Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

, par Ferghane Azihari

Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?
Aujourd’hui, l’Ecosse se prononce sur son indépendance. Indépendantisme et fédéralisme européen sont-ils compatibles ? - Màrtainn MacDhòmhnaill

Entre les manifestations à l’occasion de la fête nationale catalane, la poussée des séparatistes flamands et l’hypothèse de plus en plus crédible de l’indépendance écossaise, il semble que la « vieille » Europe telle qu’on la connait depuis deux siècles soit sur le point de tirer sa révérence. À l’heure où la construction européenne tente tant bien que mal de dépasser l’État-nation, comment l’euro-fédéralisme peut-il se situer par rapport à ces velléités indépendantistes qui utilisent justement l’idéologie nationaliste pour se justifier ?

Deux philosophies a priori incompatibles

On peut a priori considérer que l’indépendantisme résulte de l’échec du fédéralisme. Certes, le Royaume-Uni et l’Espagne n’étaient pas des États proprement fédéraux quoi que la culture de la subsidiarité y est beaucoup plus développée que dans d’autres pays européens comme la France. Mais au plan politique, l’éthique de la subsidiarité propre au fédéralisme a justement l’ambition d’éviter le développement d’aspirations indépendantistes pour au contraire consacrer l’unité dans la diversité. C’est ainsi que la France jacobine, pour atténuer les indépendantismes sur certaines parties de son territoire (comme en Corse) a du lâcher du lest en conférant un semblant d’autonomie politique dans certains domaines. Dans cette perspective, le fédéraliste peut légitimement regarder ces indépendantismes avec un air méfiant, d’autant plus quand on constate que ces derniers se fondent sur des considérations identitaires (nationalisme) pour se justifier. Pourtant si l’on regarde les évènements avec un peu plus de hauteur, on constate que les indépendantismes ne font que récupérer l’idéologie des États-nations pour la retourner contre ces derniers. En d’autres termes, c’est le nationalisme espagnol qui entretient le nationalisme catalan, le nationalisme britannique qui entretient le nationalisme écossais et le nationalisme belge qui nourrit le nationalisme flamand. Il aurait été beaucoup plus difficile pour les séparatistes d’opposer des arguments nationalistes à un État rationnellement fondé. Il faut enfin remarquer que ces régionalismes sont à certains égards beaucoup moins complexés vis-à-vis de l’intégration européenne que ne le sont les « Grandes Nations ». Cette considération tend in fine à tempérer voire annuler la fausse opposition entre l’indépendantisme et le fédéralisme. On peut même considérer que le premier est l’évolution du second.

Deux philosophies a posteriori complémentaires

Le fédéralisme a l’ambition de consacrer une éthique de la subsidiarité pour garantir une décentralisation maximale de l’exercice de la souveraineté. Il s’agit de faire en sorte que le pouvoir politique soit, sur le plan intérieur, le plus respectueux possible de la diversité des réalités individuelles et corrélativement de l’idéal démocratique. C’est une démarche proprement libérale. Or si l’on y réfléchit bien, l’indépendantisme, en soi, ne s’éloigne pas tant que ça de la finalité du fédéralisme. Au contraire. On peut considérer que l’indépendantisme consacre une éthique de la subsidiarité pour garantir une décentralisation maximale de la détention de la souveraineté. Il s’agirait de faire en sorte que le pouvoir politique soit, sur le plan international, le plus respectueux possible de la diversité des réalités individuelles et corrélativement de l’idéal démocratique. Cela ne consiste finalement qu’à radicaliser la démarche libérale/fédérale précédente. Dans cette hypothèse en effet, les régions nouvellement investies de la souveraineté siègeraient directement dans les instances internationales sans intermédiaire étatique contrairement à la situation actuelle. Le fait de rapprocher les instances internationales (par exemple l’UE, le FMI, l’ONU…) des territoires les rendent beaucoup plus respectueux des réalités locales qui sont les premières réalités individuelles et sociales. En d’autres termes, il ne faut pas avoir peur du démantèlement organisé des vieux États-nations tant qu’il se déroule selon les règles constitutionnelles propres à chaque État. Ce démantèlement est en vérité la condition sine qua non de l’épanouissement de la démocratie en Europe grâce à la naissance d’entités politiques souveraines plus petites et donc plus représentatives des intérêts des citoyens qui les composent.

Certes il est encore désolant que ces nouvelles entités se bornent à reproduire le paradigme de l’État-nation à leur propre échelle. Il n’empêche que le nationalisme tend à être moins vigoureux et moins dangereux lorsque l’État est plus petit. De quoi être plus clément avec eux tout en gardant l’espoir du triomphe progressif du post-nationalisme au nom de l’universalité propre à la raison qui fonde la liberté.

