Il s’agit d’une honte planétaire, auquel le Royaume-Uni est actuellement confronté. Dans cette démocratie parlementaire novatrice qui a mis dès le XIIIème siècle un pied d’ordre à la volonté du peuple et surtout celle du Parlement, le flou juridique du Brexit monte et divise. Personne ne sait qui doit enclencher le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne décidé par les Britanniques lors du référendum qui a secoué l’Europe du 23 juin 2016.
Un flou juridique inédit
Personne ne l’avait prévu en amont, donc personne ne sait comment procéder. Lorsque personne ne sait interpréter la loi (en l’occurrence la Constitution), il revient normalement au juge de trancher le litige en décidant de quelle manière doit être interprété un texte. Or, le Royaume-Uni n’a pas de Constitution écrite. Comment dès lors, les juges peuvent-ils rendre un jugement conforme à la Constitution qui s’établit selon la coutume ? Et sous quelles justifications ordonnent-ils que cette décision soit ensuite appliquée ? Questions difficiles pour les juges de la Cour Suprême à bien des égards. S’ils répondent que le Parlement doit décider, ils ne feront que confirmer l’arrêt de la Haute Cour de Londres saisie peu après le Brexit et qui a statué début novembre que le Parlement est l’unique mandataire possible pour déclencher la procédure de l’Article 50 du Traité sur l’Union Européenne. S’ils répondent que c’est le gouvernement qui est compétent en la matière, ils rompront avec une tradition parlementaire qui tient le Parlement pour unique souverain. Dans les deux cas, ils se verront sévèrement – si ce n’est violemment – attaqués par les deux camps du Brexit qui se déchirent. Les uns accuseront de partialité, les autres de laxisme et de laissez-faire.
Bref, comme il n’existe aucune jurisprudence antérieure, ce n’est pas simple de rendre une décision juste et conforme au droit coutumier dans ce cas. Comme l’Article 50 du Traité de l’Union Européenne n’est pas nécessairement clair sur les modalités de déclenchement de la procédure de sortie de l’Union, il serait donc judicieux que la Cour Suprême pose une question préjudicielle à la Cour de Justice. En d’autres termes, la Cour Suprême de Londres devrait demander à la Cour, comment interpréter l’Article 50 du Traité sur l’Union Européenne pour pouvoir ensuite trancher le litige en décidant qui, du Parlement ou du gouvernement, doit entreprendre le divorce.
Les juges classés par les tabloïds selon leur « europhilie »
Les tabloïds anglais se font une telle fureur du futur arrêt de la Cour suprême, qu’ils ont même été jusqu’à classer les 11 juges de la Cour selon un degré supposé d’ « europhilie ». Au-delà de cette absurdité scandaleuse qui signifierait que les plus hauts magistrats anglais ne seraient pas impartiaux dans un pays où le juge est Roi, il en advient de la sécurité des juges et des parties qui demandent un Brexit souple. Ces dernières ne sont d’ailleurs plus citées nommément mais de manière anonyme pour tenter de les protéger. Cela suffira-t-il au gré des tensions explosives qui déchirent le Royaume de Shakespeare ?
Dans tous les cas, les divisions sont profondes entre les anglais sur la question. Il faut respecter la décision souveraine du peuple martèlent les pro-Brexit. Le peuple est souverain et a élu un Parlement qui devient souverain à son tour répondent d’autres. Qui est donc souverain dans l’histoire ? Le Parlement élu ou bien l’émotion de la démocratie référendaire ? Au gré des résultats relativement serrés du Brexit en juin dernier, il est à parier qu’ils seraient différents si le peuple devait revoter sur cette question technique, dont plus personne ne finit par comprendre le sens.
Pour lancer une stratégie anglaise de sortie de l’Union Européenne, des députés travaillistes ont réalisé une motion, amendée ensuite par le gouvernement May. Avec une courte majorité des députés, la date du 31 mars 2017 est retenue à condition que le gouvernement May présente rapidement ses prérogatives en matière de stratégie. Nombre de députés estiment toutefois qu’il s’agit d’un piège pour avaler la couleuvre d’un Brexit à la dure.
A Bruxelles, on se dit « prêts »
Du côté des institutions européennes, les choses s’organisent. Michel Barnier, désigné comme négociateur en chef du Brexit du point de vue de la Commission européenne, se donne 18 mois pour négocier les suites de 40 ans de vie commune. Même un divorce classique entre deux personnes mariées peut prendre plus de temps, il faut donc véritablement saluer le courage de l’équipe Barnier pour avoir la volonté de travailler d’arrache-pied à renvoyer les anglais sur leur île. Au moins, le message est clair, les anglais n’auront qu’un rabais de 6 mois tout au plus et les négociations ne seront pas prolongées au-delà, conformément au traité.
L’Article 50 du Traité de l’Union Européenne
Ce fameux article n’est pas clair. « Tout Etat membre, peut décider, selon ses règles constitutionnelles de se retirer de l’Union. » En effet, aucun Etat membre ne prévoit dans sa Constitution une sortie de l’Union Européenne, encore moins le Royaume-Uni. Pour clarifier cet article, il est de la compétence de la Cour de Justice de l’Union Européenne de l’interprétation des règles de droits communautaires. Que la Cour suprême anglaise pose une question préjudicielle à la Cour de Justice et elle pourra ensuite trancher le litige entre le Parlement et le gouvernement.
En outre, qu’attend donc ce Parlement soi-disant pro-européen pour voter la défiance de May et retourner à ses électeurs ? Un regain de légitimité parlementaire est l’unique solution pour affirmer à tous les détracteurs que la volonté du peuple est respectée. Ou alors revotons. Les pro-Brexit s’apercevront alors que l’Union Européenne n’est pas si détestée qu’ils le prétendent dans ce pays aux paradoxes constants. Si les anglais veulent du Brexit, alors qu’ils le fassent proprement.
La Cour Suprême doit rendre son jugement en janvier 2017. D’ici la prise de position des plus hauts magistrats britanniques, audiences, débats contradictoires et autres polémiques publicitaires continueront de déchirer le Royaume. Dans ce divorce britannico-européen et intra-organique gournemento-parlementaire, heureusement que la Sa Majestée la Reine Elisabeth II d’Angleterre reste de marbre et ne demande pas le divorce.
1. Le 21 décembre 2016 à 13:17, par L’indépendant En réponse à : Et si la Cour Suprême de Londres posait une question préjudicielle à la Cour de Justice ?
N’en déplaise à l’auteur de cet article, dans une démocratie le peuple est SEUL souverain. On parle d’« émotion de la démocratie référendaire » ; c’est quand même incroyable que lorsque un peuple dit « non » par référendum à ce type de construction européenne (supranational), les europhiles disent que les électeurs ne réfléchissent pas, qu’ils agissent sous le coup de l’émotion. Disent-ils cela à propos du Traité de Maastricht de 1992 ? En outre, l’écart de voix lors du Brexit est plus d’un million de voix, ce qui est significatif.
2. Le 4 janvier 2017 à 11:55, par Alexandre Marin En réponse à : Et si la Cour Suprême de Londres posait une question préjudicielle à la Cour de Justice ?
Ne vous en déplaise, l’argument phare des partisans du Brexit était qu’il fallait rendre sa souveraineté au Parlement britannique.
De plus, il faudra réviser des dizaines de milliers de textes législatifs venus de la législation européenne, et le gouvernement n’est pas légitime à régir toutes ces questions sans contrôle parlementaire.
Sans compter la négociation en elle-même. Au-delà du Brexit lui-même, les parlementaires ont le droit de décider ce que la Grande-Bretagne négociera comme avantage une fois sortie.
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