Un système politique voué à l’impuissance
La Bosnie-Herzégovine est particulièrement citée pour avoir été le théâtre d’une sanglante guerre civile entre 1992 et 1995, au lendemain de son indépendance face à la Yougoslavie. Durant trois ans se sont affrontés les principaux groupes ethniques du pays, Bosniaques (anciens musulmans), Serbes et Croates.
La fin de la guerre civile a débouché sur les accords de paix de Dayton. Sous couvert d’une répartition équitable du pouvoir entre les trois ethnies, ces accords ont en réalité fragmenté le pays en deux « entités » quasiment indépendantes l’une de l’autre. L’une d’entre elles est la Republika Srpska, ultra-centralisée et à majorité serbe, tandis que l’autre est une fédération croato-bosniaque, divisée en dix cantons, auxquelles on peut rajouter un district à statut particulier, le district de Brčko. L’Etat de Bosnie-Herzégovine a lui-même à sa tête une présidence tripartite composée d’un représentant de chaque groupe ethnique.
Ce premier tableau indique d’emblée que la complexité administrative et politique l’emporte sur les préoccupations d’efficacité et de « bonne gouvernance ». C’était pourtant l’ensemble de ces institutions et gouvernements que les quelques 3,28 millions d’électeurs bosniens étaient appelés à élire le 12 octobre dernier au scrutin proportionnel.
Des élections sans enjeux ?
Le scrutin est intervenu quelques mois après une période de troubles sociaux qui ont frappé le pays en février 2014. Une vague d’émeutes et de manifestation commença à partir de la ville de Tuzla pour s’étendre à de nombreuses autres villes de la fédération de Bosnie-Herzégovine. Les mouvements de contestations se sont progressivement éteints, la résignation l’emportant sur la colère.
Aux lendemains du scrutin, les résultats ne portent guère à l’optimisme : la participation s’élève à environ 54,14% des inscrits, soit 2% de moins que lors des précédentes élections en 2010. La campagne fut caractérisée par un lot d’irrégularités : entre autres, de nombreux bureaux de vote ont ouvert en retard, une partie du matériel électoral n’a pas pu être distribué, et certains électeurs ont fait état de pressions exercées au moment du vote.
La plupart des analyses s’accordent sur une relative victoire des nationalistes. Quelques possibilités d’alternance sont nées, sans que les partis traditionnels n’aient été véritablement ébranlés. En effet, aucune nouvelle force politique n’est réellement parvenue à changer la donne en créant la surprise.
En fédération de Bosnie-Herzégovine, deux partis peuvent être considérés comme les gagnants du scrutin : le Parti d’action démocratique (SDA), bosniaque, et l’Union démocratique croate (HDZ). Le parti social-démocrate, au pouvoir depuis 2010, s’effondre après avoir souffert d’un large déficit de confiance parmi ses électeurs. En Republika Srpska, le parti au pouvoir, l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants dirigée par le président de la fédération Milorad Dodik a également réalisé un score décevant. Si Milorad Dodik demeure le président de la Republika Srpska, son parti perd la majorité qu’il détenait au Parlement ainsi que le représentant serbe à la présidence de l’Etat de Bosnie-Herzégovine.
Néanmoins, de tels résultats sont trompeurs, car les enjeux de la compétition politique bosnienne sont en partie déconnectés des résultats des élections. En effet, la profusion d’institutions et de gouvernements à tous les échelons du pays entraîne un développement du clientélisme politique et garantit à tous les partis qu’ils seront au pouvoir au moins dans l’une des institutions politiques du pays. Les décisions politiques cruciales ne pourront donc être prises qu’à la faveur de consensus exceptionnels au sein de la classe politique sans lesquels aucun changement d’envergure n’est possible.
Les nouvelles alliances politiques qui peuvent naître de cette situation politique ne permettront pas au pays d’initier les réformes dont il a aujourd’hui besoin.
La nécessité criante d’une nouvelle donne politique et économique
La Bosnie souffre aujourd’hui d’un taux de chômage officiel de 30%, bien que le chômage soit probablement bien plus élevé. Le pays souffre d’un manque criant d’infrastructures, la corruption est endémique et les vagues espoirs d’une adhésion à l’Union européenne ne sont plus crédibles au sein de la population. En sus de cette situation d’ores et déjà problématique, la Bosnie-Herzégovine a été frappée par des inondations massives et dévastatrices en mai dernier, dont les conséquences ne sont pas encore tout à fait contrôlées par le gouvernement. Malgré le lot de promesses apporté par chaque élection, il semble que toute croyance populaire en l’aptitude du politique à affronter ces défis soit aujourd’hui réduite à néant.
Après avoir été l’objet d’une attention médiatique inhabituelle lors des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Bosnie ne parvient guère à susciter l’intérêt des observateurs européens. Un regain d’attention serait pourtant souhaitable envers l’un des pays les plus pauvres et les plus mal gouvernés d’Europe.
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