Elections en Irlande du Nord : symbole et enjeux d’un changement

, par Elsie Haldane, traduit par Paul Brachet

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Elections en Irlande du Nord : symbole et enjeux d'un changement
The Northern Irish Parliament Buildings at Stormont, Belfast. Credit : Vive, Pixabay.

Jeudi 5 mai 2022, les électeurs nord-irlandais étaient appelés à voter aux élections locales, renouvelant l’assemblée de la province britannique d’Irlande du Nord. Les résultats sont historiques : le parti républicain, le Sinn Féin (Nous-mêmes en Irlandais), a gagné le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée d’Irlande du Nord, une première dans l’histoire de la province.

Michelle O’Neill est désormais en lice pour devenir la prochaine Première ministre d’Irlande du Nord, à condition qu’elle reçoive le soutien du parti unioniste démocratique Democratic Unionist Party (DUP), essentiel au regard du système de partage du pouvoir entre Républicains et Unionistes en Ulster. O’Neill et le Sinn Féin représentent un changement capital pour la province, qui pourrait l’amener à rejoindre la République d’Irlande, et constituer un tournant dans ses relations avec le reste de l’Union européenne

Qu’est-ce que le Sinn Féin ?

Le Sinn Féin était, à l’origine, la branche politique de l’IRA, Irish Republican Army, un groupe paramilitaire considéré comme terroriste pour son implication dans des attaques contre les forces armées britanniques et contre des civils lors du conflit nord-irlandais des années 1960 jusqu’aux années 1990. Durant cette période, la région est divisée entre les Unionistes, favorables au maintien de l’Irlande du Nord dans l’union avec le Royaume-Uni, et les nationalistes Irlandais, ou Républicains, favorables au rattachement de la province à une Irlande réunifiée. Le conflit prend fin avec les accords du Vendredi-Saint, Good Friday Agreement, signés en 1998 par le Premier ministre britannique, Tony Blair, et le Taoiseach irlandais (équivalent du Premier ministre), Bertie Ahern. Les accords cherchent à rétablir la paix dans la région, et donnent, entre autres, le droit à tous les citoyens nord-irlandais de bénéficier de la double-nationalité britannico-irlandaise. Ils permettent également l’établissement d’un nouveau gouvernement à Belfast, décentralisé et cogéré entre Unionistes et Républicains.

Le Sinn Féin croit toujours en une Irlande unie, complètement débarrassée de la frontière qui divise le Nord du reste de l’île, et donc séparée de la Grande-Bretagne. Toutefois, malgré leur succès aux élections, les nationalistes irlandais restent un courant minoritaire au sein de l’Assemblée d’Irlande du Nord. Les unionistes du DUP conservent 25 des 90 sièges de l’assemblée, tandis que le parti centriste Alliance, qui possède certains traits unionistes, a 17 sièges. Quoi qu’il en soit, les résultats de ces élections restent le symbole d’un changement clair de direction pour l’Irlande du Nord.

Un impact sur les relations avec l’Union européenne

De presque tous les points de vue, les relations entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne (UE) ont toujours été extrêmement compliquées, notamment à cause du Brexit. Le casse-tête du Protocole nord-irlandais a provoqué un séisme dans la politique du pays avec la démission mi-février de l’ancien Premier ministre nord-irlandais, l’unioniste Paul Givan, en guise de protestation contre le protocole. Ce protocole a pour objectif qu’aucune frontière fermée ne soit établie entre les deux Irlandes, que l’unité du marché commun européen soit respectée, sans pour autant nuire à l’intégrité des relations commerciales entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni.

Cependant, alors que l’Irlande du Nord est soumise à la quasi-totalité du droit européen, il existe une zone grise où certaines exceptions demeurent. Par exemple, les exportateurs nord-irlandais doivent prouver que leurs produits sont bien conformes au droit communautaire. Dans la plupart des cas, les entreprises ont à se conformer aux deux droits, européen et britannique. Cette addition de bureaucraties fait grandement augmenter les coûts pour les entreprises, ce qui affecte directement l’étendue du commerce et qui en irrite plus d’un. D’autant plus que bien qu’un important pan du droit européen s’applique au pays constitutif, il n’en demeure pas moins que l’Irlande du Nord n’est pas un membre de l’UE, à ce titre elle ne possède pas de voix propre à affecter les politiques européennes.

Bien que par le passé, le Sinn Féin ait été un parti eurosceptique, il présente aujourd’hui un caractère plutôt pro-européen, et a ainsi exprimé à plusieurs reprises que le retrait de l’Irlande du Nord de l’Union européenne était le fruit antidémocratique du seul choix de Westminster. Le Sinn Féin, sur cette question et malgré une majorité au Parlement, rencontrera sans doute l’opposition du DUP, eurosceptique, alors que la troisième force du pays, les unionistes de Alliance, avait pour leur part poussé pour une reconsidération du retrait de l’UE avant qu’il ne se concrétise. Le DUP a d’ores et déjà refusé de partager le pouvoir avec le Sinn Féin tant que le Protocole sur l’Irlande du Nord restera en vigueur, ce qui signifie qu’aucun gouvernement ne pourra être formé avant une révision de l’accord. Selon Sky News , le ministre irlandais chargé des affaires européennes, Thomas Byrne, a appelé le Royaume-Uni a « s’engager à renouveler ses relations avec l’Union européenne ».

Si le Sinn Féin engage un referendum sur la réunification de l’Irlande du Nord avec la République d’Irlande, cela signifierait que la province britannique pourrait potentiellement réintégrer l’UE, après avoir été contrainte d’en sortir par le Brexit. La frontière officielle entre l’UE et le Royaume-Uni changerait alors encore une fois, et les effets sur le commerce, sur les relations entre les deux unions et sur la paix dans le nord de l’île devraient alors être considérés avec attention.

Quel futur est possible ?

Pour beaucoup, le succès du Sinn Féin pourrait signifier un référendum sur l’unification de l’Irlande -qui viendrait cent-un ans après la naissance de l’Irlande du Nord en tant qu’entité, c’est-à-dire après la partition officielle de l’île. Si le référendum était un succès, au sens du Sinn Féin, l’Irlande du Nord cesserait d’exister en tant que telle et romprait dès lors l’ensemble de ses liens politiques avec le Royaume-Uni. Les relations entre la Grande-Bretagne et l’UE devraient alors être repensées sous la contrainte du changement de frontière.

En revanche, si l’Irlande du Nord restait dans le giron britannique, le Royaume-Uni et l’UE devraient continuer la (re)négociation des termes du Protocole afin de permettre des relations apaisées entre les deux blocs et entre les nord-Irlandais. Dans chacun des scénarii, les relations avec le Royaume-Uni peuvent devenir plus tendues, et courir à terme le risque de perdre complètement l’Irlande du Nord au sein de l’union britannique. Dans tous les cas, O’Neill considère déjà cette élection comme un « moment de changement significatif » pour l’Irlande du Nord.

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