Fin du roaming : Un retard inacceptable

, par Sergio Camachetty

Fin du roaming : Un retard inacceptable
Membre de la Commission européenne depuis 1999, commissaire à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté de 2010 à 2014, Viviane Reding s’est étonnée de ce report de la suppression des frais de roaming et dénonce l’influence des lobbies des télécommunications. Une décision qui va à l’encontre des intérêts des consommateurs pour l’ancienne commissaire européenne. - World Economic Forum

Alors que les Européens attendaient la fin des frais d’itinérances (roaming) sur le territoire européen à la fin de l’année 2015, la Commission a finalement décidé de repousser leur suppression à 2018. Même si les frais ont considérablement diminué depuis 2010, il n’en reste pas moins que cette nouvelle est un nouveau coup dur pour le consommateur. Rappelons qu’en France plus de 350 000 personnes traversent quotidiennement la frontière pour aller travailler, et utilise ainsi leur mobile dans l’espace européen.

Qu’est-ce que le roaming ?

Dès 2006, la commissaire en charge de la société et de l’information, Viviane Reding, avait montré un intérêt certain sur la question de la suppression dans l’espace européen des frais du roaming, c’est-à-dire des frais d’itinérance qui entraîne un surcoût des appels émis ou reçus depuis l’étranger. Il semblait clair à l’époque que les coûts liés à la mobilité devaient diminuer pour qu’il y ait, à terme, une suppression totale de ces frais sur l’ensemble du territoire européen.

Ainsi entre 2010 et 2015, les coûts liés à un appel sortant depuis l’étranger sont passés de 39 cts à 19 cts alors que le prix d’un sms est passé de 11 cts à 6 cts. C’est une victoire pour la Commission européenne puisque depuis 2007 les coûts ont diminué de 70% [1].

Bien qu’ayant constaté une nette évolution du prix des appels et des sms, l’objectif fixé en 2013 par le Parlement européen, à savoir que d’ici la mi-décembre 2015 les frais soient totalement abolis en arborant le slogan « roam like home », ne sera visiblement pas respecté.

L’échec de la conciliation durant la présidence italienne

Le Conseil européen de novembre 2014 n’a pas abouti au consensus espéré. La fin de la présidence italienne s’est marquée par une scission entre les pays sur la question du roaming : si certains pays comme le Royaume-Uni sont favorables à la fin du roaming, la France, elle, ne l’est pas. En prétextant que les opérateurs doivent mieux se préparer à cette transition, certains pays balaient la proposition de l’ancienne Commission et le vote du Parlement européen qui avait approuvé la suppression des frais d’itinérance en avril 2014. Par le blocage des Etats et le renoncement de la Commission, cette dernière ne fait que se discréditer une fois de plus aux yeux des consommateurs.

Qualifiant cette décision de report « d’erreur monumentale », l’ancienne Commissaire Viviane Reding considère que la Commission actuelle doit maintenant passer aux « actes » et ne plus se cacher derrière de belles paroles.

Un retard lié aux lobbies

Si les négociations avaient été bien entamées pour supprimer les frais liés au roaming, c’était sans compter les lobbies dont la pression aura fini par faire céder les dirigeants européens. Bien que le Parlement européen ait été favorable à l’idée de cette suppression en votant une mesure de suppression des frais d’itinérance d’ici la fin 2015, c’est le Conseil européen qui est responsable de ce retard.

Le rôle des lobbies dans cette affaire n’est pas anodin. En France, le roaming représente une manne financière importante pour les opérateurs téléphoniques. Lié au tourisme, le roaming a donc tout intérêt à perdurer en France. Selon une étude d’Oddo Securities publiée à la mi-janvier, les frais d’itinérance des opérateurs représentent de 5% à 12% de leur chiffre d’affaires. On peut donc comprendre que certains opérateurs français et européens sont sceptiques à l’idée de perdre cette rente.

Une suppression reportée à 2018 ?

Lors du Conseil européen de janvier 2015, la Lettonie qui en assure la présidence, a suggéré d’accorder un délai supplémentaire aux opérateurs dans l’application de cette mesure, en préférant une baisse progressive des tarifs pour atteindre des frais nuls d’ici 2018. Pour le consommateur, la pilule a du mal à passer.

Anne Sander, eurodéputée du groupe PPE, qui avait reçu en janvier le patron d’Orange au Parlement européen en présence de plusieurs eurodéputés français, expliquait pour répondre à nos questions que « le Parlement européen avait bien voté la suppression des frais d’itinérance pour la fin 2015. Cependant, plusieurs membres du Conseil se sont opposés à cette suppression. C’est une source de revenus pour les opérateurs, qui ont compris que cela ne pouvait plus durer. Ceux-ci ont fini par intégrer cette suppression dans leur schéma de développement. La présidence lettone a proposé un accord autour d’une baisse progressive pour atteindre des frais nuls dans 3 ans. Une baisse étalée, c’est le consensus qui a été trouvé », confiait-elle lors d’une conférence organisée à l’Association parlementaire européenne à Strasbourg.

Pour l’eurodéputé belge Marc Tarabella (S&D), cette décision est incompréhensible. Avec des « gouvernements qui sont plus à l’écoute des opérateurs » que des citoyens, la réalisation du grand marché numérique européen n’est pas prête d’aboutir. Les opérateurs européens sont prêts à faire face à la suppression des frais de roaming et les consommateurs la demandent depuis bien longtemps. Pourquoi les faire attendre ? En choisissant de repousser la suppression du roaming, la Commission et les Etats membres sont en train de déconstruire l’accord trouvé par le Parlement européen dans l’intérêt des citoyens européens. Une décision qui creuse l’écart entre les institutions européennes et les citoyens du vieux continent.

Notes

[1d’après les rapports trimestriels de l’ORECE, Organe des régulateurs européens des communications électroniques.

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