Désacraliser la désintégration
La décision du Parlement grec d’organiser un référendum sur le plan d’accord soumis par les créanciers européens et internationaux signe la première véritable inversion de tendance d’un processus d’intégration des peuples européens. Initié au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier avait toujours suivi un même chemin : avec des accélérations et des décélérations, mais inlassablement vers une plus grande intégration.
Pour la première fois, un État membre se retrouve à soumettre à un vote son maintien dans la zone euro et dans l’Union même. En somme, la perspective et la direction ont évolué. Désormais, l’enjeu ne sera plus tant de savoir quand accélérer ou décélérer vers une plus grande intégration, mais quand accélérer ou décélérer vers une plus grande désintégration de l’unité européenne.
Référendum : La Grèce joue son siège
La pierre ne doit pas être jetée au peuple grec. Au contraire, Alexis Tsipras a pris la seule décision qui s’imposait à ce stade, en proposant aux citoyens une décision qui, prise par lui-même, aurait immanquablement impliqué la violation du mandat électoral reçu : soit imposer au peuple grec des conditions encore plus rudes et sans réelle vision sur une sortie de crise dans les prochaines années, soit l’entraîner hors de l’Europe, tout droit dans les mains de Poutine. Il est évident, et juste, qu’un chef de gouvernement ne prenne pas une telle responsabilité. Autrement, Tsipras aurait pu démissionner, reconnaissant l’impossibilité de conduire à bien son propre mandat électoral. Ceci aurait généré le chaos. Le choix de la responsabilité, lui, l’a fait. Le sens du référendum sera sans ambiguïté, du fait des conséquences sans appel qu’il sous-tend : le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro et dans l’Union européenne. Angela Merkel et Jean-Claude Juncker, qui guident aujourd’hui les États de l’Union, n’ont eu de cesse de le répéter.
Les conséquences du « non »
D’autre part, si le « non » l’emporte, la Grèce ne paiera pas - en premier lieu - ses dettes à la BCE, au FMI et aux autres États membres. Il n’y aurait donc plus de conditions pour les Etats membres, puisque la Grèce peut encore siéger dans les institutions européennes, sous peine de perte totale de crédibilité des engagements qu’un État membre assume vis-à-vis de l’Union. Pour quelles raisons les autres États devraient-ils continuer à payer sa dette et à respecter les engagements liés à l’appartenance à l’Union européenne ?
En outre, le déficit créé par des non-paiements mettra Mario Draghi sous une forte pression, lui qui sera accusé d’avoir dilapidé l’argent des citoyens européens et considéré comme un débiteur en faillite : il sera très certainement poussé à la démission. Son successeur pourra-t-il encore exercer ce rôle courageux et parfois « fédérateur », que la BCE avait assumé ces dernières années ? Cela paraît quasiment impossible. En effet, de nombreux pas en arrière seront nécessaires à l’institution qui s’était exposée pour répondre aux demandes d’assistance d’États qui ont décidé de réduire leur dette postérieurement. Sans compter qu’une Grèce hors de l’euro serait irrémédiablement entraînée dans la sphère d’influence russe, et la tension présente aux frontières de l’Est, déjà élevée du fait de la crise ukrainienne, ne ferait que s’amplifier. Il va sans dire qu’un précédent serait désormais créé, et la réversibilité de l’adhésion à l’euro serait consacrée. Dès lors, quelle crédibilité et quelle confiance le reste du monde trouverait-il dans la zone euro ?
Le « oui », une victoire pour l’Europe ?
Il semblerait ainsi, à première vue, qu’un « oui » pourrait se révéler une victoire pour l’Europe. Cependant, même si cette hypothèse apparaît comme peu probable aujourd’hui, toujours est-il qu’une victoire du « oui » ne rendrait pas la situation meilleure. Ce serait clamer haut et fort que la Grèce est un pays de seconde zone, à qui l’on peut exiger tout sacrifice au nom de la volonté des investisseurs étrangers. Ce serait déclarer ouvertement que l’Europe, face aux difficultés d’un de ses États à payer sa dette, agit en total mépris des principes de solidarité et d’humanité. Cette Union-là peut-elle être crédible ? Une famille d’États fondée sur la menace et sur l’humiliation ? Un père qui n’aide pas son fils prodigue lors du moment le plus difficile ne peut se considérer comme un bon père, et sa « famille » ne mérite pas cette appellation.
