Fédéraliser la politique d’asile

, par Laurent Nicolas

Fédéraliser la politique d'asile
Lors du sommet européen des 25 et 26 juin derniers, les chefs d’Etat et de gouvernement ont repoussé les propositions de la Commission européenne. Refusant la répartition chiffrée des demandeurs d’asile entre les Etats membres, les Etats disent « non » à une politique migratoire européenne. Ils prônent un système de répartition volontaire pour 40 000 migrants, provoquant la colère de Matteo Renzi : « Ou vous êtes solidaires, ou vous ne nous faites pas perdre notre temps. (…) Si vous voulez une base volontaire, si c’est ça votre idée de l’Europe, alors gardez-la pour vous. Nous nous débrouillerons seuls » [1]. - Palazzo Chigi

La politique d’asile a resurgi dans le débat public sous l’effet de la crise migratoire qui touche l’Europe. C’est en quelque sorte la pression des migrants en Méditerranée qui a « européanisé » la question de l’octroi de l’asile aux réfugiés, cantonnée jusqu’ici à un cadrage médiatique et politique très national. À l’évidence, ce carcan est devenu trop étroit pour épuiser le débat. Ainsi, dire comme António Vitorino, commissaire européen à la Justice et aux Affaires intérieures entre 1999 et 2004, qu’il faut un « système européen commun d’asile », c’est dire en réalité qu’il faut fédéraliser la politique d’asile.

Octroyer l’asile à un réfugié politique est fondamentalement un motif de fierté. Pour ce qui concerne la France et son histoire nationale, c’est un geste intrinsèquement républicain, hérité de 1789, en ce qu’il revient à témoigner aux réfugiés à nos portes la même fraternité que celle qui fonde le pacte social en vigueur sur notre sol.

Si tous les pays européens n’ont pas la même relation historique avec l’octroi de l’asile, il n’en reste pas moins que cette relation au monde, et à ceux qui, dans le monde, cherchent la paix, l’Etat de droit, la démocratie, est une application concrète des valeurs universelles qui sont au cœur de l’idée européenne.

Sur le plan du droit, la politique d’asile est assise sur le socle des valeurs fondamentales et des principes généraux du droit qui régissent l’Union. C’est donc logiquement qu’elle est prévue par les traités : l’Union « développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres » peut-on lire à l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Ce cadre juridique a été précisé par les accords de Schengen puis par le Règlement de Dublin de 2003, qui constitue le cœur de la politique d’asile et, malheureusement, en contient toutes les failles. Le Règlement Dublin avait deux objectifs principaux : déterminer le pays en charge de traiter la demande d’asile d’une part, et fixer des critères clairs afin d’harmoniser les conditions d’attribution entre les différents Etats membres.

C’est parce qu’elle ne permet pas, dans les faits, d’atteindre ces deux objectifs que la politique européenne d’asile est aujourd’hui en faillite. Avec Dublin le pays qui doit traiter la demande d’asile est celui par lequel les migrants sont entrés sur le territoire de l’Union : cette situation est insoutenable pour l’Italie, la Grèce et tous les principaux pays d’accueil et déroge au principe de solidarité qui doit tenir lieu de boussole dans la conduite de cette politique. Par ailleurs, l’harmonisation des critères d’attribution de l’asile entre les Etats membres reste une chimère à tel que point que « les chances de succès pour un demandeur d’asile afghan sont de 1 % en Grèce et de 75 % en Suède », expliquait l’ancien commissaire européen António Vitorino.

Depuis 2003, dans les Etats membres, comme à la Commission européenne, tout le monde le sait, et tout le monde regarde ailleurs. Jusqu’à la guerre civile en Syrie, jusqu’au champ de ruine libyen, jusqu’à la folle dérive totalitaire et sanglante en cours en Erythrée. Trois tragédies qui ont poussé des dizaines de milliers d’hommes et de femmes à tout risquer pour échapper à la mort et reconquérir leur liberté.

Le sujet s’est donc imposé à l’agenda, sous la pression des images et de leur retentissement dans une opinion publique européenne médusée et, disons le, bien peu encline à faire preuve d’empathie tant la crise et le chômage ont rétréci les horizons.

L’Europe a trois défis devant elle : l’identification et l’enregistrement des demandeurs d’asile à leur arrivée, la répartition équitable de ces demandes dans les pays de l’Union, et l’harmonisation des critères d’octroi. Le premier est un défi davantage technique et logistique, les deux autres sont éminemment politiques.

Lorsque les migrants arrivent dans l’espace Schengen, aujourd’hui en Italie ou en Grèce, ils doivent être pris en charge dans ce qu’il faut appeler par son nom : un centre de tri. Si les Européens veulent collectivement assumer la capacité à accueillir les réfugiés politiques, ils doivent être en mesure, à l’inverse, de renvoyer dans leur pays d’origine les migrants économiques qui formulent des demandes abusives de protection politique. Ces centres, les « hot spot », font dans leur ensemble consensus et devraient voir le jour à moyen terme grâce au renforcement des moyens de l’agence Frontex.

Le point qui a cristallisé les débats à la suite des premières propositions de la Commission européenne, c’est celui de la répartition entre les pays de l’Union européenne des migrants identifiés comme demandeurs d’asiles légitimes. Qui dit répartition, dit critères de répartition et donc foire d’empoigne aux intérêts nationaux, chaque État membre ayant de bonnes raisons pour minorer ou majorer un critère afin de diminuer son quota de demandeurs. Ce schéma, inhérent au fonctionnement intergouvernemental de l’Union, devient insupportable lorsqu’il s’agit d’êtres humains en détresse. L’intergouvernementalisme abaisse les valeurs de l’Union, il est immoral, il faut en sortir au plus vite.

L’Europe doit enfin rétablir l’égalité pour tous les demandeurs d’asile en harmonisant une bonne fois pour toute les critères. Cela ne pourra se faire qu’au moyen d’une fédéralisation de la politique d’asile : compétence transmise pleinement à l’Union qui en assure le pilotage et en fixe les grandes orientations, et administrée par les Etats membres en respect du principe de subsidiarité.

Un uniforme européen pour les gardiens de nos frontières extérieures, des centres européens d’enregistrement des demandeurs d’asile légitimes à leur arrivée, une assignation des demandeurs à un Etat membre au regard de critères ne faisant pas l’objet d’un marchandage mais répondant à l’intérêt général européen et à l’efficacité de nos politiques et enfin une procédure de traitement des demandes et d’octroi de l’asile fondée sur des critères uniques définis dans un règlement européen s’imposant aux Etats membres pour rétablir l’égalité dans toute l’Union : la route est tracée, n’attendons plus un autre naufrage, sortons par le haut, sortons par l’Europe.

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