Il est des déplacements dont la symbolique est des plus patentes. En 2017, Marine Le Pen s’était déplacée à la cathédrale de Reims, où étaient sacrés les Rois de France. En 2022, convaincu que le second tour sera, selon ses dires, “un référendum sur l’Europe”, Emmanuel Macron s’est adressé à la foule place du château à Strasbourg. Au menu, un discours prévu pour une heure sur sa vision de l’Europe, et sur la continuité de son action européenne pour le deuxième mandat qu’il brigue. Le Président sortant s’est donné la mission de draguer l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, désigné comme “faiseur de roi” pour le deuxième tour, compte tenu de l’importance de cette cohorte et de la volatilité de celle-ci. Après de premières concessions sur le rythme de la réforme des retraites, Emmanuel Macron cherche une posture d’équilibriste en réaffirmant un engagement pro-européen, sans toutefois froisser un électorat qui se caractérise par une défiance contre la forme actuelle de la construction européenne.
Un discours chahuté par une foule composite
Arrivé avec une heure et quart de retard sur l’horaire initialement prévu, Emmanuel Macron (LREM) déclenche, dès sa sortie du Palais Rohan, la liesse des supporters massés contre les barrières. Un bain de foule plus tard, Emmanuel Macron est accueilli par Roland Ries, ancien Maire de Strasbourg, sur la scène dressée au centre de la place pour l’occasion. La foule présente mêle supporters affirmés, curieux, ainsi que des militants politiques déterminés à se faire entendre.
Les jeunes écologistes dégainent les premiers, scandant “le quinquennat on n’oublie pas”. Puis les jeunes Insoumis, à coup de “Macron rends l’ISF”. Emmanuel Macron prendra le soin de s’arrêter et de répondre à toutes les interpellations durant ces premières minutes, perdant ainsi le fil d’un discours qui devient alors décousu. A mesure que les interruptions cessent, le Président-candidat peut dérouler plus sereinement son bilan. Après quelques promesses d’usage sur le maintien du Concordat, Emmanuel Macron revient sur les grands chantiers européens qu’il dit avoir menés au cours des cinq années écoulées. Durant une cinquantaine de minutes, le candidat à sa réélection déroule alors le cœur de sa conception de pro-européen et liste les antagonismes le séparant du programme de Marine Le Pen.
La directive sur un salaire minimum dans l’UE, le taux d’imposition minimal des multinationales, le Green Deal, la taxe carbone aux frontières ou encore le plan de relance sont autant de victoires qu’Emmanuel Macron met à son crédit. Voilà pour le bilan. Et pour l’avenir de l’Europe ? Rien, ou plutôt rien de nouveau. Le Président-candidat n’a déroulé aucune proposition, si ce n’est la continuation des projets déjà en cours. Cela constitue déjà un programme en soi. Cependant, pour les électeurs hésitant à lui apporter leurs suffrages, il y a fort à parier que la perspective d’une continuation sur la lancée du premier quinquennat ne provoque pas grand enthousiasme, pis, elle pourrait entraîner une grève des urnes.
Une stratégie argumentative discutable
Emmanuel Macron a, en revanche, réservé ses attaques à la candidate du Rassemblement National. Fustigeant un programme qui reviendrait à “sortir du Conseil de l’Europe”, Emmanuel Macron a opposé que “l’humanisme a besoin de militants”. Il entend ne rien lâcher sur les valeurs constitutives de la construction européenne, et c’est bien là l’essentiel. C’est également cela qui doit constituer les fondations du barrage républicain qu’il tente de reconstituer en convainquant les électeurs de gauche de lui apporter leurs suffrages. Cependant, que penser de l’argumentation d’Emmanuel Macron à ce propos ?
Au cours de son discours, le Président a répondu à une interpellation d’un spectateur en opposant qu’avec Marine Le Pen, nous aurions la Hongrie et les travers du régime de Viktor Orban en France. Cette hypothèse semble défendable, mais est-ce la bonne manière de ramener aux urnes des électeurs dégoûtés de devoir à nouveau constituer un front républicain, le deuxième consécutif, et considérant pour certains que la politique d’Emmanuel Macron est la cause de la montée de l’extrême droite ? Cet argument, de manière abstraite, revient à dire à des personnes désenchantées, pour certaines rattrapées par la pauvreté, qu’il faudrait se réjouir car, en regardant dans l’assiette du voisin, on s’aperçoit que cela pourrait être pire. C’est un fait indéniable, mais ce genre de remarque me semble contre-productive. Une telle posture risque en effet de renforcer la posture d’un Président hors-sol, perçu comme déconnecté de leur souffrance par des millions de nos concitoyens. En définitive, persister dans cette voie, plutôt que de ramener des électeurs à la raison du barrage républicain, pourrait les pousser à s’abstenir ou, pire encore, de franchir le Rubicon du vote Marine Le Pen pour les plus désorientés.
Afin de “muscler sa jambe gauche” comme semble l’y appeler la situation, Emmanuel Macron devrait, à mon sens, développer un discours positif, tourné vers des perspectives d’avenir. Convaincre par la peur d’un repoussoir fonctionne à court terme, mais à long terme les digues s’effritent, et finiront par céder. Proposez un horizon ! Donnez l’air d’être protecteur, non seulement des libertés, mais également des droits sociaux ! Les premières concessions sur le rythme des réformes me semblent aller en ce sens, mais il est urgent de changer de braquet, afin de convaincre massivement, et non seulement qu’Emmanuel Macron batte l’extrême-droite, mais qu’il la batte largement, et démontre qu’une large majorité de français ne veut pas d’un discours rétrograde et haineux.
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