Etat de droit en Pologne : une bataille de longue haleine

, par Antoine Potor

Etat de droit en Pologne : une bataille de longue haleine
Mateusz Morawiecki, président du Conseil des ministres. Photo : Domaine public

La Pologne est depuis le retour du PiS au pouvoir en 2015 - d’abord par l’élection présidentielle puis par les élections législatives - au coeur d’une presque bataille juridique avec la Commission européenne sur la question du respect de l’Etat de droit, valeur fondamentale de l’Union et qui est mise à mal par Varsovie notamment par les réformes qui menacent la Cour Suprême et le Tribunal Constitutionnel.

L’arsenal juridique européen

Il existe aujourd’hui une procédure très étoffée pour garantir l’Etat de droit (dans lequel “les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée”, comme le définissait Hans Kelsen) et plus largement des valeurs fondamentales de l’Union européenne listées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne

Historiquement, les Etats membres ont prévu lors du traité d’Amsterdam, larticle 7 du TUE, qui est désormais facilement identifié puisque son utilisation était un fait marquant de l’année 2017, permettant de “constater une violation grave et persistante par un Etat membre d’une valeur visée à l’article 2” pouvant aboutir à la suspension pour cet Etat membre de son droit de vote au sein du Conseil de l’Union européenne. Problème : ce constat nécessite l’unanimité du Conseil européen et est immédiatement radical, c’est pourquoi, suite à la crise avec le gouvernement autrichien des années 2000, les Etats membres ont ajouté un paragraphe permettant de constater un risque de violation grave et qui nécessite ⅘ des voix au sein du Conseil pour être adopté. Ce système à deux niveaux a rapidement été présenté comme une “arme nucléaire” qui n’aurait jamais à être utilisée…

Au-delà de ce que le TUE prévoit, la Commission européenne, en 2014, a constitué seule un système préalable à la procédure de l’article 7 : le cadre de sauvegarde de l’Etat de droit dans l’Union européenne. C’est principalement cette procédure qui est à l’œuvre depuis 2016 avec la Pologne, en somme il s’agit d’échanges entre la Commission et l’État membre concerné. L’exécutif européen, après une phase d’évaluation, peut former des recommandations (trois pour la Pologne, formulées en juillet et décembre 2016, puis juillet 2017) qui, si elles ne sont pas suivies par le pays concerné, peuvent donner lieu à la saisine du Conseil par la Commission sur le fondement de l’article 7§1 TUE, ce qui a eu lieu en décembre 2017.

L’indépendance de la justice entravée

Rapidement après son retour au gouvernement et à la présidence du pays, le PiS a entamé de nombreuses réformes visant les institutions de la justice polonaise : c’est le cœur des échanges avec la Commission européenne

Dès fin 2015, c’est le Tribunal Constitutionnel qui s’est trouvé visé par les réformes du gouvernement polonais, la majorité précédente (PO) avait désigné cinq nouveaux juges, dont trois validés par le Tribunal dans une décision du 3 décembre 2015. Pourtant le PiS dès son accession au pouvoir le 25 octobre 2015 n’a pas pris en compte ces nominations (le Président Duda n’a pas assermenté les juges) et procédé à la nomination de cinq nouveaux juges. Trois d’entre elles ont été rejetées par le Tribunal Constitutionnel le 9 décembre 2015. C’est cette opposition entre le pouvoir exécutif et la juridiction constitutionnelle qui a en partie poussé le PiS à entamer une réforme du Tribunal notamment en augmentant le quorum nécessaire à ses décisions de 9 à 13 juges (sur 15).

C’est notamment sur ce fondement que la Commission a adopté une proposition de décision du Conseil visant à engager la procédure de l’article 7§1 TUE qui est aujourd’hui toujours en suspens faute d’atteindre les ⅘ des Etats membres, soit 22.

