisme n’est pas une solution à grande échelle pour la communication européenne et mondiale, ce n’est une solution (médiocre) que pour les « élites » qui peuvent entretenir leur relatif polyglottisme dans les cafés de Bruxelles, je veux dire en pratiquant régulièrement les 2 voire 3 langues dans lesquelles ils se débrouillent, mais ils utiliseront à nouveau l’anglais entre eux à la moindre panne des cabines de traduction simultanée, ou lors de réunions avec diverses nationalités. L’espéranto est actuellement la seule solution démocratique possible pour à la fois disposer d’une langue auxiliaire commune et respecter la diversité linguistique en Europe. Cordialement.
2. Le 31 octobre 2006 à 11:06, par Henri Masson En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
La moindre des choses, quand on a le privilège ou la chance d’étudier à Sciences Po (?), ce serait de ne pas lancer des affirmations fondées sur le ouï-dire pour illustrer une thèse.
L’espéranto n’est pas à l’opposé du multilinguisme. Il offre un passe-partout linguistique rapidement accessible lorsque le multilinguisme montre ses limites. Tout espérantophone est au minimum bilingue. La plupart de ceux qui viennent aujourd’hui à l’étude et à la pratique de l’espéranto connaissent déjà une ou plusieurs langues étrangères. Il n’y a donc pas lieu d’opposer l’espéranto au multilinguisme. Les deux se complètent parfaitement.
L’une des meilleures illustrations est le cas de Georges Kersaudy. Durant sa carrière de fonctionnaire international, il a été amené à parler, écrire et traduire pas moins de cinquante langues d’Europe et d’Asie, dont l’espéranto. Il l’a appris très jeune, et c’est ainsi qu’il a pris le goût de découvrir les langues. On ne peut que conseiller son ouvrage "Langues sans frontières" (éd. Autrement) dans lequel il décrit 29 langues de l’Europe, dont l’espéranto. D’autres personnalités du monde de la culture ont connu ce même cheminement, parmi eux l’orientaliste et érudit Maxime Rodinson (une trentaine de langues), le linguiste estonien Paul Ariste (plusieurs dizaines de langues), et il serait possible de citer d’autres noms. Le premier poète de l’espéranto fut Antoni Grabowski, ami du Dr Zamenhof, qui connaissait une trentaine de langues.
Dans la biographie du Dr Zamenhof, "L’homme qui a défié Babel" (éd. L’Harmattan), dont je suis coauteur, on peut trouver l’anecdote suivante à propos de l’industriel roumain Henri Fischer qui avait évoqué, lors du congrès universel d’espéranto de Dresde, en 1908, une expérience personnelle vécue en 1903 :
“Au cours d’un voyage vers l’Extrême-Orient, j’avais pris place dans le wagon-restaurant du train de Bucarest à Constantinople. A peine installé, je remarquai un voyageur qui essayait en vain de faire comprendre au garçon ce qu’il désirait. Ce dernier mit en pratique ses connaissances linguistiques ; il parlait le roumain, le serbe, le turc, le bulgare et le russe. Hélas, l’étranger ne comprenait pas. Prêt à lui tendre une main secourable, je m’approchai – outre le roumain, je parle sept langues – et lui demandai en allemand, français, anglais, italien, hongrois, espagnol et grec, si je pouvais lui rendre service. Mais en vain. L’étranger ne comprenait aucune de ces douze langues. Je me rappelai alors un article de journal traitant de l’espéranto que j’avais lu quelque temps auparavant, mais sans y ajouter foi. Je finis donc par lui demander : “ ?u vi parolas Esperanton ?”. Un cri de joie me répondit : « Jes, mi parolas ! » . Et il continua à me parler une langue qu’à mon tour je ne comprenais pas, car mes connaissances de l’espéranto se bornaient alors à cette seule phrase. Dès que l’étranger s’en aperçut, il remédia de suite à mon ignorance en me mettant dans la main une petite « Clef de l’Espéranto », de celles qui existent dans la plupart des langues. Malgré son poids minime, ce livre contient la grammaire complète et le vocabulaire de la Langue Internationale. Je me mis aussitôt à l’étude et, dix heures plus tard, quand nous nous retrouvâmes sur le pont d’un bateau, je pouvais déjà me faire comprendre en espéranto".
Et l’industriel roumain de conclure, parmi les rires de l’assistance : “J’appris donc ainsi que mon nouvel ami était suédois et parlait quatre langues : le suédois, le danois, le norvégien et le finnois. A nous trois, le garçon de restaurant, l’étranger et moi, nous connaissions seize langues sans pour cela pouvoir nous comprendre !” .
A propos de Sciences Po, c’est justement un professeur de l’École des Sciences politiques (depuis 1893), Théophile Cart (1855-1931), qui avait adressé, le 3 septembre 1906, un rapport au ministre de l’Instruction Publique. Licencié de grec et de latin, agrégé en langues modernes, lecteur à l’Université d’Uppsala, en Suède (1891-1892), il fut aussi professeur au Lycée Henri IV (1892-1921). Dans ce rapport, il avait écrit, à propos de la crise qui existait déjà dans ce domaine :
"Le malaise résultant d’un tel état de choses est si réel, qu’on s’efforce d’y apporter remède, en tous pays, par la place, de plus en plus grande, qu’on réserve, dans l’enseignement public, aux langues vivantes, alors que, d’autre part, la somme des connaissances générales qu’il convient d’acquérir, va, elle aussi, en augmentant. Il n’y a aucune témérité à prédire que la solution par l’étude des langues étrangères, toujours plus nombreuses et mieux apprises, aboutira à la faillite. Vainement on s’efforce de la retarder par de fréquents remaniements de méthodes. Elle est fatale, parce que la mémoire a ses limites. Le nombre de personnes capables d’apprendre « pratiquement » deux ou trois langues étrangères, avec tant d’autres choses, en outre est infime ; or c’est à un nombre d’hommes continuellement croissant qu’il importe de communiquer avec des nations de langues différentes, de plus en plus nombreuses."
Cent ans se sont écoulés, et, ce qui est clair, c’est que l’on tourne en rond. Cart avait lui-même découvert et appris l’espéranto, puis il en devint l’un des plus fermes défenseurs. Biographie sur Wikipedia
3. Le 31 octobre 2006 à 11:08, par Claude Piron En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Peut-être l’opinion d’un polyglotte, qui, en tant qu’ancien traducteur professionnel, connaît de l’intérieur la « case traduction », vous intéressera-t-elle. Je suis résolument en faveur du multilinguisme, mais, comme je l’ai dit lorsque j’ai été invité par le Goethe-Institut à participer à un colloque sur le thème « L’Europe parlera-t-elle anglais demain ? », il faut être réaliste (le texte de mon intervention peut être lu à l’adresse http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/europeentrilingue.htm ). Il est important que les Européens puissent tout se dire. Une communication au rabais ne sert à rien. Or pour maîtriser une langue à ce niveau-là il faut un temps que peu de personnes peuvent consacrer à un apprentissage linguistique. Si nous voulons une Europe, comme vous dites très justement, ouverte, diverse, multiple, solidaire, il faut que chacun ait une idée de comment la pensée se formule dans un autre peuple. Il faut donc que chacun ait l’expérience de la langue d’un autre pays ou d’une autre région.
Mais l’expérience nous apprend que, quelles que soient les innovations pédagogiques, les systèmes d’immersion totale ou autres méthodes à première vue miracles, une langue européenne contient un nombre tel de programmes et sous-programmes contradictoires à insérer dans le cerveau que les maîtriser tous est impossible à l’immense majorité des habitants de l’Union, sauf pour la langue maternelle, où l’exercice est de tous les instants. J’utilise le mot « programme » au sens informatique : en français, le programme général pour former la 2e personne du pluriel est une forme en ez, mais ce programme, qui conduit à articuler vous disez, vous faisez doit dans ces cas appeler un sous-programme qui dit : « Sens interdit ! Utiliser la déviation qui mène à vous dites, vous faites ». En anglais, le programme « passé => + ed », qui vous fait traduire spontanément « ils ont coûté » par they costed sur le modèle de trusted, acted, etc., doit être associé à un sous-programme qui inhibe cette formation et dévie vers la forme correcte cost.
Il y a des centaines de milliers de programmes et sous-programmes de ce genre. Nous ne nous en rendons pas compte, mais nos langues en sont pleines. Par exemple en français, l’adjectif drôle se comporte comme lui tout seul. On ne peut pas dire quel drôle type, il faut que l’étranger qui apprend notre langue insère dans ses structures cérébrales le sous-programme « drôle doit être suivi de de » : on dit quel drôle de type. Or, parler avec aisance, c’est avoir transformé tous ces programmes en réflexes. Sinon, on hésite, on parcourt son cerveau à la recherche du mot ou de la forme juste, bref, on ne parle pas couramment.
Il y a une solution simple à cette recherche linguistique d’une Europe ouverte, diverse, multiple, solidaire : encourager les citoyens à apprendre l’espéranto. L’espéranto a été ma première langue étrangère, que je parle depuis l’adolescence, je sais donc de quoi il s’agit. Je sais par expérience à quel point il facilite l’acquisition ultérieure d’autres langues [voir le passage « L’espéranto, le meilleur tremplin pour l’étude des langues » de mon livre Le défi des langues – Du gâchis au bon sens (L’Harmattan, pp. 319-327)]. Et je sais aussi qu’il n’a rien à voir avec le « néo-anglais » et autre « langue unique » dont parle l’article commenté ici. L’espéranto n’entend pas être une langue unique, mais une langue commune, une langue-servante, utilisée uniquement lorsqu’une langue nationale ne convient pas. C’est une langue qu’il est possible de maîtriser en dix fois moins de temps que n’importe quelle langue européenne, et de parler de façon nuancée, précise, riche, de manière à dire avec aisance tout ce qu’on veut dire . Le miracle tient à deux éléments : l’un, que je n’ai pas le temps d’expliciter ici, est la combinatoire illimitée, et l’autre est l’absence de sous-programmes inhibiteurs, comme celui qui nous empêche de dire irrésolvable – forme à laquelle le mouvement naturel du cerveau nous conduit spontanément – et nous oblige à installer la déviation qui mène à insoluble. Ce qui rend difficile la maîtrise d’une langue autre que l’espéranto (à part quelques exceptions comme le chinois et l’indonésien), ce sont les sous-programmes inhibiteurs dont la mémorisation représente 90% de l’effort à faire pour atteindre l’aisance dans une langue étrangère.
L’idéal serait d’enseigner l’espéranto pendant une année, à l’école primaire. Cela suffirait. Un enseignement coordonné entre les États-Membres, associé à un encouragement aux parents à s’y mettre aussi, aurait vite fait d’amener les Européens à une communication internationale de bon niveau. Après, au niveau secondaire, les élèves apprendraient une autre langue de leur choix. Ce serait la fin du monopole de l’anglais, et la découverte de cultures terriblement négligées dans l’enseignement actuel.