L’effondrement de la « maison Europe » ?
En réalité, nous n’aurions jamais dû en arriver là. L’Eurogroupe et la Commission européenne se devaient d’écarter le FMI de la table des négociations, en payant le montant dû par la Grèce. Ils auraient dû dire aux investisseurs étrangers que la dette grecque (2% de la dette publique européenne) était garantie, pour ensuite apporter une solution au problème au sein même de la « maison Europe ». Dit autrement, mettre en place un budget de la zone euro à même de garantir les dettes auprès des États n’y appartenant pas, et dont la gestion aurait été légitimée par un rôle accru du Parlement et une rationalisation du Conseil. En bref, un budget communautaire sous la conduite d’un gouvernement fédéral démocratiquement élu.
Le fait est qu’une Europe avec un minimum de vision pour le futur, d’orgueil et d’esprit de solidarité, ne serait jamais arrivée à un ultimatum comme celui du référendum grec. Et, aujourd’hui qu’il est arrivé, la défaite est déjà consommée, et l’on ne reviendra pas en arrière.
Tout le courage politique manqué, toutes les poussées eurosceptiques qui l’ont emporté, toute la rigidité de certains gouvernements et le manque total d’initiative d’autres, sont les réels facteurs auxquels il faut imputer la faute de l’effondrement de la « maison » européenne. Avec elle, s’effondrent une vision qui avait assuré la plus longue période de paix et de bien-être en Europe depuis deux millénaires, et la première véritable tentative de révolution pacifique des peuples d’un continent entier contre des États nationalistes qui les avaient entraînés dans les ténèbres et qui, aujourd’hui, à nouveau, les condamnent à la division, au conflit et à l’insignifiance.
1. Le 5 juillet 2015 à 10:49, par Alain En réponse à : Europe : un point de non-retour
Ce n’est que la dernière étape d’un long processus :
1) L’élargissement à l’est plutôt que l’approfondissement (avec un statut d’associé) est le signe du passage d’un projet sociétal solidaire à un projet impérial d’extension géographique
2) La crise a remplacé « l’économie au service du citoyen » par « le citoyen au service de l’économie », l’alpha et l’omega de toute politique est la croissance du PIB alors que ce dernier n’est qu’un indice d’activité économique et même pas de création de richesse (gaspiller les ressource en jetant de la nourriture , en consommant de l’énergie pour d’absurdes 4X4, les réparations après accidents, ... augmentent le PIB mais sûrement pas la richesse totale
3) La démocratie est attaquée de front : Junker « il n’y a pas d’alternative démocratique aux traités », Schültz « La Grèce a besoin d’un gouvernement de technocrate », et bien d’autres déclaration du genre
4) La destruction économique du pays qui se rebiffe
Non la vison ne s’est pas effondrée, les politiques vassaux de la finance et du 1% le plus riche l’a remplacé par une autre vision qui est en train de gagner dans la résignation des peuples. Depuis des années l’Europe devient la tyrannie la plus accomplie, ceux qui sont sous sa coupe ne s’en aperçoivent même pas et ne risquent donc pas de se rebeller
2. Le 16 juillet 2015 à 20:36, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Europe : un point de non-retour
Et si Stefano ET Alain avaient tous les deux raison ? Absence de courage et de vision, l’insignifiance nationale même, pour le premier, dévoiement du projet pour le second ! Leur seule spécificité ? Pour le second, le ver était dans le fruit dès l’origine, alors que le premier, comme moi, croit encore à la vision prophétique. Faut-il s’accommoder du constat, aussi juste soit-il ? Ce serait dénier à chacun le droit de corriger le tir, d’en revenir à l’enthousiasme des premiers jours. Car cet enthousiasme existait dans les années soixante du siècle dernier ! A la différence d’Alain, je ne crois pas que le ver était dans le fruit vers 1960. Je ne le crois pas car l’ai vécu ces moments d’euphorie. Je ne le crois pas car des SCHUMAN, des MONET, des DELORS n’avaient rien de commun avec « les vassaux de la finance ». Ne jugeons pas ceux de 1957 avec les lunettes de 2015 ! Si le projet européen a dérivé, c’est la faute à ses porteurs d’eau, pas à ses cadors...s’il en est encore, ce dont je doute !
