Football féminin : l’Union européenne va-t-elle prendre son envol ?

Troisième partie : La professionnalisation comme enjeu capital

, par Jérôme Flury

Football féminin : l'Union européenne va-t-elle prendre son envol ?
Les Lyonnaises, six fois championnes d’Europe, évoluent dans un championnat non professionnel. Image : UEFA / Steffen Prößdorf

Face aux incertitudes liées aux conséquences de la pandémie de coronavirus, qui a fait beaucoup de mal au football féminin, la professionnalisation de la discipline pourrait être la seule option possible pour la sauver, mais aussi une occasion unique de la faire définitivement avancer en Europe.

Un énorme coup d’arrêt. La pandémie de coronavirus pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le football féminin européen : la plupart des championnats nationaux se sont arrêtés au début de l’année 2020. Et peu ont repris. La D1 française n’est pas allée à son terme, comme le championnat masculin. Mais les clubs féminins anglais, italiens et espagnols également ont été stoppés, alors que dans ces trois pays, les équipes masculines ont rapidement retrouvé le chemin de l’entraînement et des stades. Comme l’écrit Sofoot sans détours, “aujourd’hui, une partie du foot féminin est bien en danger, et l’inévitable récession risque d’accentuer les dommages”. Parmi les grands championnats, seule l’Allemagne a fait le choix de relancer sa compétition féminine cette saison.

L’Angleterre, l’Italie et l’Espagne résolument engagés

En Europe occidentale, les stratégies actuelles sont diverses. D’un côté, l’Angleterre affiche une politique ambitieuse depuis plusieurs années et la concurrence s’accroît entre des équipes très compétitives. Les clubs prennent au sérieux les compétitions féminines et des sections sont instaurées, comme pour Manchester United, qui vient de boucler sa première saison en première division.

En Espagne aussi, les choses accélèrent. Alors que les deux principaux clubs, Barcelone et l’Atletico Madrid, deviennent de plus en plus redoutés sur la scène continentale, les autres équipes se renforcent également. Le Real Madrid va prendre part au championnat à partir de la rentrée 2020 et la fédération a récemment annoncé que les première et deuxième divisions allaient obtenir le statut professionnel, ce qui assure plus de garanties, notamment financières, aux joueuses.

Juste à côté, le voisin portugais dont le championnat national est classée au 23e rang au sein de l’UEFA, derrière la Roumanie, le Danemark ou la Suède, va profondément modifier son organisation. La première division – ou Liga BPI – va passer de 12 à 20 clubs pour l’édition 2020-2021, qui seront divisés en deux conférences, Nord et Sud.

En revanche, la France et ses statuts mal définis pour les équipes n’est pas encore montée dans ce train en marche. “Je pense qu’il y a, quelque part, une sorte de frein culturel, estime Fabien Safanjon de l’UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels). Il faut qu’on avance, qu’on apprenne à comprendre que le foot est aussi pratiqué par les filles.” De son côté, l’attaquante norvégienne de l’Olympique Lyonnais, Ada Hegerberg, avait refusé de porter le maillot de sa sélection qui, jugeait-elle, ne s’impliquait pas assez dans le foot féminin, a pris position dans le journal L’Equipe. “Je suis toutes ces évolutions et je trouve ça très bien. L’Espagne a annoncé la création d’une ligue professionnelle. J’ai toujours un oeil critique, on va voir avec le temps. C’est déjà un très bon signal. Il faut avoir des Championnats pro. La France doit avoir tout cela aussi et ne pas louper le développement. Il ne faut pas que la France dorme”.

Des équilibres fragiles et un modèle à trouver

Les équipes masculines de Ligue 1 en France se mettent de plus en plus à développer des sections féminines. En témoignent les exemples de Rennes qui souhaite mettre sur pied une école de foot féminin, ou du RC Lens qui lance sa section cette saison. Le président du club, Joseph Oughourlian, n’a d’ailleurs pas hésité à souligner ce choix. "Dans le monde dans lequel on vit, on ne peut pas ne pas avoir de section féminine.” Pour autant, comme l’a montré la pandémie, les sections féminines restent trop souvent une “variable d’ajustement”. À Nancy, le président Jacques Rousselot a d’abord annoncé stopper tout investissement avant de saluer un “coup de pousse des collectivités locales” et d’annoncer quelques recrues. Et si le club lorrain est encore en deuxième division nationale, plus on descend dans les échelons du football français, plus les difficultées auxquelles sont exposés les “petits clubs” éclatent au grand jour.

L’exemple français est aussi celui d’autres championnats européens, alors qu’au Danemark ou en République Tchèque, seules 8 équipes participent à la première division, 9 aux Pays-Bas, 10 en Autriche. Pour Ouest France, Carole Gomez, chercheuse en géopolitique du sport à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) s’est interrogée sur les suites à apporter afin de renforcer les championnats : “la question du modèle économique se pose, avec deux possibilités : soit l’invention d’un modèle hybride, soit la reprise du modèle masculin, alors qu’on sait parfaitement qu’il est imparfait et qu’on est un peu dans une impasse”.

Derrière ces enjeux de professionnalisation, d’autres questions comme celles de l’accompagnement des jeunes joueuses ou de la formation des arbitres femmes se posent. Sur ce dernier point, la Française Stéphanie Frappart est une véritable pionnière. Reconnue pour ses qualités au sifflet, elle est devenue la première femme à arbitrer un match de première division masculine française au printemps 2019… avant de diriger avec brio la finale de la Supercoupe d’Europe le 14 août 2019 entre Chelsea et Liverpool. Mais la femme de 35 ans, élue meilleure arbitre du monde, ne doit pas rester un arbre cachant la forêt. La récente décision de la Fédération de mettre en place un plan de professionnalisation de l’arbitrage est une nouvelle rassurante.

Le football féminin, qui se développe depuis des années, semble être à un tournant en Europe. Les historiques Norvège, Danemark, Suède, Allemagne ou France dans une moindre mesure sont aujourd’hui rattrapés par des championnats comme ceux de l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne ou encore les Pays-Bas, dont les clubs recrutent beaucoup en cet été 2020. L’Union européenne peut devenir le véritable coeur du football féminin mais l’étape clé, celle de la professionnalisation, sera certainement la plus difficile à franchir. Il est en tout cas urgent de relancer la machine avec ambition après le passage destructeur de la pandémie. L’Union Européenne de Football Association (UEFA) a en tout cas promis de s’engager pour assurer le développement des joueuses les plus jeunes et une nouvelle formule du championnat d’Europe des moins de 19 ans se déroulera en 2021-2022 en République Tchèque. Aux fédérations nationales de passer définitivement à la vitesse supérieure.

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