Je ne me fais pas d’illusion. Je sais que ce genre de proposition soulève immédiatement des critiques violentes. Mais je n’ai jamais rencontré une seule de ces critiques qui se fonde sur l’examen des faits. Par exemple sur la comparaison d’une discussion en espéranto avec une discussion en anglais. Ou sur une analyse linguistique de textes. Il s’agit toujours de critiques a priori partant d’une incompréhension de ce qu’est l’espéranto. Si la vérité vous intéresse, je vous invite à lire « Observer, comparer, choisir » (http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/comparer.htm).
Encore une fois, je suis un partisan fervent du multilinguisme. Quand j’étais traducteur à l’ONU, je traduisais en français à partir de quatre langues : anglais, chinois, espagnol et russe. Je suis extrêmement heureux d’avoir appris ces langues jusqu’à un niveau de maîtrise, du moins passive. Mais l’immense majorité des discussions profondes et intéressantes que j’ai eues avec des gens d’autres cultures et qui représentent une part considérable de ma vie, je les ai eues en espéranto. Hélas, les sociétés humaines sont profondément masochistes et répugnent à aller voir comment les choses se passent chez ceux qui ont opté pour une solution agréable, efficace, peu coûteuse et ne comportant aucun inconvénient culturel, comme l’ont démontré 120 ans d’expérience. Le masochisme est une névrose qui résiste à la guérison, comme toute névrose. C’est par la prise de conscience qu’on guérit. Mais c’est aussi par l’honnêteté intellectuelle. C’est à celle des lecteurs de ce commentaire que je me permets de faire appel.
4. Le 31 octobre 2006 à 12:30, par krokodilo En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
La vérité sur le multilinguisme institutionnel vient de nous être montrée une fois de plus avec le scandale du logo européen pour 2007, lorsque le jury a choisi un projet en anglais (together), alors que certains projets étaient neutres et harmonieux, des couleurs et le nombre 50. Résultat, même si le logo est décliné dans plusieurs versions linguistiques, d’ores et déjà sur le site europa de l’UE, c’est together qui trône fièrement, ne manque plus que la musique et Rule Britannia ! Il est probable qu’à chaque manifestation anniversaire des 50 ans de l’UE ce logo soit en bonne place, et non 25 logos différents. L’affaire est relatée en détail sur le blog de Quatremer dont vous indiquez le lien en permanence. A l’évidence, dans l’esprit du jury et de la commission européenne, il ne fait aucun doute que l’anglais est la lingua franca de l’Europe, le reste n’est que mensonge politique pour ménager les susceptibilités nationales des uns et des autres. Chaque pays devrait refuser de participer à toute manifestation où ce logo serait affiché !
5. Le 2 novembre 2006 à 17:38, par e. En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Chers espérantistes,
Vous taxez, chacun à votre tour, en des termes plus ou moins corrects, mon texte de fumisterie, de liste de clichés, de modèle d’anti-pragmatisme primaire, pourrait-on dire pour résumer vos propos. Tâchons donc d’analyser de plus près ces accusations : pourquoi plaide-je pour le multilinguisme et non l’espéranto en Europe ? Permettez-moi une réponse plus détaillée que mon article et donc plus longue.
D’abord, je veux dire qu’à la place du Dr Zamenhof, j’aurais cherché avec enthousiasme une quatrième personne, de ce train, qui sache une langue de l’un et une langue connue de l’autre et qui puisse ainsi fermer la boucle… choix qui aurait, en outre, permis de rencontrer une personne de plus.
En faits de manque de pragmatisme, je me dois de vous faire part de mon opinion : et vous retourner le compliment. D’abord, parce que tout simplement le multilinguisme figure dans les textes communautaires, tandis que l’espéranto non. Ensuite, parce que le premier fait figure d’avant-garde, l’autre non. Je m’explique.
« Le multilinguisme est un vœu pied » et la Commission européenne fait, comme à son habitude, preuve d’hypocrisie lorsqu’elle le défend, affirmez-vous.
Bien entendu, nous sommes encore loin du compte, les faux pas se comptent en bon nombre, tel que celui du logo « together », comme vous l’avez justement noté. Néanmoins, la réalité est ainsi : aujourd’hui, tous les textes concernant directement le citoyen, c’est-à-dire, pour résumer, les lois, sont belles et bien traduites en vingt-et-une langues. Néanmoins, la réalité est ainsi : aujourd’hui, les institutions européennes ont le devoir de répondre aux questions posées par le citoyen dans la langue qu’a empruntée le citoyen. Ceci est du multilinguisme institutionnel bien vivant, force est de le constater, n’est-ce pas ?
S’il semble évident que le fait que cela soit inscrit dans les textes n’est pas une garantie de réussite dans la mise en place de la politique multilingue en Europe, il apparaît, en revanche, bien plus difficile encore de penser qu’un vœu n’ayant pas reçu la moindre onction soit un objectif plus atteignable … Le multilinguisme est inscrit dans les textes communautaires comme étant une nécessité, desquels textes sont bizarrement absentes toutes références à l’espéranto. Cela ne vous incline-t-il pas à penser que ce dernier est un vœu bien plus « pieu » ?
En outre, en terme d’hypocrisie de la Commission européenne, c’est toujours le même débat de la poule et de l’œuf : pardonnez-moi, mais, d’autant plus dans le domaine du multilinguisme individuel, qui relève in fine de la politique d’éducation, c’est bien aux Etats qu’il faut s’adresser et non à la Commission, qui, elle, n’a pas les pouvoirs d’imposer plus avant ce qu’elle considère aujourd’hui comme étant nécessaire.
« L’espéranto est actuellement la seule solution démocratique possible pour à la fois disposer d’une langue auxiliaire commune et respecter la diversité linguistique en Europe ». Respect de la diversité linguistique grâce à l’espéranto dîtes-vous ? Certainement … en faisant entrer les langues de l’Union dans la sphère privée, sinon dans un monument aux morts (mais, le même pour toutes, égalité oblige), afin qu’elles ne viennent plus nous enquiquiner lors des débats en Europe.
En ce qui concerne l’aspect pratique du multilinguisme individuel (j’en profite pour répondre à une de vos questions : oui, lorsque je parle de « langue maternelle », il s’agit bien de la langue « nationale » ...), j’entends ici, la question de l’apprentissage des langues par l’individu, il est intéressant de répondre à vos remarques. « Comment empêcher les parents de choisir systématiquement l’anglais en LV1, puisqu’on leur répète inlassablement que c’est indispensable pour l’avenir des enfants ? » Nous sommes d’accord : ceci est un enjeu crucial. L’appel au multilinguisme est précisément un appel à l’ouverture des esprits quant à l’importance de connaître d’autres langues : il n’y a pas que le seul anglais qui ouvre des portes, et les parents doivent être fortement sensibilisés sur cette réalité. Cela n’est, en aucun cas, acquis aujourd’hui, ce qui ne signifie pas qu’il faille démissionner, soit en laissant toute place à l’anglais, soit en proposant un outil de communication alternatif. Mais ne nous trompons pas de cible ! La cible n’est pas l’Amérique, la cible est le manque de dialogue entre les peuples, le manque, in fine, de compréhension interculturelle. Et combler ce déficit ne passe pas, il me semble, par l’apprentissage d’un « outil de communication » qui ne manquera pas de se développer au détriment de l’apprentissage des langues.
De plus, tandis que le multilinguisme est sur une voie de développement, l’espéranto me semble faire partie de l’arrière-garde. Je ne nie pas que l’espéranto serait commode, du point de vue de la communication entre les peuples. Cependant, force est de constater que celui-ci n’a, pour le moins, pas réussi à faire ses preuves : en 120 ans d’existence, il n’a convaincu que deux millions de personnes, sur six milliards, lorsque l’on parle d’espoir … . M. Henri Masson, vous soulignez qu’en « cent ans se sont écoulés, et, ce qui est clair, c’est que l’on tourne en rond. » : vous m’ôtez les mots de la main. Je ne peux que constater que l’espéranto se conjugue désormais au passé.
Le multilinguisme, pour un groupe plus restreint de personnes, dont je suis, c’est aussi un credo : si l’espéranto pourrait avoir été un outil de communication pratique, je réfute avec vigueur la thèse selon laquelle il s’agit là d’une langue. L’espéranto accuse intrinsèquement, selon moi, plusieurs défauts.
Je parle d’outil de communication parce que l’espéranto n’a pas d’histoire, pas de culture qui y soit rattachée. Au terme communication, j’oppose celui de dialogue. Le dialogue, à l’inverse, c’est l’échange, échange de cultures, et le respect – la personne qui entend parler sa langue propre par un étranger s’en sent toujours ému, ému de l’effort, cela crée un lien que ne peut faire naître l’espéranto. Dans le fait de parler la même langue, il y a un échange de l’ordre de l’organique, du charnel. A ceci, je suis très attachée. Si Andreï Makine, d’origine russe, a écrit Le Testament français directement en langue française, ce n’est pas un fait neutre. Il montre par-là même son attachement à la culture française. C’est un exemple éloquent de la jonction de deux mentalités, deux cultures. La langue française est, dans ce livre, un lien biologique à part entière entre la grand-mère parisienne et le petit-fils déchiré entre ses origines françaises et sa vie en Russie.
Et pourquoi l’espéranto plutôt que le néo-anglais ou broken english ( une expression anglaise, Messieurs, une expression anglaise que vous employez là) ? Pour éviter des remarques telles que pourquoi la langue des amerloques et des britishs et non ma langue propre ? Ou, davantage, pour éviter la sur-américanisation du monde ? Mais dès lors, je m’interroge : cette américanisation totale tant redoutée ne vient-elle pas de la diffusion à outrance de la langue des Américains ? Dans ce cas, je vous le demande : comment éviter cet écueil avec l’espéranto ? Ceci est une préoccupation première des pro-multilinguisme : éviter le piège de l’uniformisation des cultures, piège inévitable, à mes yeux, lorsque l’on en vient à parler d’un seul outil de communication pour tous. Si un outil permet de communiquer avec le reste des habitants de la terre, pourquoi se fatiguer à apprendre des langues étrangères ? J’ai foi en la capacité d’éducation de l’individu, seulement, il ne tend pas naturellement à rechercher l’effort. Lui proposer de ne connaître qu’une langue pour parler avec qui il veut, c’est aussi lui offrir sur un plateau d’argent un moyen de ne pas avoir à développer sa culture.
Cela me permet de revenir également sur mon affirmation d’une contradiction intrinsèque entre multilinguisme et espéranto, au sens où j’ai présenté le multilinguisme dans mon texte. Il y a, selon moi, lieu de les opposer dans la mesure ou la promotion du multilinguisme vaut volonté de voir se développer la capacité polyglotte de l’individu, tandis que l’espéranto tend à permettre à l’individu de ne pas avoir à apprendre de langues. Dès lors, je ne vois pas la complémentarité dont vous parlez.
