En Europe centrale, la règle de 3 des élections de reconduction

, par Paul Brachet

En Europe centrale, la règle de 3 des élections de reconduction
Viktor Orbán, en route pour un quatrième mandat Source : Flickr

Le dimanche 3 avril 2022 était jour de vote pour les Hongrois et les Serbes, les premiers votaient pour leur parlement et un référendum sur la place des questions de genres dans la société, référendum voulu par le Premier ministre sortant ultra-conservateur Viktor Orban, tandis que les seconds votaient pour renouveler leur parlement et leur président de la République. Les deux scrutins ont eu une même conclusion : les sortants ont été reconduis haut-la-main. Ainsi, Viktor Orban a obtenu une majorité plus importante à Budapest et Aleksandar Vučić s’est fait réélire après un scrutin qui a d’avantage mobilisé que les dernières élections. Ce constat peut s’expliquer par une règle de 3 : trois raisons qui expliquent la reconduction des sortants.

1 : Un système politique remodelé par les sortants

Le premier point est le système politique en place, que cela soit électoral ou institutionnel. En Hongrie, le Fidesz, le parti de Viktor Orban, a remodelé le système électoral en 2014. Ainsi, en plus de faire voter les minorités magyares « d’Outre-frontières », c’est-à-dire les minorités hongroises de Roumanie, de Serbie, de Slovaquie, de Slovénie et d’Ukraine, la réforme a redécoupé les circonscriptions électorales. Ce redécoupage a ainsi associé les centres urbains, votant majoritairement pour l’opposition, aux campagnes acquises au Fidesz ; les députés élus dans les circonscriptions ont plus de chance d’être conservateurs, et de surcroît membre du Fidesz, que membre de l’opposition. De même, si un parti acquiert une majorité de plus de 50% des voix, il obtient automatiquement, grâce à la réforme, une majorité des deux tiers au Parlement. Or, par les différentes réformes du système électoral hongrois souhaitées par Viktor Orbán, le Fidesz obtient facilement une majorité de voix et peut ainsi aisément obtenir une majorité des deux tiers des sièges au Parlement, nécessaire à toute réforme constitutionnelle.

En Serbie, c’est le système politique, ou plus particulièrement l’exercice de celui-ci, qui permet au Président sortant de garder le pouvoir. La Serbie est officiellement une République parlementaire. À ce titre, le Premier ministre, issu de la couleur politique du Parlement, décide et conduit la politique de la Nation tandis que le président assure un rôle de représentation et d’arbitre. Or Aleksandar Vučić a surinterprété le rôle de président de la République serbe et exerce ainsi un pouvoir qualifiable d’autoritaire. La pression exercée sur les fonctionnaires lors des élections, la manipulation des services publiques et un contrôle partisan dans 166 communes du pays (alors que ce dernier en possède près de 170) sont ainsi les principales armes aux services de la reconduction du président serbe.

2 : Des médias à la botte des sortants

Le second point, et non des moindres, les presses hongroise et serbe sont plus ou moins liées aux pouvoirs en place. Pendant la campagne législative hongroise, l’opposition qui s’était unie face à V. Orban sur une même liste a pu s’adresser sur les chaînes télévisées hongroises pendant approximativement… 5 minutes. Elle a alors privilégié l’utilisation des réseaux sociaux pour sa communication, or ce moyen n’apparaît utile que lorsque les citoyens partagent déjà les mêmes idées que l’opposition, il ne s’agit pas d’un outil de conviction. Les différents médias, que cela soit l’audiovisuelle ou la presse écrite, sont donc désormais sous la botte du pouvoir.

Cette situation, où les chaînes publiques sont dirigées par des personnes proches du pouvoir, où la presse n’est pas autorisée à publier librement, où les principaux journaux sont obligés de se vendre aux oligarques pro-gouvernementaux ou de fermer, se retrouve également en Serbie. Les deux pays ont été classés respectivement 92ème et 93ème du classement international de la liberté de la presse par Reporters sans frontières, alors que le même organisme constate que la liberté des médias ne cesse de décroître depuis quelques années. Cette mainmise sur les médias permet alors au gouvernement en place de moduler l’information en faveur de leur bilan et de leurs thèmes électoraux, en faveur de leur propagande qui devient de fait une propagande d’État systématisée. Ainsi, les régimes hongrois et serbe ne sont plus considérés comme des démocraties par Economist Intelligent Unit, un think thank qui chaque année publie un classement des différents pays dans le monde en fonction de leur indice démocratique, mais comme des « régimes hybrides », qui sont respectivement à la 56ème et 63ème place, au niveau de la Mongolie par exemple.

