La promesse européenne : une mobilité sans entraves
Son histoire commence en 1985, dans le petit village luxembourgeois de Schengen. À l’époque, il s’agit d’une initiative intergouvernementale portée par cinq États : la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cet accord, signé le 14 juin s’inscrit dans la dynamique de réconciliation européenne post-Seconde Guerre mondiale, en renforçant la liberté de circulation, mais aussi la coopération policière, judiciaire, et les règles communes en matière d’asile et d’immigration.
Ce n’est qu’en 1997, avec le traité d’Amsterdam, que les acquis de Schengen sont pleinement intégrés dans le cadre juridique de l’Union européenne. L’espace Schengen devient alors l’un des symboles les plus concrets de l’intégration européenne.
40 ans après sa création, l’espace Schengen réunit 29 pays, dont quatre qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Cette année 2025 marque l’intégration complète de la Bulgarie et de la Roumanie, le 1er janvier 2025, après une intégration partielle le 31 mars 2024. Même chahuté par les bourrasques du souverainisme, Schengen tient bon et poursuit son élargissement.
Vers un espace Schengen à la carte ?
Le cadre juridique de l’espace Schengen est clair : un État ne peut rétablir les contrôles qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, et uniquement pour une durée de six mois. Ces contrôles peuvent toutefois être prolongés, au maximum jusqu’à deux ans, conformément à la réforme du Code Schengen adoptée en mai 2024. Les États membres doivent obtenir l’aval du Conseil européen, sauf en cas de menace grave justifiant une action immédiate.
L’Allemagne, membre fondateur de l’espace Schengen, a réintroduit des contrôles aux frontières depuis un an. Cette décision a été prise par crainte du hooliganisme à l’occasion du championnat d’Europe de football et des Jeux Olympiques qui avaient lieu respectivement en Allemagne et en France entre le 14 juin et le 8 septembre 2024. Pendant près de trois mois, des contrôles ont été instaurés en Allemagne, mais également en Suisse.
Toutefois, à partir du 16 septembre, l’Allemagne a prolongé ces contrôles suite à l’attaque au couteau de Solingen survenue le 23 août. Depuis, les contrôles n’ont pas faibli et se sont même intensifiés, notamment en raison de l’arrivée de Friedrich Merz, devenu chancelier le 6 mai 2025, et de sa volonté de maîtriser les flux migratoires. Face à cette intensification, les maires de Strasbourg, Jeanne Barseignan et de Kehl, Wolfram Britz, ont adressé une lettre commune à la chancellerie pour exprimer leurs préoccupations. Six députés allemands et français se sont également penchés sur l’écriture d’une lettre le 26 mai adressée à Bruno Retailleau, Ministre de l’Intérieur français et son homologue allemand, Alexander Dobrindt. Ils proposent notamment « la mise en place d’une voie spécifique pour les travailleurs transfrontaliers aux points de passage ». Néanmoins, à ce jour, les contrôles sont prolongés jusqu’au 15 septembre 2025.
Le cas de l’Allemagne cristallise l’attention, car il a un impact direct sur la France, avec Strasbourg en première ligne. Mais l’inquiétude ne s’arrête pas là : huit autres pays ont obtenu l’autorisation de rétablir des contrôles aux frontières entre septembre et décembre 2025. Parmi eux figurent l’Autriche, le Danemark, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, la Slovénie et la Suisse.
Entre Souveraineté, sécurité et droits fondamentaux
L’espace Schengen n’est pas seulement un accord de libre circulation ; il incarne un projet politique ambitieux, et est donc l’objet de tensions inhérentes à son objectif. L’espace Schengen se dresse comme un rempart à la souveraineté des États, ne pouvant plus gérer leurs frontières à leur seul bon vouloir. Deux visions de l’Europe se font face : le fédéralisme qui défend une gestion collective et solidaire des frontières, face au souverainisme qui prône le retour à une maîtrise nationale. Laquelle de ces deux positions l’emportera dans la bataille autour de l’avenir de l’espace Schengen ?
Les États doivent également concilier la sécurité de leur population, tout en répondant à son aspiration de liberté de circulation. C’est pourquoi la lutte contre le terrorisme est l’un des arguments régulièrement remis sur la table pour justifier les contrôles internes aux frontières.
La France, par exemple, a instauré des contrôles après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La déclaration de l’état d’urgence par François Hollande a permis de justifier ces mesures, notamment pour assurer la sécurité de la conférence internationale sur le climat (COP21) qui avait lieu à Paris. Initialement conçues comme des mesures exceptionnelles, celles-ci sont devenues pérennes et sont reconduites tous les six mois depuis près de dix ans.
Les autorités justifient ces maintes prolongations par la persistance d’une menace pour la sécurité intérieure, à laquelle s’ajoutent des tensions liées aux flux migratoires. Pourtant, ces prolongations, bien qu’elles contreviennent au principe de libre circulation inscrit dans le traité de Schengen, ont été validées par le Conseil d’État, qui a estimé en mars 2025 qu’elles respectaient le règlement encadrant l’espace Schengen.
40 ans après sa naissance, l’espace Schengen demeure l’un des piliers de l’intégration européenne. Mais à mesure que les frontières se referment, c’est tout un projet commun qui vacille. Face aux replis sécuritaires et souverainistes, l’Europe devra choisir : préserver l’idéal d’une libre circulation ou céder à l’insécurité et aux nationalismes.
Suivre les commentaires :
|