Comme vous le dîtes, Krokodilo, « ce que l’on appelle l’anglais de communication, l’anglais international, est un anglais simplifié abâtardi, volontairement pauvre en idiomes (pour qu’on puisse se comprendre) et ne permet absolument pas de pénétrer l’âme anglaise ou américaine. » M. Claude Piron vous écrivez, quant à vous, que « si nous voulons une Europe ouverte, diverse, multiple, solidaire, il faut que chacun ait une idée de comment la pensée se formule dans un autre peuple. Il faut donc que chacun ait l’expérience de la langue d’un autre pays ou d’une autre région. » C’est très exactement le constat que j’ai fait : je souscris bien entendu totalement à ce propos. Nous divergeons cependant dans la conclusion à en tirer. Vous en déduisez qu’il faut apprendre l’espéranto pour se comprendre mutuellement. J’en concluais et en conclue toujours, quant à moi, que connaître la langue de l’Autre est un moyen de dialogue incontournable.
Je pense que le choix de l’espéranto serait un acte de démission vis-à-vis de l’Homme. Je suis fédéraliste – pour intervenir sur nos forums, je ne doute pas que vous vous soyez informés sur la chose, cela signifie que j’ai foi en l’Homme, en sa capacité de toujours plus se développer, et, surtout, de développer sa curiosité. Je crois que peut naître en lui, progressivement, le goût de l’Autre, de l’étranger.
6. Le 2 novembre 2006 à 18:17, par Ronan Blaise En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
A propos du logo de cet article, juste préciser qu’il n’est pas le fait de la Commission européenne (comme votre courriel le laisserait supposer) mais qu’il est le résultat d’une tradition politique (maintenue par les autorités politiques roumaines et locales transylvaines) et d’un multicultalisme effectif traditionnel dans cette région de Roumanie - la Transylvanie (Ardeal en roumain, Erdély en hongrois, Siebenbürgen en allemand) où vivent roumains, ’’saxons’’ (i. e : germanophones), magyars et ’’szeklers’’ hungarophones.
7. Le 3 novembre 2006 à 00:07, par skirlet En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Madame,
je suis une autre espérantiste qui ne me suis pas encore exprimée sur ce débat. Votre réaction m’incite à le faire.
Tout d’abord, je constate que vous avez lu un peu vite les réponses (il ne s’agit pas du Dr Zamenhof dans cet extrait).
« D’abord, parce que tout simplement le multilinguisme figure dans les textes communautaires, tandis que l’espéranto non »
Le droit de vote des femmes ne figurait pas dans les textes non plus. Le droit à l’avortement non plus. Combien de choses injustes figuraient dans les textes avant de disparaître ? Combien des choses qui paraissent aujourd’hui tout à fait naturelles n’y figuraient pas, selon les époques ? Donc prétendre que l’espéranto est une chose d’arrière-garde est un peu présomptueux.
« Cependant, force est de constater que celui-ci n’a, pour le moins, pas réussi à faire ses preuves : en 120 ans d’existence, il n’a convaincu que deux millions de personnes, sur six milliards, lorsque l’on parle d’espoir »
Quelle est la date de péremption d’une idée ? La lutte contre l’esclavage a duré 300 ans environ. Les chiffres indiennes, le système métrique… Les idées novatrices prennent du temps pour s’imposer. Autre chose : je vous conseille de lire le livre « Une langue dangereuse » de Ulrich Lins. Vous verrez dans quelles conditions l’espéranto a dû survivre, et le fait qu’il a non seulement survécu mais a réussi à convaincre les deux millions de personnes sans aucune violence, sans aucune puissance économique derrière lui, sans que cette langue soit enseignée dans les établissements scolaires est plutôt le preuve de sa vitalité. Si elle a réussi, c’est qu’elle répond à un besoin. Combien de langues ont disparu pendant ce temps-là ?..
« Néanmoins, la réalité est ainsi : aujourd’hui, tous les textes concernant directement le citoyen, c’est-à-dire, pour résumer, les lois, sont belles et bien traduites en vingt-et-une langues. »
Avec un retard plus ou moins grand pour toutes les langues sauf l’anglais, avec plein de fautes de traduction. Regardez la page d’accueil de la Commission européenne http://ec.europa.eu/ : l’interface est en anglais. Et en visitant la section des documents, vous constaterez qu’ils sont absents en plusieurs langues.
Ceci dit, vous vous trompez en disant que l’espéranto est complètement absent : http://www.ecml.at/edl/default.asp?t=materials
« aujourd’hui, les institutions européennes ont le devoir de répondre aux questions posées par le citoyen dans la langue qu’a empruntée le citoyen »
Une fois, j’ai écrit aux institutions et j’ai reçu la réponse en anglais. Cette réalité, je l’appelle le multilinguisme théorique et vivotant :-)
« un vœu n’ayant pas reçu la moindre onction soit un objectif plus atteignable »
Plusieurs députés ont posé des questions concernant l’espéranto (la dernière date du 03.10.2006). Le rapport Dell’Alba sur la diversité linguistique et culturelle en Europe, a été voté par le Parlement européen en session plénière le 1 avril 2004. Le rapport a été adopté par le Parlement. La référence à l’Espéranto n’a pas été acceptée, mais a reçu le soutien de 43% des députés présents - environ 120 pour et 160 contre (vote par main levée). JE précise que ce sont deux parlementaires allemands, MM. Michael Gahler et Ingo Friedrich qui ont tout mis en œuvre afin de supprimer cette mention de l’espéranto.
« la cible est le manque de dialogue entre les peuples, le manque, in fine, de compréhension interculturelle »
Évidemment. Cependant ce que nous connaissons des autres cultures nous vient des traductions. On croule sous la culture états-unienne (je ne veux pas dire qu’elle est sans intérêt, mais y a surdose), mais peut-on souvent entendre à la radio les chansons des pays - membres de l’UE ? Que connaît un citoyen ordinaire sur les écrivains, cinéastes, chanteurs des pays voisins ? L’Europe est un vaste espace commercial, où, curieusement, la production cultuelle est très peu échangée.
Quant au dialogue proprement dit, en quelle langue proposez-vous l’effectuer ? Ces parents que vous pensez pouvoir sensibiliser, pensent de façon pragmatique : la pub dit « apprenez l’anglais, et vous pourrez communiquer dans le monde entier », les entreprises exigent un TOEIC même pour des postes où les langues étrangères ne sont pas utilisées, et les commissaires européens, même de langue maternelle différente, s’expriment en anglais. L’exemple le plus flagrant, c’est Jan Figel, « commissaire européen en charge de la culture et du multilinguisme », qui parle de ce multilinguisme exclusivement en anglais.
Et même si dans ces conditions certains parents veulent choisir pour ses enfants autre chose que l’anglais, on leur répondra dans les collèges « l’anglais est in-con-tour-nab-le ! » et proposera le choix entre l’anglais et l’anglais additionné d’allemand (premier partenaire économique).
« Il y a, selon moi, lieu de les opposer dans la mesure ou la promotion du multilinguisme vaut volonté de voir se développer la capacité polyglotte de l’individu, tandis que l’espéranto tend à permettre à l’individu de ne pas avoir à apprendre de langues »
C’est un a priori très fréquent qui n’est pas basé sur l’examen des faits ni sur l’expérience. Quelles sont les connaissances linguistiques d’un individu ayant passé des années à apprendre l’anglais et une autre langue ? Le niveau de la première langue fait objet des plusieurs rapports et ne laisse pas d’illusions. Celui de la deuxième, on n’en parle même pas. Il est intéressant de constater que dans les pays multilingues la situation n’est guère réjouissante… mais s’il était possible de rendre les gens polyglottes si facilement, il n’y aurait pas de frictions linguistiques en Suisse, par exemple, et les langues régionales n’auraient pas connu un tel déclin.
Maintenant dites-moi, en quoi un an d’espéranto au primaire serait si néfaste à l’apprentissage des autres langues au collège ? Ses qualités propédeutiques, je les ai observées personnellement. Le fait qu’il réveille le goût aux langues, je l’ai expérimenté sur moi (sans l’espéranto, je n’aurais pas appris les langues que je connais aujourd’hui, et mon français, certes pas parfait, serait resté à l’état embryonnaire, malgré des années d’étude à l’école et à l’université). Parmi les espérantistes, le pourcentage des polyglottes dépasse de loin la moyenne nationale (m’importe quelle nationale), et en parlant des polyglottes je n’inclus pas l’espéranto dans la liste.
« Je parle d’outil de communication parce que l’espéranto n’a pas d’histoire, pas de culture qui y soit rattachée »
Umberto Eco a dit que l’espéranto avait une belle histoire. La culture y est également, la mosaïque des cultures très diverses.
« Au terme communication, j’oppose celui de dialogue »
Si vous êtes capable de parler toutes les langues de l’UE, respect. Au fait, vous en parlez combien ?
Bien joli cet exemple de Makine, mais c’est un cas rare. L’attachement à une langue étrangère n’exclut en aucun cas l’utilisation de l’espéranto comme langue pont.
« Dans ce cas, je vous le demande : comment éviter cet écueil avec l’espéranto ? »
Tout simplement. L’espéranto ne représente aucune puissance, aucune nation. Sa culture n’est pas écrasante, car chacun y apporte de la culture de son peuple. Vous parlez de l’uniformisation, ce qui démontre que vous ne connaissez rien à l’espéranto, car ce monde-là est tout sauf uniforme. Renseignez-vous un peu, au lieu de vous enfermer dans des préjugés !
« j’ai foi en l’Homme, en sa capacité de toujours plus se développer, et, surtout, de développer sa curiosité »
Que c’est beau… Ben l’Homme, il est curieux. Mais il ne peut pas parler toutes les langues du monde. Mon intérêt pour la civilisation française m’est venu de mes lectures - traductions en russe, des films français doublés en russe, et la langue est venue plus tard (merci à l’espéranto qui m’a redonné le courage de me replonger dans les études de langues). En revenant à la réalité, dites-moi, comment doivent se comprendre les Européens dont l’un parle allemand, portugais et estonien, et l’autre polonais, grec et suédois ?
D’autre part, puisque vous écrivez sur Taurillon, lisez au moins cet article http://www.taurillon.org/L-Europe-a-t-elle-besoin-d-une
dont l’auteur s’est donné la peine de passer outre les clichés et les préjugés.
8. Le 3 novembre 2006 à 12:57, par krokodilo En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Mme,
« Vous taxez, chacun à votre tour, en des termes plus ou moins corrects, mon texte de fumisterie, de liste de clichés, »
J’ai qualifié votre article de fumeux et non de fumisterie, et malgré la racine commune la nuance est importante : si fumisterie évoque une tromperie, fumeux signifie simplement flou, peu clair, vous pouvez vérifier. C’est une bonne chose que Taurillon aborde souvent le problème de la communication dans l’UE qui est masqué par les autres médias, mais j’avais trouvé votre article trop théorique, éloigné de la réalité qui, comme vous le reconnaissez dans votre message est loin d’être un multilinguisme réussi. Vous repreniez l’optimisme naïf de la commission européenne des langues, sans distance critique, sans bilan de la situation actuelle.