Plus récemment, Varsovie a porté atteinte par une loi du 3 avril 2018 à l’Etat de droit puisque celle-ci prévoit d’abaisser l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour Suprême, conduisant au remplacement de 22 d’entre eux. La Commission a ici agi de manière plus directe en saisissant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en septembre 2018 afin d’éviter que la situation soit définitive. La juridiction européenne qui n’est pas impliquée dans la procédure de l’article 7 a été saisie au fond - d’un recours en manquement - en octobre 2018 en parallèle duquel la Commission a induit une action en référé. La Cour de Justice a accordé les mesures provisoires demandées par la Commission le 19 octobre 2018, confirmée par l’ordonnance du 17 décembre 2018 en attendant l’arrêt au fond. [1]

Il faut tout de même noter que deux textes ont été bloqués par le Président Duda sous la pression populaire et celle de la Commission européenne, deux textes qui prévoyaient un contrôle renforcé de l’exécutif et du Parlement sur le travail de la Cour Suprême et la nomination des membres du Conseil national de la Magistrature. Malgré ce recul le Président n’a pas posé son véto sur un troisième texte prévoyant la nomination par le Ministre de la Justice des juges des Tribunaux de droit commun.

Le PiS s’est aussi attaqué aux médias, et ce, dès janvier 2016 concernant les médias publics dont les présidents jusqu’ici nommés sur concours le seraient à la discrétion du gouvernement ; concernant les médias privés le PiS a mis fin à leur monopole, ce qui, à terme, risque d’empêcher toute critique du pouvoir.

Une solution supranationale ?

La Pologne peut compter sur le soutien du groupe de Visegrad auquel elle appartient, aux côtés de la Hongrie, la Slovaquie et la République Tchèque. Cela lui garantit de ne pas voir l’article 7§2 déclenché à son encontre puisqu’il nécessite l’unanimité et que la Hongrie de Viktor Orban a clairement indiqué qu’elle voterait contre, une décision que l’on peut imaginer partagée par les gouvernements slovaque et tchèque.

Il apparaît de toute façon illusoire de voir la question de l’article 7§2 à l’agenda du Conseil européen alors que le Conseil saisi par la Commission n’a toujours pas pris de décision quant à la constatation d’un risque de violation des valeurs fondamentales, tant la majorité des ⅘ n’est pas certaine d’être atteinte. Cela met facilement en exergue la vétusté de “l’arme de dissuasion nucléaire” dont est censée s’être dotée l’Union européenne pour garantir le respect de ses valeurs fondamentales.

Plusieurs difficultés se posent, l’Union et les Etats ne peuvent rester sans agir, il en va de l’intégrité de l’Union et de sa probité notamment du fait que ses valeurs sont une condition d’entrée dans l’Union : comment demander leur respect aux pays candidats si on est incapable de les faire respecter en notre sein ? Une autre difficulté est celle de l’ingérence : ce sont les Etats qui décident d’agir, mais comment agir contre un gouvernement démocratiquement élu ? Pourtant, on ne peut laisser faire sans risquer de voir les fondements de l’Union européenne partir lentement en lambeaux.

Une partie d’une éventuelle solution a déjà été mise en oeuvre : la CJUE. La juridiction européenne est totalement détachée des décisions des Etats membres et pourrait se voir octroyer des compétences plus directes et claires pour garantir le respect de l’Etat de droit et plus largement des valeurs de l’Union européenne. La Cour de Luxembourg éviterait une majorité de critiques sur la question de l’ingérence en visant à devenir une Cour Constitutionnelle européenne ayant autorité à juger les Etats.

Une autre partie de la solution est bien avancée et porte sur des questions budgétaires auxquelles les Etats sont particulièrement sensibles : conditionner les fonds européens au respect de l’Etat de droit, une solution particulièrement intéressante quand on sait que la Pologne est une terre d’investissements des fonds européens. Mais on revient ainsi au débat sur l’impact que ce conditionnement aurait sur les citoyens, les fonds structurels européens ayant pour objectif de développer les territoires et les opportunités pour les citoyens...

Du 18 au 24 février, les Jeunes Européens Fédéralistes organisent une semaine de campagne « Democracy Under Pressure ». Cette campagne appelle les citoyens européens à défendre la démocratie et à s’exprimer pour ceux qui ne le peuvent pas. Plusieurs articles seront publiés dans les jours à venir sur les différentes éditions linguistiques de notre magazine, en lien avec ces sujets.

Notes

[1Ajout 24/06/2019 : la CJUE a rendu son arrêt au fond ce-jour reconnaissant l’incompatibilité au droit de l’Union des mesures de la loi du 3 avril 2018).

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