3. Le 17 juillet 2015 à 06:06, par Alain En réponse à : Europe : un point de non-retour
Je dois légèrement corriger la lecture de Jean-Luc Lefèvre de mon commentaire, le ver n’était pas dans le fruit depuis le début, le projet a été dévoyé en 2004 avec un élargissement à des pays qui avait une tout autre vision. Il fallait créer un statut d’association qui leur aurait permis de tirer les bénéfices économiques et protecteurs qu’ils recherchaient sans inhiber le projet initial pour les membres.
Je me permets de redire qu’à ce moment là on est passé d’un projet coopératif novateur à un projet impérial des plus classiques ; et tous les empires ont toujours finis de la même façon, par la répression suivie de l’éclatement
4. Le 17 juillet 2015 à 10:52, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Europe : un point de non-retour
@ Alain ! Entièrement d’accord avec vous ! L’élargissement à marche forcée a été une erreur...largement encouragée par les Etats-Unis et leur allié dans la place, la Grande-Bretagne : c’est à eux que profitait le « crime » dans la mesure où une Union élargie se diluait aussi. Place alors à une zone de libre - échange entièrement dévouée aux intérêts économiques au détriment de l’Union politique qui trottait dans la tête des fondateurs. Qui encourage, une fois de plus, l’élargissement à la Turquie ? les U.S.A., dans le même esprit et pour se désengager du sol européen où le stationnement des troupes U.S. est onéreux. Depuis lors, la politique de POUTINE a modifié la donne, comme le terrorisme djihadiste, au même titre que la crise grecque. Tout cela mis ensemble donnera un coup d’accélérateur à l’intégration européenne : une défense commune, une sécurité commune, un parquet fédéral européen, un gouvernement économique...Les crises ont toujours servi de moteur à la construction européenne. C’est dommage, mais largement compréhensible quand la classe politique est devenue gestionnaire du court terme, boutiquière de ses petits intérêts égoïstes et d’une mauvaise foi insondable : la faute à « Bruxelles », toujours, quand les décideurs sont les mêmes, partout !
5. Le 18 juillet 2015 à 15:57, par Alain En réponse à : Europe : un point de non-retour
Si cela se passe comme vous le souhaitez, cela sera une pierre de plus vers l’assassinat de la démocratie européenne. Au dernier sondage il n’y a plus que 14 % des Européens favorables à un approfondissement.
Pour retrouver sa légitimité, l’UE doit faire marche arrière toute et remettre l’économie au service du citoyen plutôt que l’inverse. Et cela c’est impossible depuis que les nouveaux maîtres sont le 1% le plus riche (caste prédatrice en voulant toujours plus) et que le nouveau dieu est le PIB à qui il faut tout sacrifier. Et c’est un dieu fallacieux : une catastrophe naturelle et la reconstruction boostera le PIB alors que dans les faits tout le monde s’est appauvri
6. Le 19 juillet 2015 à 20:19, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Europe : un point de non-retour
@Alain : nous ne lîsons clairement pas les même sondages... ou pas de la même manière. Ce que j’observe c’est au contraire que bon nombre des critiques envers l’Europe concernent son absence ou son inaction plus que ce qu’elle fait effectivement. Par ailleurs il faut s’entendre sur ce que l’on appellel « approfondissement » : on parle surtout de modifier la manière dont l’Europe est gouvernée dans le sens d’une plus grande démocratie c’est à dire d’une république fédérale européenne, pas nécessairement de transférer plus de compétences dans l’immédiat.
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