« aujourd’hui, tous les textes concernant directement le citoyen, c’est-à-dire, pour résumer, les lois, sont belles et bien traduites en vingt-et-une langues. » J’apprécie la restriction « directement » : est-ce à dire que les documents scientifiques et les rapports en tout genre ne concernent pas le citoyen ? Car ils sont tous en anglais, il suffit de visiter le site Internet pour s’en rendre compte.
« la cible est le manque de dialogue entre les peuples, le manque, in fine, de compréhension interculturelle. Et combler ce déficit ne passe pas, il me semble, par l’apprentissage d’un »outil de communication« qui ne manquera pas de se développer au détriment de l’apprentissage des langues. » Le dialogue ne passe pas par un outil de communication ? Astonishing. Mi ne komprenas tion. de plus, jusqu’à preuve du contraire, pratiquement tout ce que nous savons des autres sur la planète nous vient de la traduction. Bien peu sont capables de pénétrer l’âme d’un peuple en VO, et dans bien peu de langues, souvent une seule LV1, voire deux. Et quelques exceptions parmi ces exceptions maîtrisent plusieurs langues, mais est-ce une raison pour prétendre faire de tout un chacun un traducteur émérite ? Est-ce seulement faisable ?
« force est de constater que celui-ci n’a, pour le moins, pas réussi à faire ses preuves : en 120 ans d’existence, il n’a convaincu que deux millions de personnes,… constater que l’espéranto se conjugue désormais au passé. » C’est votre avis, soit. Mais vous prenez le sujet à l’envers : pour la première fois dans l’histoire, une langue construite (conlangue) est passée de un locuteur à plus de 2 millions, en 120 ans à peine, et sans l’aide d’un état ni d’une religion ni d’une ethnie. C’est un remarquable succès ! Et un événement unique dans l’histoire de l’humanité, très sous-estimé. En outre, de nombreux indices montrent une progression régulière en France, pays des plus réfractaires, dont on a indiqué divers exemples dans les messages sur l’article de Taurillon qui traite de l’Eo d’une façon équitable et nuancée, aussi je ne veux pas répéter et vous invite à lire les divers commentaires.
« si l’espéranto pourrait avoir été un outil de communication pratique, je réfute avec vigueur la thèse selon laquelle il s’agit là d’une langue. L’espéranto accuse intrinsèquement, selon moi, plusieurs défauts. » L’Eo étant reconnu depuis belle lurette comme une langue à part entière par le Penclub international (association littéraire, ne pas confondre), l’Unesco et le Vatican, dois-je en conclure que votre avis est plus pertinent que celui de ces hautes instances ?
« Au terme communication, j’oppose celui de dialogue. Le dialogue, à l’inverse, c’est l’échange, échange de cultures, et le respect – la personne qui entend parler sa langue propre par un étranger s’en sent toujours ému, » C’est beau comme l’antique, mais j’avoue préférer le pragmatisme. Le dialogue, c’est fait pour faire passer une information : « les mammouths seront gras cette année, non ? » ou encore « les corbeaux volent bas, les romains n’envahiront pas la Gaule, c’est le message des Dieux. » Information pas toujours juste, faut reconnaître. Blague à part, comme vous l’avez reconnu, ne parle-t-on pas maintenant chez les pédagogues d’anglais de communication ? Manière pudique d’admettre que l’anglais appris à l’école ne permet même pas de parler de football dans un pub anglais, trop d’argot, trop d’accent, trop rapide, trop native, trop fluent, trop difficile !
« Dans ce cas, je vous le demande : comment éviter cet écueil avec l’espéranto ? Ceci est une préoccupation première des pro-multilinguisme : éviter le piège de l’uniformisation des cultures, piège inévitable, à mes yeux, lorsque l’on en vient à parler d’un seul outil de communication pour tous » Pragmatisme encore : l’uniformisation est déjà là. Faites un tour au rayon jouet d’un grand magasin, vous y verrez des toys, des bikes, des funbikes, player, games pour les kids, etc… Ouvrez la télé en prime-time, vous y entendrez parler de coaching, rabattez-vous sur votre frigo et mangez des chicken-wings ou un cheese, ou des cranberries (canneberge), retournez devant la télé pour regarder « totally spies » (un dessin animé) ou kiditrouille, Staracademy, M6music’ ou M6kids ! Pour les adultes : Euronews ! sur Internet : newropeans. Au fait, bravo à Taurillon pour avoir choisi un mot français.
« Et voulons-nous vraiment en venir à une langue, une mentalité, une culture - unique et uniforme - pour tous les citoyens européens ?! » La proposition de l’Eo comme langue auxiliaire garantirait au contraire le respect de chaque langue, grande ou petite. Rien à voir avec l’euro qui a remplacé les monnaies.
« maîtrise de l’anglais est certes aujourd’hui un objectif louable, il s’agit néanmoins là d’un objectif sans doute loin d’être suffisant sur le long terme (puisque rien ne dit que - dans vingt ans - ce ne sera pas le chinois qui sera alors la langue des affaires la plus parlée…) » Effectivement, mieux vaudrait que chacun apprenne au lycée sous forme de modules la ou les langues de son choix, celles dont il pense avoir besoin pour son futur métier, ou selon ses goûts ou tradition familiale, tout en ayant appris l’Eo (durant un ou deux ans seulement) qui, rappelons-le est la moins difficile de toutes les langues, ce qui permettrait au moins de disposer d’un moyen de communication entre européens. Cela n’exclurait pas l’étude de la langue locale et d’une langue étrangère nationale. Alors qu’actuellement, la réalité c’est encore et toujours le renforcement de l’anglais, l’initiation au primaire, avec parfois un peu d’allemand, souvent sans choix possible.
« J’en concluais et en conclue toujours, quant à moi, que connaître la langue de l’Autre est un moyen de dialogue incontournable. » Noble ambition, et travail d’Hercule quand on songe aux quelque 6000 langues… Il y a tellement d’autres choses à apprendre que les langues. Combien faut-il en apprendre pour satisfaire cette ambition de comprendre l’autre, et quels autres ? Tchèques, espagnols, italiens, slovènes, etc… Comme toujours, un peu de précisions svp, quelles langues et à quel niveau ?
« ’espéranto n’a pas d’histoire, pas de culture qui y soit rattachée » 120 ans, ce n’est pas de l’histoire ? Le français a quoi, deux siècles ? L’hébreu moderne a en gros le même âge que l’Eo, et le nouveau romanche (synthèse de plusieurs dialectes) est encore plus jeune !
« Si Andreï Makine, d’origine russe, a écrit Le Testament français directement en langue française, ce n’est pas un fait neutre. » Les exceptions restent ce qu’elles sont : des exceptions qui ne prouvent nullement que le multilinguisme est une solution possible pour la communication en Europe. Le contre-exemple de la Suisse et de la Belgique me paraissent plus parlants.
« Je pense que le choix de l’espéranto serait un acte de démission vis-à-vis de l’Homme. Je suis fédéraliste » Be happy, the UE is a federation, with this ridiculous and outrageous logo written in english, avec le symbole commercial du registered, un comble !
« Cela me permet de revenir également sur mon affirmation d’une contradiction intrinsèque entre multilinguisme et espéranto, au sens où j’ai présenté le multilinguisme dans mon texte. Il y a, selon moi, lieu de les opposer dans la mesure ou la promotion du multilinguisme vaut volonté de voir se développer la capacité polyglotte de l’individu, tandis que l’espéranto tend à permettre à l’individu de ne pas avoir à apprendre de langues. Dès lors, je ne vois pas la complémentarité dont vous parlez. » Savez-vous qu’il y a dans l’Eo un tiers de racines germaniques et anglaises, pour deux-tiers latin et grec ? C’est une bonne étude de l’étymologie, et une perpétuation de nos racines classiques. Nombre d’espérantistes sont polyglottes. Pourquoi ne pas rapporter l’opinion de Georges Kersaudy, polyglotte émérite qui pense que l’Eo sera le ciment de l’Europe ? Ou d’Albert Jacquard ? Dans ce domaine de la communication, les personnalités qui soutiennent la solution Eo sont rejetées comme non-conformes au dogme, de même que le rapport Grin n’a pas été rapporté ni commenté, ni même critiqué, alors que le rapport Thélot qui voulait inclure l’anglais dans le socle commun a bénéficié d’une énorme publicité !
« Le multilinguisme est inscrit dans les textes communautaires comme étant une nécessité, desquels textes sont bizarrement absentes toutes références à l’espéranto » C’est surtout l’égalité des langues qui est dans les textes, mais absente de la réalité ! Il y a peu, le basque, le catalan, le gaélique, l’irlandais étaient absents des textes, rien n’est figé définitivement.
« tandis que le multilinguisme est sur une voie de développement, » Heu ? C’est l’anglais qui se développe. Voyez plutôt l’article détaillé sur le blog de M. Quatremer (21/03/06) qui détaille le recul du français depuis l’adhésion de la GB. http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2006/03/lunion_prend_la.html
Et si le multilinguisme pour tous (3 LV à un niveau fluide) était une impossibilité logistique ? Encore du pragmatisme direz-vous ? Comment proposer une vraie diversité de langues, comment fournir des bataillons de profs de langues en nombre suffisant dans chaque collège ? En outre, un rapport récent signale que les élèves français ont plus d’heures de cours que la moyenne européenne pour des résultats moyens ou inférieurs, va-t-on rajouter des heures de langue ? Quel gouvernement va embaucher d’un coup des milliers de profs de langue supplémentaires ?!
« connaître la langue de l’Autre est un moyen de dialogue incontournable. » Vous demandez à tous de devenir polyglottes émérites, que diriez-vous si l’on vous demandait de maîtriser la biologie, ou la chimie, de connaître le nom de tous les arbres, ou de savoir construire une maison ? Une fois encore, je vous demande d’être précise, pratique : avec quel autre doit-on dialoguer, quelles langues sur les 6000 et quelques, à quel niveau ? Comment voyez-vous en pratique ce mythique multilinguisme européen ? Ce multilinguisme que vous souhaitez n’est finalement pas moins utopique qu’une langue auxilaire commune de communication, car aucune des deux situations ne s’est encore vue dans l’histoire. Chaque nouvelle échelon politique a fini par se doter d’une langue, qui fut souvent celle du colonisateur, voire le français lui-même qui s’est imposé aux régions par la contrainte. Sans nier ces violences historiques faites aux langues régionales et à leurs locuteurs, force est de reconnaître qu’il est assez pratique de pouvoir discuter entre Français. Le même problème se pose aujourd’hui à l’échelle européenne ! Pour l’instant, on ne peut pas discuter entre européens. Je crains que prôner un multilinguisme que je crois chimérique ne fasse le lit de l’anglais, en tout cas c’est le constat qu’on peut faire jusqu’à présent.