Vos commentaires
  • Le 18 septembre 2014 à 14:43, par Xavier C. En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Excellent article qui plaide de manière convaincante pour l’Europe fédérale des régions.

    Merci de marteler l’importance du principe de subsidiarité qui, malheureusement, fait de plus en plus défaut en UE.

    Il faut espérer que l’Écosse vote son indépendance et laisse de côté son programme étatiste pour retrouver ses racines libérales. Ainsi l’Écosse indépendante sera prospère et démontera l’argument assez répandu qui consiste à dire qu’une petite entité ne peut pas réussir.

    Espérons aussi que les Corses, Bretons, Alsaciens, Savoyards, etc. en prennent de la graine. Si l’Écosse a ses raisons de quitter un ensemble tout même peu centralisé, les régions françaises y ont un intérêt vital.

    Une Europe des régions avec de plus petites entités permettraient de nombreuses coopérations locales (donc à l’opposé de « l’harmonisation » européenne) ainsi qu’une saine concurrence entre les territoires (tous les Européens ou presque deviendraient des frontaliers).

    Il y a d’ailleurs un peu partout de nombreux mouvements autonomistes pro-européens. Il n’y a en fait que les jacobins pour ne pas concevoir qu’on puisse être régionaliste et pro-européen ou, mieux, régionaliste et fédéraliste.

  • Le 18 septembre 2014 à 19:30, par giraud jean-guy En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    De fait, vu la diversité de ses quatre populations, le Royaume-Uni pourrait songer à devenir un véritable État fédéral . Ceci implique d’abord l’élaboration d’une Constitution écrite créant des Institutions fédérales et garantissant les droits inaliénables des entités fédérées. Ces Institutions seraient notamment compétentes en matière de relations internationales (diplomatie, Défense, Monnaie, ...) et de relations entre les entités fédérées. Celles-ci gèreraient de façon autonome la majorité des questions internes. Pour l’Angleterre, les Chambres des Communes et des Lords - élues par les seuls résidents anglais - ne règleraient plus que les questions internes anglaises. La principale différence avec la « dévolution » est la consécration politique et juridique de l’autonomie des entités fédérées sur la base d’un régime (Constitution) s’appliquant de façon uniforme à toutes ces entités et ne pouvant être modifié que par l’accord de chacune d’entre elles. Une des chambres fédérales devrait d’ailleurs représenter, à égalité, chacune des entités. Rien n’empêcherait le maintien d’une Royauté commune aux « United States of Britain » ... JGG

  • Le 18 septembre 2014 à 20:41, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Permettez au belge que je suis de réagir...

    Pour, d’abord, m’étonner ! 45 ans plus tard, depuis sa démission en avril 1969, DE GAULLE gagne enfin son referendum et convainc, en France, de l’importance des régions ! Quel long purgatoire ! Comme le bon vin, ses visions ont gagné en maturité, en rondeur, et, surtout, en puissance.

    Pour aussi, une fois (!), me moquer de mes cousins français : je les savais jacobins, je les savais nostalgiques de leur monarchie, je les découvre - enfin - nostalgiques de leurs « pays »...

    D’authentiques « paysans »,donc, et l’Union européenne a besoin de ces « paysans »’ qui ont toujours conjugué unité et diversité.

    Amis français ! Relisez BRAUDEL quand il parle de l’ « invention » de la France ! « Nihil novi » en matière de construction européenne ! Ma différence n’est pas de nature, mais d’échelle...Serez-vous, comme vous l’avez été, capables d’en gravir les échelons...en revenant aux terroirs ???

  • Le 19 septembre 2014 à 04:12, par Xavier C. En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    @Jean-Luc Lefèvre Malheureusement, quand on regarde la dernière réforme territoriale...... on s’éloigne encore un petit peu plus du terroir. On réussit la prouesse de centraliser davantage !

  • Le 19 septembre 2014 à 07:37, par Ferghane Azihari En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    @JL Lefèvre. Effectivement, ne vous étonnez pas tout de suite ;) Comme le rappelle Xavier, on n’est très loin de la construction d’une culture de la subsidiarité dans ce pays. J’ai assisté à une conférence avec Marylise Lebranchu (Ministre de la fonction publique et de la « décentralisation »)il y a deux jours et il est apparu que l’objectif de la réforme territoriale était de renforcer le contrôle de l’Etat.

