Mieux vaut deux fois qu’une. Recep Tayyip Erdoğan, nouveau président de la République de Turquie depuis un peu plus d’un an, premier président élu au suffrage universel, anciennement Premier ministre de 2003 à 2014, a convoqué de nouvelles élections législatives, n’étant pas parvenu à l’issue d’un premier scrutin législatif en juin dernier à constituer une majorité gouvernementale stable, malgré l’arrivée en tête de son parti l’AKP, maître du jeu politique depuis plus d’une décennie.
Le CHP, faiseur de roi ?
Face au Le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), qui avait obtenu 41% des suffrages en juin, plusieurs partis défendent leur chance lors du scrutin d’aujourd’hui. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) pourrait s’imposer comme un partenaire obligé pour la création d’une coalition gouvernementale. Il faudra aussi compté sur le Parti de l’action nationaliste (MHP, droite nationaliste) et le petit Parti de la démocratie des peuples (HDP, gauche, pro-kurde), fort de ses 13% au dernier suffrage et qui avait volé des voix dans les circonscriptions du sud-est, autrefois favorable à l’AKP.
Selon les derniers sondages, l’AKP ne devrait atteindre que les 43%, insuffisants pour gouverner seul. Et sans alliance parlementaire possible avec une autre force politique, cela engendrait un troisième scrutin. Certains observateurs comptent cependant sur une alliance avec le CHP, qui réclame une enquête pour corruption parmi les proches du président.
Les Turcs doivent ainsi élire leurs représentants, une élection qui aura des répercussions majeures sur la politique du pays, pierre angulaire dans la résolution des conflits de la région.
Une campagne sous tension
La campagne des législatives a cristallisé les tensions entre les différents acteurs politiques turcs et les communautés du pays. Alors que l’actuel président a multiplié les meetings dans le pays et au-delà des frontières, notamment en Europe auprès de la communauté turque expatriée, ses opposants en ont profité pour manifester leur hostilité à ses idées et à son parti.
Les tensions sont particulièrement exacerbées entre les partisans du HDP, pro-kurdes, et les membres de l’AKP, qui luttent depuis plusieurs années contre le PKK, une organisation terroriste kurde qui sévit dans l’Est du pays. Après plusieurs manifestations qui ont donné lieu à des échauffourées avec la police, voire à des actions de répression policière contre les manifestants, les opposants ont dénoncé les pratiques de l’actuel président. Plusieurs responsables politiques ont d’ailleurs demandé la suspension du scrutin dans certaines parties du pays, où la tenue d’élection légale est difficile à garantir en raison de la situation instable. L’attentat d’Ankara, le 10 octobre dernier, a également endeuillé la campagne, cristallisant les tensions et les oppositions.
Les dérives autoritaires d’Erdoğan
Erdoğan n’a pas non plus brillé par sa tolérance. En effet, plusieurs atteintes aux libertés individuelles, à la liberté d’expression et à celle de la presse. Après les menaces et le molestage de certains journalistes, d’artistes ou d’opposants politiques, les violences policières à l’égard de plusieurs manifestants, les dérives autoritaires du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan, qui classe à souhait ses opposants parmi les « terroristes ». En témoigne la poursuite de deux adolescents pour « insulte » au président Erdoğan à la suite de l’arrachage d’une affiche de l’homme fort du pays.
Mercredi 28 octobre, une nouvelle étape est franchie. A quelques jours des élections, la police a pris d’assaut deux télévisions d’opposition, rivalisant de gaz lacrymogène et de canons à eau et mettant fin à l’émission des programmes. Le parquet d’Ankara a mis sous tutelle le groupe Koza Ipek, propriétaire des deux chaînes, accusé de « faire la propagande » de Fethullah Gülen, prédicateur localisé aux Etats-Unis. Outre la procédure judiciaire engagée depuis déjà plusieurs mois, c’est la suspension de deux chaînes d’opposition qui a révolté tous les commentateurs occidentaux, alors même que le président Erdoğan et son parti ont largement profité de l’antenne de la chaîne publique TRT avec près de vingt-neuf heures de diffusion pour Erdoğan et trente heures pour son parti l’AKP en octobre, contre cinq heures pour le CHP, une heure et dix minutes pour le MHP et dix-huit minutes pour le HDP.
Erdoğan est-il l’allié des Européens ?
Malgré la critique de certaines ONG face à ces méthodes et à ces pratiques, les autorités européennes sont restées bien muettes. Et pour cause, Erdoğan a su acheter leur silence en s’imposant comme un acteur indispensable au règlement des conflits dans la région et à la résolution de la crise des réfugiés. Tout en renforçant son action sur les théâtres d’opération des conflits syriens et irakiens, et ainsi sa lutte contre les opposants kurdes dans l’Est du pays, la Turquie a déjà accueilli plus de 2 millions réfugiés, et elle devrait continuer à les accueillir a-t-elle confiée dans sa volonté d’obtenir les faveurs des dirigeants de l’Union européenne.
En contrepartie de la « fixation » des réfugiés en Turquie, l’Union européenne opère de nombreuses concessions. Les 28 se sont accordés sur une aide financière et humanitaire exceptionnelle à la Turquie et aux pays tiers, confrontés à ces flux de populations. La Commission européenne a également accepté la relance des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et Erdoğan a pu siéger en observateur lors des derniers sommets européens. Enfin, la Turquie sera désormais classée comme « pays sûrs », permettant le renvoi des ressortissants turcs dans leur pays, restreignant les possibilités d’accueil des demandeurs d’asile turcs et menaçant la sécurité des opposants politiques au régime d’Ankara.
Ce marchandage n’est pas un accord entre puissances alliées, c’est un pacte avec Recep Tayyip Erdoğan, une personnalité controversée, y compris dans son propre pays. Il faut également souligner sa politique « ottomane » et ses discours contre les « démocraties occidentales », les démocraties libérales, qui ne correspondent pas à son modèle d’idéal politique. L’Union européenne joue ainsi un jeu dangereux, qui ne garantit en rien le gain de la mise et la stabilisation de la région.
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