9. Le 3 novembre 2006 à 15:06, par Ronan Blaise En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Suite à la publication de nombreux commentaires sur ce sujet, juste faire un petit rappel de forme général :
(1) La rédaction du webzine « Taurillon », émanation éditoriale de l’association « Jeunes Européens France » (et dont le rédacteur en chef est membre du Bureau national de la dîte Association) se réserve le droit de publier dans ses colonnes des points de vue contradictoires sur certains débats dans la mesure où ces points de vue - bien que contradictoires - sont susceptibles de faire avancer sinon le débat en lui-même, tout du moins la connaissance du sujet (et la connaissance réciproque de ces différents points de vue sur la question...).
(2) Ici, une fois de plus, il ne s’agit pas de confondre les uns ou les autres dans leurs éventuelles erreurs, mais de rendre possible une meilleure connaissance du sujet (et de l’argumentation d’autrui). A ce seul sujet, on reprendra donc les propos de Lacordaire selon lesquels, en substance, il ne s’agit absolument pas de confondre autrui dans son éventuelle erreur mais plutôt de chercher à s’unir à lui dans la recherche d’une vérité plus haute (éloge de la recherche du consensus, s’il en est...).
(3) Par ailleurs, il me semble qu’Elodie pointe du doigt certaines réalités qui me semble incontournables. Parmi lesquelles la nécessité juridique (en l’état actuel des textes européens et en l’état actuel de l’absence tangible d’une véritable langue commune) d’un multilinguisme officiel. Parmi lesquelles la liberté individuelle de s’adonner aux langues (ou pas...), ce qui rend d’autant plus nécessaire le point précédant.
(4) De même, juste préciser que si l’Eo représente sans doute effectivement une option intéressante pour l’avenir (et un sujet à creuser, certainement...) il me semble (point de vue tout à fait subjectif, effectivement...) que cette langue n’a pas (encore ?) répondu à toutes les attentes initiales mises en elle. A ce sujet, peut-être faut-il encore attendre... (Et peut-être que le développement des nouvelles technologies, telles internet, va-t-il effectivement permettre une évolution rapide des points de vue sur cette question...).
(5) Pareillement, juste préciser que le rêve d’une Europe fédérale (ce que l’UE d’aujourd’hui n’est pas, loin s’en faut : à peine un ’’ovni juridique’’, brouillon imparfait d’Europe supranationale inaccomplie...) ne prévoit pas la ’’fusion’’ de nos sociétés, mais bien l’organisation de la coexistence pacifique et d’une collaboration vertueuse de celles-ci autour de disciplines et de règles communes librement acceptées.
(6) Enfin, juste préciser qu’aucune de ces évolutions actuelles et à venir ne pourra être une ’’évolution durable’’ si n’est pas accompagnée par une volonté politique (consacrée par le suffrage). Et cela est vrai tant pour l’Europe tiédement supranationale actuelle (ici rapidement évoquée...) que pour l’Europe fédérale (dont nous rêvons effectivement, aux JE-France...), que pour - sur le plan linguistique, trois options qui s’ouvrent effectivement à nous pour l’avenir : (1) le maintien du (couteux) multilinguisme actuel, (2) la prédominance inavouable de l’anglais (Cf. récent ’’scandale’’ Together) ou (3) l’émergence de l’Eo en tant que nouvelle langue auxiliaire commune.
D’où l’intérêt, précisément, d’ouvrir le débat. Pour que, quoi qu’il se décide, au moins que cela ne se fasse pas sans l’assentiment des Européens, démocratiquement et dans le respect des règles du droit. Puisque « La liberté n’est possible que dans un pays où le droit l’emporte sur les passions. » (sic, Lacordaire, encore lui...).
Rona Blaise (Rédacteur en chef)
10. Le 3 novembre 2006 à 19:57, par skirlet En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
J’avoue que je me suis un peu emportée. Ce n’est pas une excuse, mais voir l’espéranto accusé pour la énième fois d’être le véhicule de l’uniformisation, de l’écrasement culturel est quelque peu agaçant, vu que cette accusation n’est basée que sur un cliché archifaux.
Il est vrai que l’espéranto ne fait pas partie des textes officiels. Le multilinguisme est répété à toutes les occasions. Quelles en sont les retombées, il est plutôt évident. En URSS, les textes officiels proclamaient qu’on vit dans une société socialiste, et un beau jour une conclusion non moins officielle a été rendue : elle stipulait que la société est entrée dans la phase du socialisme développé. « Le multilinguisme en marche » me rappelle irrésistiblement ce socialisme... Sauf si on appelle « multilinguisme » le principe « chacun son patois et l’anglais pour tous » - ça fait deux langues, donc plus qu’une, donc le multilinguisme.
« cette langue n’a pas (encore ?) répondu à toutes les attentes initiales mises en elle »
Etant donné qu’aucune langue jusque là dominante n’a pu assurer une communication efficace et démocratique, il est peut-être temps de chercher des solutions alternatives. On n’invente pas l’électricité en améliorant la bougie. Les obstacles pour l’espéranto sont de nature politique, non linguistique.
« D’où l’intérêt, précisément, d’ouvrir le débat. Pour que, quoi qu’il se décide, au moins que cela ne se fasse pas sans l’assentiment des Européens, démocratiquement et dans le respect des règles du droit. »
Précisément ! Et pour que les Européens puissent choisir, il faut qu’ils connaissent toutes les options, au-delà de l’incantation « multilinguisme - parlez trois langues » toute seule. D’autant plus que l’espéranto est une chance pour ce multilinguisme.
11. Le 12 novembre 2006 à 02:41, par Tim Morley En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Merci, d’abord, pour cette réponse bien réfléchie et argumentée. Vous n’êtes pas d’accord avec certains arguments pour l’espéranto, soit, mais vous méritez du respect pour le ton et le contenu de votre réponse.
Je souhaiterais répondre à certain de vos points, en espérant que ça mène à encore de réflection pour nous tous, sinon un changement d’avis (peut-être de nous tous !)
Vous dîtes : [...] force est de constater que [l’espéranto] n’a, pour le moins, pas réussi à faire ses preuves : en 120 ans d’existence, il n’a convaincu que deux millions de personnes, sur six milliards, lorsque l’on parle d’espoir …
Vous avez raison que l’espéranto n’est pas, aujourd’hui, la deuxième langue du monde entier, c’est sûr. Par contre, quand on entend parler tellement rarement dans les médias, quand on nie son existence même tellement souvent, quand la majorité du monde ignore le nom, sans parler de la langue elle-même, je dirais que deux millions n’est finalement pas mauvais. Si l’espéranto était déjà la deuxième langue de tout le monde, nous ne serions pas en train de poursuivre cette discussion !
Vous dîtes : Je parle d’outil de communication parce que l’espéranto n’a pas d’histoire, pas de culture qui y soit rattachée.
La langue a bien 120 ans d’histoire... c’est-à-dire pas trop différent du cas de l’hébreu moderne. Cette langue a été créée plus ou moins à la même époque que l’espéranto, basée également sur une ou des langues existantes... alors est-ce que cet « outil de communication » n’est pas digne, lui nonplus, de s’appeler « une vraie langue » ?
Quand à la culture espérantiste, je cite un extrait d’un article de Claude Piron, qui mérite bien d’être lu en entier :
Of course, it all depends on how you define language. If you use Martinet’s definition, Esperanto counts as a language, but many other definitions have been put forward and accepted by linguists. Even on one of those other interpretations of the term « language », however, it is difficult to see in Esperanto a code rather than a language when you consider the following quatrain by Henri Vatré :
Nu, Ariadna, ĉu la modo-mastron
ni fadenfine pinglos en Panamo ?
Siren-logite li ĵus el Havano
edzecon fuĝis kiel fidel-kastron.
It would be impossible to explain the background of these four verses, with all the allusions they contain. Let us just say that they refer to an elusive Panamanian Esperanto poet who worked for a while in the world of fashion, of haute couture. A rough translation would be :
’Well, Ariadne, this fashion master,
will we eventually (literally : at the end of the thread) pin him down in Panama ?
Seduced by sirens, he just ran away from Havana,
fleeing from marriage (lit.
husbandness',
husbandhood’) as from the castration that faithfulness is’.[It so happens that in Esperanto fidel-kastro means ’the sort of castration called fidelity’ or ’faithfulness in marriage felt as castration’].
Does a code allow such wordplay, such allusions ? Does a code have connotations ? Does a code have a community of users with a sense of humor and with the kind of shared cultural traditions that enable its members to understand such a piece ? Let the reader decide.
Après, vous décrivez exactement la situation que j’ai vécue de nombreuses fois par les moyens d’espéranto, et puis vous annoncez que ceci n’est absoluement pas possible par les moyens d’espéranto. Permettez-moi de dire que je ne suis pas d’accord avec votre conclusion. Vous parlez du sentiment d’avoir quelque chose en commun, d’être proche l’un à l’autre, que deux personnes ont une intéraction profonde dans une langue qu’ils partagent tous les deux. Ces expériences, des fois forte en émotion, j’ai déjà eu en anglais, en français et en espéranto.
Ces expériences m’obligent de disputer votre assertion que ma deuxième langue, l’espéranto, est moins une langue que mes deux autres.
Votre prochain point est, en fait, quelque chose qui me trouble aussi à propos de l’espéranto : je m’interroge : cette américanisation totale tant redoutée ne vient-elle pas de la diffusion à outrance de la langue des Américains ? Dans ce cas, je vous le demande : comment éviter cet écueil avec l’espéranto ?
Justement, comment pourrait-on être sûr que l’éventuel introduction d’espéranto dans les écoles primaires d’Europe (disons) n’aurait pas comme résultat une situation qui réfléchit les pires aspects de la domination actuelle de l’anglais ? Et honnêtement on est obligé de dire que personne ne peut être sûr.
Cependant, je suis tellement convaincu des avantages par rapport à la situation actuelle et des valeurs positives d’un tel programme — facilité de communication entre citoyens ordinaires sur un pied d’égalité, facilité de commerce entre les divers pays, et oui, enthousiasme pour l’étude des langues étrangères — que je continue à plaidoyer pour cela.
J’entends votre incrédulité à propos de mon dernier point — que l’enseignement d’espéranto donne un enthousiasme pour les langues étrangères — mais encore une fois, c’est ce que me font croire mes propres expériences. J’enseigne actuellement l’espéranto à trois classes dans une école primaire, et les enfants découvrent des histoires pour enfants de divers pays ;
ils sont en contact avec des enfants en Afrique, et nous poursuivons des contacts potentiels dans quatre pays européens ; ils posent des miliers de questions à propos des langues et des cultures de ces pays, auxquelles j’essaie de répondre autant que possible ; et, parce qu’ils ont commencé avec une langue dont la grammaire est tellement logique et facile à apprendre, ils ont tous appris eux-mêmes qu’ils sont bel et bien capables d’apprendre une langue étrangère, et je ne doute pas qu’ils ont hâte d’en essayer d’autres.