  • Le 19 septembre 2014 à 09:54, par Alexandre Marin En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Ce n’est pas une si mauvaise chose que les Ecossais aient dit non à l’indépendance : le côté pro-européen des indépendantistes était de circonstance, pour contredire les Anglais (la culture écossaise a inventé beaucoup de ses apparences dans l’unique but de se distinguer des Anglais), et pour montrer qu’elle est une nation comme les autres, pouvant être représentée au concert des nations européennes. Il s’agit donc d’euro-conservateurs, et on en a déjà 28 de trop (même si je reconnais qu’à 28, un de plus un de moins...).

    Plutôt que d’avoir un Etat euro-conservateur de plus, autant se mettre à construire le fédéralisme au niveau de ces Etats, pour les rendre, dans leurs pratiques politiques moins euro-conservateurs.

    Ensuite, j’aimerais contredire l’affirmation que les petits Etats sont moins nationalistes que les gros en faisant comparaître à la barre des témoins, la Serbie, l’Albanie, et la Croatie.Le Danemark est aussi un Etat où règne un fort euroscepticisme, à en croire les résultat des élections européennes, alors qu’il n’est peuplé que par cinq millions d’âmes. N’oublions pas l’europhobie de l’ancien président tchèque Vaclav Klaus ou de l’actuel dirigeant hongrois Victoir Orban. Sur un autre plan, on peut citer le Luxembourg, défendant bec et ongles le secret bancaire, au préjudice de l’intérêt général européen (secret bancaire qu’il refuse aux autres pays européens, mais qu’il cède aux pressions des Etats-Unis).

    Les « petites » nations n’étant pas forcément moins complexées que les grandes face à la construction européenne, on ne voit guère comment les régionalismes nationalistes seraient nécessairement moins euroscpetiques que les « grandes » et les petites nations. Les nationalistes, une fois leur indépendance acquise auraient pu se retrouver dans les propos de Vaclav Klaus « on n’est pas sorti de Moscou pour retomber dans Bruxelles ».

    Enfin, le but de l’Union européenne n’est pas de supprimer la nation, mais de la transformer, en lui faisant adopter les valeurs fédéralistes, et de faire passer l’Etat-Nation du rang d’Etat souverain (ce qu’il n’est plus qu’en théorie) à celui d’Etat fédéré.

  • Le 19 septembre 2014 à 09:59, par Ferghane Azihari En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Je me contenterais de rappeler à Alexandre Marin que parmi les électeurs, on pouvait trouver :

    _les citoyens britanniques résidant en Ecosse

    _les citoyens des 52 autres membres du Commonwealth résidant en Ecosse

    _les citoyens des 27 autres pays de l’Union européenne résidant en Ecosse

    _les membres de Chambre des Lords résidant en Ecosse, les membres des forces armées britanniques enregistrés sur les listes électorales écossaises

    De quoi tempérer le nationalisme du parti national écossais. J’ajouterais enfin que faire de l’unité des Etats-nations une fin en soi me semble irrationnel. Au regard des considérations démocratiques, ils n’ont aucune raison de subsister.

  • Le 19 septembre 2014 à 10:31, par Alexandre Marin En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Soit, mais rien ne dit que l’Ecosse, une fois indépendante n’aurait pas limité le droit de vote aux citoyens ayant opté pour la nationalité écossaise.

  • Le 20 février 2017 à 13:17, par Jonathan Herry En réponse à : Fédéralisme et indépendantisme, opposition ou complémentarité ?

    Alors je pense que l’article manque un peu de hauteur, je vous propose de regarder un peu plus la vision de ces nationalistes. Notamment du SNP en écosse qui a une vision très progressiste de la nation et de la citoyenneté qu’ils séparent d’ailleurs. Nationalisme veut simplement dire ici qu’on reconnaît l’existence d’une nation. Il faut aussi rajouter qu’ils défendent un fédéralisme à l’échelle européenne en étant membre de l’EFA, l’alliance libre européenne. L’actualité récente sur les écossais confirment mes propos dans leur volonté de rester dans l’UE. L’indépendantisme dans ce cas, veut simplement dire qu’on se sépare d’un pays le jugeant irrespectueux par rapport aux volontés des nations/minorités. Il est cependant pas question pour ces pays de souverainisme ou d’Etat-Nation au sens unitaire et ethnique du terme. Sinon j’ai bien aimé la réflexion sur les petites entités, c’est effectivement en acceptant l’élargissement interne en Europe. Il faut effectivement respecter toutes les diversités si l’on veut construire ensemble un fédéralisme européen.

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