3 : La guerre en Ukraine et la quête de stabilité

Enfin, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a eu un impact sur toutes les campagnes électorales européennes, et plus particulièrement sur ces deux pays. En Hongrie, la dépendance au gaz et au pétrole russes est extrêmement importante, et reflète les liens tissés entre le régime d’Orbán et celui de Vladimir Poutine. Le pays est ainsi dépendant à hauteur de 40% du gaz russe, l’un des plus haut taux de l’Union. Cette dépendance met donc le pays dans une position tendue notamment vis-à-vis du pouvoir d’achat des Hongrois, qui baisserait indéniablement si la Hongrie venait à refuser les importations russes. Or c’est sur cet enjeu que Viktor Orbán a souhaité capitaliser et qui lui a permis d’obtenir sa majorité de deux tiers au Parlement face à une « gauche qui promet aux gens du sang au lieu du pétrole », selon ses dires. Victoire que Vladimir Poutine a « félicitée », ce dernier ayant d’ailleurs plébiscité le « renforcement du partenariat » russo-hongrois. Cette posture, Viktor Orbán l’assume et la revendique, c’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à affirmer que sa victoire était une défaite pour l’opposition, pour « Bruxelles » et pour « le président ukrainien, Volodymyr Zelenski  ».

En Serbie, le président a pu se redonner une image positive en assumant la neutralité constitutionnelle de la Serbie et ainsi en refusant n’importe quelles sanctions envers la Russie de Poutine. C’est par cette disposition qu’Aleksandar Vučić a pu camoufler son engagement complaisant avec la Russie, dans un contexte qui rappelle aux Serbes les bombardements de l’OTAN en 1999 suite à la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, sans pour autant compromettre l’avenir du pays dans l’Union européenne. Ce jeu de funambule a permis au président sortant de faire oublier que le pays est englué dans une crise économique et sociale et qu’il peine à avancer dans les négociations d’adhésion avec l’Union européenne. Or, contrairement à ce qu’affirme A. Vučić, cette position pourrait bien compromettre l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne ou du moins la rendre encore plus difficile pour le pays, et ceci pour deux raisons principales.

D’une part, l’ensemble de l’Union s’est exceptionnellement unie pour défendre l’Ukraine et ses valeurs et a ainsi imposé des sanctions à l’encontre de la Russie. Ce train de sanctions a été suivi et appliqué par d’autres États proches de l’Union européenne, comme la Suisse (!) ou la Norvège, mais aussi des États candidats pourtant économiquement fragiles que sont l’Albanie, la Macédoine du Nord ou le Monténégro. La Bosnie-Herzégovine, quant à elle, s’est montré incapable de prendre de telles sanctions, l’instabilité et la division politique en étant les principales causes. La Serbie, en refusant de condamner l’invasion russe et en refusant d’imposer des mesures à son encontre, s’éloigne ainsi politiquement un peu plus de la ligne partagée par les autres Européens.

D’autre part, le processus d’adhésion à l’Union européenne, qui est aujourd’hui essentiellement technocratique et fondé sur un ensemble de critères matériels, tend à se politiser. Ainsi les différentes pistes envisagées quant à sa réforme ont pour point commun de mettre en place des critères politiques permettant la constitution d’une réelle Europe politique. Dans ce cas, la position de la Serbie ne peut être tenue si elle veut être un jour membre à part entière de l’Union. Mais bien que cette stratégie politique semble aujourd’hui menée à l’impasse, la stratégie électorale, quant à elle, a amplement fonctionné. Cette manipulation de la guerre, le parallèle fait avec les bombardements lors de la guerre du Kosovo et le réveil de la russophilie, accentuée par l’outil médiatique soumis au pouvoir, a permis la réélection du président sortant dans une position encore plus favorable qu’aux dernières élections.

Les réélections des ultra-conservateurs Viktor Orban et Aleksandar Vučić peuvent sembler être un symptôme régional cantonné à « l’Europe de l’Est », symptôme qui démontrerait une tendance de fond pour le nationalisme et le conservatisme dans cette région du continent. Or il serait faux d’affirmer ceci. Tout d’abord parce qu’il existe des courants similaires en Europe de l’Ouest, avec les partis AfD (Allemagne), Partij voor de Vrijheid (Pays-Bas), en Europe du Sud, avec Fratelli d’Italia (Italie) ou Vox (Espagne), et en Europe du Nord, avec Perussuomalaiset (Finlande) ou Sverigedemokraterna (Suède). Ensuite, et surtout, parce qu’une vague de candidats pro-européens et plus proches du centre politique s’est abattue sur l’Europe centrale et orientale comme l’ont montré les dernières élections législatives tchèques et bulgares. Il reste donc à savoir si la réélection « libre mais pas équitable » des autocrates hongrois et serbe est une exception à une dynamique pro-européenne en Europe centrale ou si, justement, elle réaffirme un tournant nationaliste au niveau du Continent.

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