Pour répondre plus directement à votre point — « Si un outil permet de communiquer avec le reste des habitants de la terre, pourquoi se fatiguer à apprendre des langues étrangères ? » — la réponse me semble plus ou moins évident. Aujourd’hui, on dit que la langue de la commerce internationale et l’anglais, mais si moi je veux vendre mes produits, disons, en Allemagne, est-ce que j’aurais plus de succès en anglais ou en allemand ? Je suis sûr que l’accueil chez l’éventuel acheteur sera plus chaleureux pour le vendeur germanophone. Et si je souhaite ouvrir une agence à Moscou, est-ce que l’anglais suffira, ou est-ce qu’un peu de russe ne serait pas utile ?
Finalement, vous dîtes : Il y a, selon moi, lieu [d’opposer le multilinguisme et l’espéranto] dans la mesure ou la promotion du multilinguisme vaut volonté de voir se développer la capacité polyglotte de l’individu, tandis que l’espéranto tend à permettre à l’individu de ne pas avoir à apprendre de langues.
Considérons quatre cas :
(1) Beaucoup de personnes, peut-être même la majorité, terminent leurs études (quelque soit le niveau) sans jamais maîtriser une langue étrangère. Ils savent peut-être balbutier quelques minutes dans un anglais bourré de fautes, mais il sont très très loin d’être à l’aise dans la langue. Pour ces gens-là, il est fort probable qu’ils auraient un niveau nettement supérieur en espéranto pour la même période d’étude. Conclusion : ce groupe est gagnant.
(2) Il y en a aussi pas mal qui, à un âge où on a déjà raté de quelques décennies le meilleur moment pour l’apprentissage des langues, se trouvent obligés de payer très cher un stage intensif de Business English en Angleterre ou aux Etats-Unis. Si on utilisait l’espéranto au lieu, il n’y aurait aucun avantage à quitter son pays pour faire ce genre de stage (ou au moins on pourrait choisir n’importe quel autre pays), et l’apprentissage seraient nettement moins pénible aussi. Résultat : ce groupe est gagnant.
(3) D’autre personnes étudient une ou deux langues étrangères, et réussissent à communiquer avec un bon niveau de compétence dans cette/ces langue(s). Je me compte moi-même parmi ce groupe.
Des expériences ont suggéré que l’étude de l’espéranto comme première langue étrangère facilite tellement l’apprentissage d’autres langues après, que le temps passé sur l’espéranto est vite rattrapé. Grosso modo, deux ans d’espéranto suivi de trois ans d’une autre langue X donne un niveau supérieur dans cette langue X que cinq ans d’étude de cette langue. Conclusion : ce groupe est gagnant.
(4) Finalement, il y a des gens qui sont passionnés des langues, qui en étudient pour le plaisir, les polyglottes. Ce sont les traducteurs, les interprètes, les linguistes professionels. Pour ces gens, une langue de plus ou de moins ne change pas grand-chose, surtout quand on parle de la langue qui sera sûrement la plus facile, et donc la plus rapidement acquise et donc qui laisse le temps libre pour l’étude d’autres langues... bref, ce groupe aussi n’est guère perdant.
Vous parlez de la capacité polyglotte de l’individu, mais nous ne sommes pas tous dans ce quatrième groupe. Beaucoup de gens ont bien d’autres chats à fouetter, et tant mieux pour eux. Attendre que tout le monde soit polyglotte me semble encore moins réaliste que d’attendre l’adoption imminent de l’espéranto !
Bon, j’ai beaucoup écrit, et j’ai déjà dit « finalement », mais je vais terminer (finalement !) sur votre dernier point, avec lequel je suis absolument d’accord : J’ai foi en l’Homme, en sa capacité de toujours plus se développer, et, surtout, de développer sa curiosité. Je crois que peut naître en lui, progressivement, le goût de l’Autre, de l’étranger.
Je suis absolument, 100% d’accord avec vous, mais je vous dis une dernière chose : pendant tous mes voyages et toute ma vie jusqu’ici,
les gens qui sont les plus ouvert aux autres que j’ai jamais rencontrés, ce sont les espérantistes. Pourquoi ils auraient choisi d’apprendre une langue qui, finalement, n’apporte quasiment jamais un sou à personne, mais qui permet un contact très chaleureux et une communication très libre et très expressive avec des gens de partout dans le monde ? C’était la première parmi les motivations pour moi, et je n’ai pas été déçu.
12. Le 12 novembre 2006 à 10:40, par Henri Masson En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Lorsque j’écris que l’on tourne en rond, je parle non point de l’espéranto, qui aura 120 ans l’été prochain, mais de la lettre envoyée voici près de cent ans par le professeur Cart au ministre de l’Instruction publique à propos du caractère illusoire du multilinguisme comme solution aux problèmes de communication entre les peuples. Dans cette lettre, il montrait l’illusion du plurilinguisme, sans pour autant condamner l’apprentissage des langues, puisqu’il était lui-même polyglotte. Il a été maintes fois démontré que la meilleure voie vers le multilinguisme passe par l’espéranto comme première langue, du fait de ses avantages propédeutiques. Or, l’anglais comme première langue conduit au renforcement de l’anglais et mène tout droit à son statut de langue unique, et ceci presque cent après la lettre du prof. Cart, ce qui a été fort justement illustré dernièrement par l’affaire « Together since 1957 » alors que c’est bien après 1957 (1er janvier 1973) que la Grande-Bretagne a fini par se joindre à ce qui allait devenir l’UE. Et elle avait préparé son coup pour en aboutir à cela : dès 1971-1972, le British Council avait reçu 16% de crédits supplémentaires pour faire avancer le pion de l’anglais sur l’échiquier européen. Peu de gens le savent, et peu de gens ont remarqué les manoeuvres de Neil Kinnock quand il était vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé de la réforme administrative. Ça lui valait bien d’être élevé au rang de Lord ! Aujourd’hui, il est président du British Council, et sa connaissance des rouages de la machine européenne ne va certainement pas contribuer à réduire le poids déjà écrasant de l’anglais.
Prétendre que « l’espéranto se conjugue désormais au passé » démontre une perception plutôt tordue des faits. Si c’est à Sciences Po que l’on en vient à de telles déductions, mieux vaut aller à l’école primaire du moindre village. La page "L’espéranto au présent" prouve précisément le contraire, et sa remise à jour est de plus en plus difficile du fait qu’il y aurait constamment quelque chose à rajouter. Mais, de toute façon, elle ne vise qu’à donner un aperçu. Toute personne qui sait faire usage de son cerveau peut aller plus loin.
Une question fréquente concerne le fait que l’enseignement et la pratique de l’espéranto ne soient pas encore généralisés dans le monde entier après bientôt 120 ans d’existence. Il ne faut pas sous-estimer les obstacles politiques pour comprendre cela, ce qui nécessite une bonne connaissance de son histoire (le premier manuel d’espéranto est paru seulement 20 ans après « Le Capital », de Marx). Et puis, lorsque le public entend à longueur de journée, d’une part, qu’il n’est point de salut en dehors de l’anglais, que l’on n’existe pas sans lui, et , d’autre part, lorsqu’on lui martelle d’une façon aussi constante que l’espéranto n’a pas marché ou ne peut pas marcher, d’une façon générale, il ne cherche pas à s’informer, à réfléchir, à tenter l’expérience. C’est bien sur ça que misent ses adversaires et détracteurs. Un exemple tout récent : vendredi dernier, le 10 novembre, dans l’émission « Inoxydable » de France Inter, l’invité de José Artur était Alain Rey (écoute possible, en principe, jusqu’au 17.11). C’est sans nul doute un homme instruit, très cultivé, intelligent, peut-être peut-on même dire érudit. Or, en parlant de l’espéranto, il a dit :
« Alors, c’est une langue artificielle. C’est une langue qui est fabriquée par un type très bien, qui s’appelait Zamenhof — il était polonais — et qui a inventé une langue avec comme base uniquement des mots indo-européens, surtout venus du latin. Donc c’est une langue qui peut marcher entre Européens, mais qui ne peut pas marcher avec les Chinois, évidemment. »
Ainsi, les auditeurs, tout autant que José Artur — qui a cru judicieux d’ajouter, sans doute de bonne foi, puisqu’il n’en sait vraisemblablement pas plus (?) : « Du tout ! » —, se seront laissé abuser par une personne que l’on peut supposer être de bonne foi et qualifiée pour en parler. Remarquez surtout ce « Évidemment ! » qui en dit long : on n’en discute surtout pas !
Dommage que José Artur n’ait pas eu l’idée de demander à Alain Rey s’il se foutait du monde. En effet, comment l’espéranto ne pourrait pas marcher avec les Chinois, alors que l’anglais et le français, à bases indo-européennes aussi, autrement plus complexes, fonctionne ? La conjugaison n’existe pas en chinois. En français, elle est très compliquée : il existe des dictionnaires pour la conjugaison de 12 000 verbes et même des sites dédiés, ce qui est parfaitement inutile pour l’espéranto. En anglais, elle est plus simple mais de loin plus compliquée qu’en espéranto, lequel n’a aucun verbe irrégulier. Les complications de l’anglais sont ailleurs : prononciation, intonation, idiotismes, etc..
Dans les faits, l’espéranto fonctionne déjà depuis longtemps en Chine : Radio Chine Internationale l’utilise régulièrement. L’un des plus grands écrivains chinois, Pa Kin, était espérantiste. C’est en Chine que, pour la première fois au monde, l’espéranto fut officiellement introduit dans l’enseignement par décret de Tsaï Yuanpeï, ministre de l’éducation du gouvernement de Sun Yatsen, en 1912. La Chine figure parmi les 11 pays qui apportèrent leur soutien à l’espéranto auprès de la Société des Nations (SDN) dans les années 1920 et, plus tard, lors des Conférences Générales de l’Unesco, en 1954 et 1987.
Le comportement d’Alain Rey par rapport à l’espéranto n’est pas une exception. Informer des gens de cette espèce ne sert à rien : ils sont enfermés dans leurs préjugés comme le plus borné des analphabètes et ne prêtent aucune attention à l’information, aussi édifiante qu’elle soit.
Même écrite dans « Le Monde », une ânerie reste une ânerie. Ainsi, dernièrement, Thomas Ferenczi, afin de balayer l’espéranto, répétait à son tour la fameuse citation de Gaulle, peut-être la plus stupide de sa vie, à propos du volapük et de l’espéranto.
