Fiscalité européenne : éternels atermoiements ?

, par Eva Kandoul, Le Courrier d’Europe

Fiscalité européenne : éternels atermoiements ?
Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne (source : Commission européenne)

La présidence allemande du Conseil de l’UE s’est achevée le 1er janvier 2021 pour laisser place à la relève portugaise. Le constat concernant le dossier fiscalité reste sans appel : les multinationales ont encore eu raison de l’Union Européenne.

« La lutte contre la fiscalité agressive est un marathon, ce n’est pas un sprint, et ce marathon se fait sur un parcours très accidenté » avait déclaré Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission européenne (surnommée la « Tax Lady » par Donald Trump) au lendemain de la décision de la Cour de Justice Européenne de juillet 2020 estimant que Apple n’a pas à rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux.

La Commission avait condamné le géant américain en 2016 pour avoir obtenu une « aide d’État » illégale en bénéficiant d’un traitement fiscal favorable grâce à un accord passé avec les autorités irlandaises, échappant ainsi à la quasi-totalité des impôts dus par la multinationale.

L’Irlande fait partie des pays de l’UE aux taux d’imposition sur les sociétés les plus bas : à peine 12,5%. Le but ? Attirer les multinationales qui mettent à profit la libre circulation des capitaux pour tirer parti des asymétries des systèmes fiscaux des différents pays afin de réduire l’impôt à payer. L’optimisation fiscale, c’est l’art des multinationales.

Imposition ? Optimisation !

Le Luxembourg avait fait scandale en 2014 lorsque les « Lux Leaks » avaient été dévoilées, révélant l’existence d’accords fiscaux secrets entre le Grand-Duché et 340 multinationales, parmi lesquelles : Apple, Amazon et Ikea. Son taux d’imposition des sociétés est également en dessous de la moyenne européenne (18%), mais peu importe puisque les rescrits fiscaux ou « Tax rulings » sont possibles.

Ces accords fiscaux entre les Etats et les entreprises permettent de minimiser ses impôts en réduisant sa part de revenus imposables, en les répartissant entre différentes filiales dans différents pays ou en les envoyant dans des paradis fiscaux en dehors du continent. Selon un rapport des Verts européens publié en février 2016, les multinationales au Luxembourg sont en réalité taxées à 2,2%. Une stratégie efficace et légale pour réaliser des milliards d’euros d’économies tout en le gardant secret qui explique la popularité du Luxembourg chez les géants américains.

Autre technique moins commune mais qui exploite la course à l’attractivité fiscale à laquelle se livrent les Etats membres : la double non-imposition. Installer son siège social au Luxembourg et créer une succursale fantôme aux Etats-Unis, a évité de payer un milliard d’euros d’impôts à McDonald’s entre 2002 et 2013. Une convention fiscale entre les Etats-Unis et le Luxembourg autorisait la firme à domicilier au Luxembourg ses revenus acquis dans d’autres pays de l’UE. Un traitement fiscal avantageux jugé légal et conforme à la législation fiscale en vigueur dans l’UE.

Finalement, selon « Le Monde », « la création d’une holding ou d’une filiale au Luxembourg avec très peu d’activités et de salariés » permet à des multinationales d’économiser des milliards d’euros, « privant les Etats où ces profits sont effectivement réalisés des impôts qui leur sont dus ».

Europe fragmentée, Europe entravée

Dans la course à l’attractivité fiscale, un arbitre pour fixer les règles : la Commission Européenne. Mais ces règles sont légères : pas de seuil d’imposition minimal, ni de taxe européenne sur les transactions financières qui empêcheraient les multinationales d’avoir recours à de l’optimisation fiscale. Ces initiatives, proposées par la Commission Européenne, ont toutes été bloquées par les Etats membres au Conseil de l’UE. En effet, en matière de fiscalité, pas de législation sans l’unanimité. Or l’harmonisation fiscale européenne ne fait pas l’unanimité, justement. Le sujet divise. Certains Etats membres tiennent fort à leur pouvoir d’imposition, qui relève de la compétence nationale.

En 2019, 12 Etats membres (Suède, Slovénie, Malte, Luxembourg, Lettonie, Irlande, Hongrie, Estonie, Tchéquie, Chypre, Croatie et Autriche) avaient bloqué une proposition de directive visant à améliorer la transparence fiscale des entreprises multinationales afin d’éviter qu’elles transfèrent leurs profits dans des pays où le taux de fiscalité est le plus faible.

New year, new UE

Si la pandémie a relégué la fiscalité des entreprises au second plan pendant la présidence allemande, la présidence portugaise pourrait être une opportunité de mener à terme des travaux déjà engagés.

Le projet d’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés (ACCIS), l’un des chantiers commencés en 2011, est prioritaire pour la Commission de Von der Leyen. Il s’attaque à l’évasion fiscale en profondeur grâce à un système européen unique déterminant le revenu imposable d’une société au sein de l’UE. Une seule déclaration fiscale pour l’ensemble des activités d’une société au sein du marché unique européen dans le but de parvenir à une fiscalité plus juste et efficace.

La présidence portugaise pourrait donner une impulsion aux travaux législatifs en matière de fiscalité et mener à terme des initiatives déjà engagées en organisant des réunions de travail et en encourageant les compromis sur la question de l’espace fiscal européen.

Brexit, un nouvel eldorado fiscal au Royaume-Uni ?

Après le départ officiel du Royaume-Uni, retrouvant sa souveraineté fiscale, hors du navire européen, les inquiétudes des Européens sur la perspective d’avoir un paradis fiscal à leur porte étaient palpables. Ils peuvent être rassurés, la construction d’un « Singapour-sur-Tamise » prévue par Boris Johnson pour accroître la compétitivité des entreprises britanniques en abaissant les taxes, n’aura pas lieu. L’accord de divorce scellé à la veille de Noël, prévoit le respect d’une concurrence équitable entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.

La présidence tournante portugaise du Conseil de l’UE sera la première à se charger de la sortie définitive du Royaume-Uni du marché intérieur. Elle aura un rôle à jouer dans l’adoption et la mise en œuvre de l’accord, afin que Londres ne devienne pas synonyme de dumping fiscal.

En 1980, la Commission Européenne avait annoncé qu’une volonté d’harmonisation des impôts sur les sociétés était vouée à l’échec. 41 ans plus tard, dans un contexte de concurrence fiscale entre pays de l’UE où une fiscalité moindre permet d’attirer les investissements, tant que les décisions du Conseil ne seront pas prises à la majorité, les écarts de fiscalité en Europe persisteront, engendrant de l’injustice fiscale et sociale.

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