Ce ne sont que deux exemples, parmi une multitude, de ce qui a été dit et écrit à l’encontre de l’espéranto par des gens qui n’en connaissaient guère plus que le nom et qui ne faisaient que répéter des préjugés vieux de plus d’un siècle.
Je signale qu’il y a quand même des heureuses exceptions, par exemple, la rubrique « Santé & Bien-être », de Marina Carrère d’Encausse sur Europe 1 (durée d’écoute et de lecture limitée à 1 mois à partir du 27.10.2006). C’est encore rare, mais nous ne sommes plus au temps où l’opinion publique dépendait totalement de médias traditionnels plus ou moins inféodés à telle ou telle entité politique ou économique. L’espéranto apporte, dans le domaine linguistique, ce qu’Internet apporte sur le plan technique. Même plus, du fait que, lui, il est accessible à tout être humain, même le moins fortuné. C’est peut-être justement ça qui en gêne certains.
Quant à dire que « l’espéranto n’a pas d’histoire, pas de culture qui y soit rattachée », voilà bien une preuve évidente d’ignorance totale de ce qu’est cette langue, car bien des linguistes et philologues, et pas des moindres, l’ont reconnu comme telle : Max Müller (dès 1895, alors qu’il n’avait pas dix années d’existence !), Michel Bréal, Ignacy Baudouin de Courtenay, Antoine Meillet (l’auteur de « Les langues dans l’Europe nouvelle » publié en 1918 chez Payot), Edward Sapir, Björn Collinder, William Edward Collinson, Mario Pei, André Martinet, le sémioticien Umberto Eco, professeur au Collège de France, qui consacre un chapitre de son livre « La recherche de la langue parfaite » (Seuil, 1994) à l’espéranto... Récemment, Claude Hagège a lui-même dit qu’il ne s’opposait aucunement à une demande en faveur de l’introduction de l’espéranto comme matière d’examen au baccalauréat.
La devise de Sciences Po serait-elle donc finalement : « Je ne vois pas de quoi il s’agit, mais j’en cause d’autant plus que je n’en sais rien » ?
13. Le 12 novembre 2006 à 15:36, par Francesco GAETA En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Français d’ origine italienne je ne suis pas un intellectuel, alors l’ espéranto m’ est de grand aide pour communiquer / dialoguer. Avant un moment j’ étais par Skype connecté avec un japonais, une brésilienne, une roumaine, un tchèque, un polonais et une hongroise. L’ ambiance était bien cordiale, j’ ai beaucoup ri, et très touché quand Lùcia, la brésilienne, a chanté pour nous en espéranto ! Elle a une belle voix. Alors les propos des pontifes de l’ éducation nationale : langue artificielle, sans culture, etc... aux rébus !
14. Le 12 novembre 2006 à 16:30, par Jérémie En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Vous avez raison : le multilinguisme est inscrit dans les textes communautaires, et pas l’Espéranto... et d’ailleurs on voit le résultat aujourd’hui : le tout-anglais ne s’est jamais mieux porté, notamment à Bruxelles ! Le multilinguisme ne protège pas du tout-anglais, auquel il n’offre pas d’alternative puisqu’il ne propose pas de langue commune, donc il prépare au contraire l’avènement de ce tout-anglais, le meilleur exemple étant la Commission, qui commence à nous parler de « langue largement comprise » par les citoyens européens pour l’étiquetage uniformisé des produits en Europe, dans le but de faciliter la libre circulation des marchandises !
Le problème c’est la domination de l’anglais, c’est elle qui est ciblée, et pas l’anglais lui-même ou les Etats-Unis. La seule manière de désagréger cette domination c’est de proposer une autre langue commune. Si on ne le fait pas, alors comme nos sociétés ont horreur du vide juridique c’est la langue la plus forte du moment qui s’impose par coutume dans le rôle vacant mais nécessaire de langue commune. Le multilinguisme dans certaines institutions européennes et la domination de l’anglais dans les relations internationales entre entreprises, citoyens ou administrations vont très bien ensemble, comme on le voit aujourd’hui, et ne s’opposent absolument pas.
C’est bien le multilinguisme qui aujourd’hui échoue dans la vie de tous les jours des citoyens européens, et qui est donc d’arrière-garde, sauf au Parlement européen (ce qui, sur 450 millions d’habitants, est assez peu...). L’Espéranto est une avant-garde depuis 120 ans, comme l’étaient les chiffres arabes durant les siècles qu’ils ont mis à s’imposer. L’Espéranto a une histoire, puisqu’il a 120 ans, et une culture REELLEMENT internationale, faite des apports de chacun dans l’égalité vis-à-vis d’une langue commune que TOUT LE MONDE a dû apprendre.
N’ayant pas de culture nationale, l’Espéranto n’est pas impérialiste, contrairement à l’anglais, et il n’y a pas de risque d’alignement de toutes les cultures sur une culture nationale particulière.
L’Espéranto n’est la langue maternelle d’aucun peuple, l’anglais oui, évidemment, et toute la différence est là.
Ce que vous ne semblez pas vouloir comprendre, c’est que la majorité de la population en Europe n’a pas l’envie, et/ou le temps, et/ou l’argent, etc. d’apprendre des tas de langues étrangères. Donc tout le monde se rabat sur l’anglais, et le monde anglo-saxon devient le centre du monde, ce qui n’arriverait pas avec l’Espéranto. De plus, cette langue commune neutre facilite l’apprentissage d’autres langues étrangères, POUR CEUX QUI LE SOUHAITENT, puisque les mécanismes d’apprentissage d’une langue ont été mis en place sans difficulté par la facilité d’étude de l’Espéranto. C’est ce que les spécialistes appellent l’aspect propédeutique.
En soutenant le multilinguisme CONTRE l’Espéranto, vous faites le jeu du tout-anglais (ouvrez les yeux autour de vous, voyez l’évolution actuelle !). L’Espéranto est un projet de langue commune, pas de langue unique, contrairement à ce que semblait avoir compris en son temps le général De Gaulle, qui pas plus qu les espérantistes ne voulait la disparition des langues nationales. L’Espéranto n’en veut donc pas au multilinguisme, au contraire.
P.S : Je compte sur vous pour avoir la politesse et l’honnêteté de publier sur le site ce message, que je crois correct et pour la rédaction duquel j’ai donné de mon temps.
15. Le 14 novembre 2006 à 11:28, par Henri Masson En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Le seul vrai grand problème de l’espéranto se trouve dans le manque d’information, voire la désinformation. Je crois qu’Élodie est sincère (mais la sincérité suffit-elle ?). Qu’elle me pardonne si j’ai été blessant envers elle. Mais elle est elle-même blessante, sans trop s’en rendre compte, je suppose, en écrivant des choses qui n’ont rien à voir avec la réalité.
Écrire, par exemple, que " l’espéranto n’a pas d’histoire", relève de la pure ignorance. C’est une manière facile d’évacuer une question dont on ne sait rien, dont on ne veut rien savoir. La même chose a été lue et entendue à propos de la culture, de la littérature, de la poésie, du théâtre, de la chanson, de l’art oratoire, des sciences et techniques ou même de l’humour en espéranto, etc., etc. Tout ça, ça n’existe forcément pas pour quiconque n’a jamais étudié les multiples aspects de cette langue et ne peut donner un avis à partir du vécu, de l’expérience personnelle, de l’expérience rapportée par d’autres. Le fait de mettre des oeillères à un cheval lui fait peut-être croire qu’il n’existe rien en dehors de son champ de vision, ça lui évite de prendre peur, mais ça n’empêche aucunement l’existence de choses pour lui invisibles. Des grands noms de la culture ont reconnu la valeur et l’utilité de cette langue après l’avoir sinon combattue, du moins regardée avec condescendance, avec l’idée que ça ne valait pas la peine de s’y attarder. C’est ainsi que se sont perpétués des préjugés et c’est pour cette raison que des gens comme Alain Rey, Thomas Ferenczi et bien d’autres en viennent à lancer des âneries dont ils rougiraient s’ils venaient un jour à se pencher sur la question.
Sont-ils coupables ? La réponse nous a été donnée par le professeur Robert Phillipson. Auteur de "Linguistic Imperialism" (Oxford University Press, Londres, 1992), il a reconnu, après avoir observé le congrès universel d’espéranto qui s’était tenu à Prague en 1996 : "Le cynisme à propos de l’espéranto a fait partie de notre éducation". En clair, il n’est pas le seul à qui l’environnement culturel, l’éducation, certains médias, ont donné une image inexacte, sinon malhonnête, malveillante, de cette langue. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que bon nombre d’adultes et de jeunes ainsi conditionnés, et parallèlement poussés à croire que rien n’existe en dehors de l’anglais, en viennent à penser, ou plutôt à croire qu’à penser, qu’il n’est point de salut en dehors de l’anglais. Le problème est le même pour Élodie, sauf qu’il s’agit pour elle de multilinguisme.
Dans une lettre du 12 octobre 1976 à Claude Piron, l’auteur de "Le défi des langues" (éd. L’Harmattan), l’essayiste et romancier René Étiemble s’était montré favorable à une langue libre de tout lien avec quelque puissance que ce soit : "Mieux vaut sans doute parler une langue que ne soutiendra et qui ne soutiendra aucun impérialisme." Après un examen de solutions qu’il avait envisagées à Babel, il écrivait dans le même courrier : "Je ne verrais aucun inconvénient à l’emploi universel de l’espéranto."
Plus récemment, en 2004, Claude Hagège, qui n’a jamais été partisan de l’espéranto, mais qui reconnaît en lui une solution possible aux problèmes de communication linguistique, a répondu lors d’un entretien filmé : “Je n’ai pas d’objection à une revendication en faveur de l’espéranto comme épreuve du bac“. En 1993, lors d’une conférence à Valenciennes, il avait dit : “Je pense que l’espéranto est une solution parmi d’autres, et qu’il pourrait avoir pour lui l’avantage, sérieux, à savoir que, contrairement à n’importe laquelle des langues de vocation européenne, il n’est pas, lui, précédé ou suivi d’un engagement politique et national. C’est la langue d’aucune nation, d’aucun État. Et c’était du reste l’idée de son inventeur, Zamenhof (…), en 1887, l’avait dit dès cette époque, quand il a publié (…) le premier livre qui proposait l’espéranto. On le sait depuis longtemps donc, l’espéranto a pour lui, avait pour lui, a toujours pour lui, de ne pas être la langue d’une nation et d’un peuple, encore moins d’un État au sens hégélien du terme, ce qui sont des traits plutôt favorables.”
Le professeur Umberto Eco a reconnu s’être moqué de l’espéranto. Son avis évolué favorablement lorsqu’il a été amené à l’étudier de façon scientifique pour la préparation d’un cours au Collège de France en 1992. Ce cours est paru sous forme d’ouvrage intitulé "La recherche de la langue parfaite" (Seuil, collection "Faire l’Europe", 1994). Il y consacre plusieurs pages à l’espéranto. Dans un entretien accordé au "Figaro" (19.08.1993) , le professeur avait répondu : "Je pense qu’une langue ‘véhiculaire’ est nécessaire, mais qu’en même temps il est nécessaire d’arriver à un plurilinguisme raisonnable. On ne peut pas passer son temps à apprendre toutes les langues, mais il faut acquérir une certaine sensibilité aux différents langages. (…) Il pourrait s’avérer que demain, dans une Europe unie, chaque pays refusant que la langue véhiculaire soit celle de l’autre, on arrive à accepter l’idée d’une langue véhiculaire artificielle.”
L’anglais a été et continue d’être imposé sans que les gens puissent s’apercevoir qu’ils sont dupes, que le jeu est truqué. Le professeur Robert Phillipson, ancien du British Council, aujourd’hui à Copenhague (Research Professor at Copenhagen Business School at the Department of English) est aussi l’auteur d’un article intitulé “L’anglais pour transformer l’univers des étudiants — Une clarification du rapport de la conférence anglo-américaine de 1961" (anglais, français, espéranto). On peut y lire notamment : "Les stratégies politiques des USA pour établir leur domination mondiale sont explicites depuis les années 40. Des subventions massives sont venues du gouvernement états-unien et du secteur privé. Par exemple, au milieu des années 60, la Fondation Ford finançait des projets pour renforcer l’anglais dans 38 pays. Un livre récent sur la « guerre froide culturelle » décrit les activités de la CIA en Europe pour essayer d’influencer les universitaires, les journalistes et le monde culturel."
A la lecture de nombreux commentaires, ici et ailleurs, il apparaît que la CIA a gagné au moins sur le plan du conditionnement.
L’espéranto peut être le meilleur allié du multilinguisme. Alors, de grâce, Élodie, ne tirez pas à travers un fourré derrière lequel vous voyez quelque chose bouger sans savoir ce que c’est réellement. ;-)
Ou alors, pour prendre une autre image, ne faites pas croire au Taurillon qu’il voit rouge quand la couleur qui symbolise l’espéranto est le vert. ;-)
Sans rancune ?
16. Le 14 novembre 2006 à 14:40, par Libreuropéen En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Le multilinguisme pourquoi faire ?
Parce que c’est : ou le multilinguisme, ou une langue unique.
Une langue unique, personne n’a rien contre, à condition que ce soit la sienne. Et comme il y a 23 langues en Europe (et encore en ne comptant que les langues officielles), on se rend vite compte qu’il y a problème. Et le problème serait le même avec une ou quelques langues privilégiés parmi les langues européens. Et de fait, il y a problème puisque ceux qui monopolisent le pouvoir au sein des institutions européennes favorisent injustement l’anglais.
Le multilinguisme équitable est donc bien la solution.
Certes la solution d’adopter, en plus des langues nationales, une langue commune indépendante comme l’espéranto, serait certainement une solution intelligente, mais les eurocrates sont-ils des gens intelligents qui s’intéressent à l’intérêt des citoyens européens ?
17. Le 15 novembre 2006 à 00:54, par Ronan Blaise En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Vous savez, il y a bien d’autres choses qui rendent effectivement souvent le « Taurillon » quelque peu ’’nerveux’’. ; - )) A savoir : le souverainisme, le nationalisme et - effectivement - le manque de vision ou d’ambition politique authentiquement ’’européenne’’ de nos chers élus nationaux. A ce sujet, veuillez donc jeter un petit coup d’oeil à notre rubrique carton rouge.
Pour le reste, connaissant personnellement Elodie, je peux vous assurer qu’elle n’est pas quelqu’un de méchant, ni de rancunier, ni franchement a priori vraiment ’’hostile’’ à l’espéranto. ; - )) Elle pense juste que le multilinguisme est une option souhaitable. C’est là juste son point de vue.
Quant au vert du drapeau espérantiste, figurez-vous qu’il s’agit là aussi de la couleur emblématique du fédéralisme, ce courant de pensée politique auquel se rattachent - puisque membres des « JE-France » et de la « JEF-Europe » - les rédacteurs et contributeurs de ce webzine...
Ronan Blaise (Rédacteur en chef)
18. Le 15 novembre 2006 à 08:11, par Henri Masson En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Merci, Ronan,
Le point de vue d’Élodie est tout à fait respectable et, peut-être serait-elle intéressée, tout comme vous, par ce qu’a dit et écrit le Suisse Edmond Privat, espérantiste et fédéraliste. C’est un homme que l’on devrait (re-)découvrir. Il est connu surtout dans le monde de l’espéranto, bien sûr, mais aussi chez les Citoyens du Monde. On lui doit, entre autres, « Le choc des patriotismes. Les sentiments collectifs et la morale entre nations » (éd. ALCAN, 1931), « Trois expériences fédéralistes », « Aux indes avec Gandhi », « Le chancelier décapité. Saint-Thomas More et Henri VIII », « Les Anglais : des priates aux prophètes » que l’on peut trouver chez Amazon.fr ou chez chapitre.com. Il a écrit aussi plusieurs ouvrages en espéranto dont un sur Gandhi, qu’il a rencontré et appuyé, tout comme il a soutenu l’indépendance de la Pologne, et de très nombreux articles en Langue Internationale. Il fut aussi un pionnier des émissions radiophoniques sur ondes courtes, donc un homme intéressant à tous points de vue.
Je suis moi-même adhérent de "Sennacieca Asocio Tutmonda" dont le nom annonce la couleur : Association Mondiale Anationale, autrement dit : non-nationale. Son fondateur, Eugène Adam (pseudonyme : Lanti) avait écrit, dans une étude intitulée "Naciismo" (Nationalisme, Leipzig : SAT, 1931) : “Le nationalisme est même la seule religion qui exige encore de l’homme le sacrifice de la vie. Après des siècles de lutte, les hommes ont acquis dans les pays plus ou moins cultivés le droit d’appartenir ou non à une église, la liberté d’assister ou non aux cérémonies religieuses. Mais nul ne peut refuser impunément de participer aux cérémonies sanguinaires, les guerres, auxquelles les divers nationalismes donnent lieu. Le patriotisme est actuellement la plus puissante idéologie ; il domine passionnément les esprits et est capable de faire d’hommes paisibles, cordiaux, des bêtes agressives et avides de sang. Les quinze millions de tués de la dernière guerre mondiale n’ont pas suffit pour rassasier le monstre. Le nationalisme menace durablement l’humanité.”
Je crois que les espérantistes et les fédéralistes (européens ou mondiaux) ont énormément d’aspirations communes (J’ai la traduction en espéranto de "World Federation ?" ["Monda Federacio ?"] dédicacée par son auteur, qui parle cette langue : Ronald G. Glossop (El Cerrito, Californie). C’est pourquoi je pense que nous n’avons aucune raison de nous affaiblir réciproquement mais, au contraire, un intérêt commun.
Le 80ème congrès de SAT (fondée à Prague en 1921) se tiendra à l’École Centrale Paris (Châtenay-Malabry) du 21 au 28 juillet 2007. Il reste donc aux audacieux assez de temps pour apprendre la langue de travail — l’espéranto —, pour voir comment ça marche et pour se rendre compte que quelques mois d’étude assidue permettent de bien comprendre ce qui se dit. Ma première expérience en la matière a eu lieu à La Sorbonne où j’ai été assez stupéfait. Les surprises de ce genre ne sont pas rares. J’ai actuellement des échanges en espéranto avec le professeur Robert Molimard, auteur de "La Fume" (éd. SIDES), un ouvrage contre le tabagisme qui suscite de commentaires reconnaissants à son auteur de la part de ceux qui se sont libérés de cet esclavage doublé d’une arnaque. Donc, ce professeur s’est procuré une méthode d’espéranto à 77 ans, il a commencé à traduire son ouvrage six mois après et, maintenant, après des révisions tout de même effectuées par des espérantistes chevronnés, il envisage de publier la traduction avant le congrès de SAT-Amikaro, lequel se tiendra à Pâques 2007 à Bordeaux, et même d’y faire une conférence en espéranto !
Alors, quand on peut faire ça après 77 ans, ne peut-on peut faire encore mieux et plus facilement entre 17 et 27 ans, et disposer ainsi d’un atout supplémentaire qui aidera à l’acquisition d’autres langues pour celles et ceux qui y aspirent ?
19. Le 28 novembre 2006 à 03:00, par Anti-préjugés En réponse à : Du bon usage du multilinguisme
Si j’en avais le temps, je reprendrais point par point vos affirmations gratuites sur l’espéranto (combat d’arrière garde, danger pour la diversité culturelle, non-langue...) pour vous démontrer qu’elles sont toutes sans fondement.
Mais constatant votre aveuglement et votre volonté farouche de défendre votre point de vue en dépit de toutes les évidences, je préfère économiser mon temps et ma patience pour discuter de ces graves problèmes avec des personnes plus ouvertes et lucides.
Quand je pense que vous attribuez à l’espéranto, qui, par nature est neutre et respectueux de toutes cultures, la propriété de gommer toutes les différences, alors qu’à l’évidence, c’est l’anglais, qui a déjà largement entamé ce travail sournois d’acolturation !
vous ne me croirez sûrement pas, et pourtant, c’est la pure vérité : les plus riches échanges inter-culturels, les plus conviviales rencontres internationales, les plus enthousiasmants moments créatifs que j’ai vécus, ils se sont déroulés en milieux espérantophones. Mais si j’affirme ici, que toute personne qui n’en a pas fait elle-même l’expérience, ne peut pas comprendre, vous me jugerez sans doute sectaire et m’accuserez probablement de prosélitisme. C’est dommage, surtout pour vous, qui vous enfermez volontairement dans vos idées étroites. Nous, les espérantophones, avons eu le courage de tenter l’aventure, et y avons gagné (entre mille autres choses) la liberté de communiquer. Il est vrai que souvent, la liberté fait peur. Il s’agît donc bien de courage, le courage d’expérimenter par soi-même, sans tenir compte des idées toutes faites et des préjugés.
Rassurez-vous, il n’est jamais trop tard pour changer d’avis, d’autant qu’apprendre l’espéranto, ça donne l’envie et l’aptitude à apprendre d’autres langues. Ainsi, j’ai appris quelques rudiments d’allemand, de russe, de lituanien et d’italien avant de me rendre à divers congrès espérantistes, dans les pays respectifs où sont parlées ces langues. L’an prochain, le congrès mondial aura lieu au Japon (Yokohama). L’occasion ou jamais, de m’initier à une langue asiatique. Qui a prétendu que l’espéranto va à l’encontre du multilinguisme ?
En conclusion, si l’on peut admettre que l’espéranto n’est pas en soi, une langue de culture, en revenche, il constitue un moyen extraordinaie de se cultiver, de voyager différemment (chez l’habitant) et de dialoguer avec des hommes aux cultures les plus diverses. C’est être partial, que de ne pas vouloir l’admettre.
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