L’EFA : un énième forum européen ?
Il y a un mois sonnait le clap de fin du European Forum Alpbach (EFA). Très peu connu en France, le Forum se réunissait pour la 72ème édition dans le Tyrol autrichien afin de faire se rencontrer autour des enjeux européens, les sphères politiques, journalistiques, scientifiques, artistiques et estudiantines. Entre le 17 août et le 2 septembre, 5.340 participants et 102 nationalités ont pu discuter digitalisation ou diplomatie européenne avec en toile de fond la thématique du « New Enlightenment ». Chaque été, l’EFA - association privée à but non lucratif fondée en 1945 - offre plus de 500 bourses à des jeunes du monde entier sensibles aux enjeux européens, souhaitant participer à cet ensemble de conférences et d’ateliers pour rencontrer les influenceurs européens. Le web-journal Politico – partenaire du Forum expliquait : “Le Forum d’Alpbach est une version décontractée du Forum Economique Mondial dans laquelle intégration et passion font oublier l’absence de glamour et de têtes d’affiche Il compense le glamour et le pouvoir par l’inclusion et la passion” (traduction de l’auteur).
La large place donnée à la jeunesse europhile grâce au système de bourses est la véritable originalité du Forum. L’atmosphère créée est ainsi le fruit d’un savant mélange d’ambiance Erasmus, de manigances politiciennes, de bouillonnement intellectuel, de réseautage bienveillant. Outre la présence vivifiante d’une audience jeune et enthousiaste, le Forum d’Alpbach est l’occasion de décloisonner les débats en faisant par exemple dialoguer les problématiques purement scientifiques avec les appréciations d’artistes également conviés. Tous sont invités à penser le projet européen, son avenir, ses défis.
Les conférences sont l’occasion d’entendre Jean-Claude Junker comme Yanis Varoufakis, d’écouter ministres, commissaires, entrepreneurs venus des quatre coins de l’Europe. Des rencontres plus informelles sont également proposées comme le petit-déjeuner avec les correspondants bruxellois ou des petits ateliers où chacun est libre de s’exprimer.
A quoi bon cet entre-soi ?
En permettant un nombre incalculable de rencontres dans un contexte multiculturel des plus inspirants, la participation au Forum d’Alpbach fut une vraie chance. Bien, et maintenant on fait quoi ?
« Super idées les gars, super débats, à l’année prochaine ! »
C’est en tout cas ce que l’on retiendra du discours de clôture, exercice classique d’autocongratulation ponctuant la plupart des congrès ou symposiums. Sans doute sommes-nous nombreux –parmi les lecteurs de Taurillon- à participer à ce genre de réunions sur les questions européennes, organisées tantôt par un média, une maison de l’Europe, les Jeunes-Européens, etc. Nous apprécions ces occasions de débattre, d’entendre de nouvelles idées, de rencontrer des personnes influentes. Nous aimons ce confortable environnement pro-européen. Nous affectionnons cette compagnie rassurante soutenant le projet européen. Mais ces forums favorisent-ils in fine la construction européenne ? Ne nourriraient-ils pas la critique europhobe ?
Elitistes ? Nous ?
Le Forum Européen d’Alpbach est un bon exemple de ces conférences ouvertes à tous (en l’occurrence grâce à un généreux système de bourses) mais réunissant finalement des profils fort similaires. Des barrières sociologiques évidentes empêchent une réelle représentation de toutes les « catégories de population ». Il est souvent nécessaire d’avoir préalablement tissé quelques réseaux afin « d’être dans la boucle » : mis au courant des opportunités de rencontres. En outre, l’intérêt pour les questions européennes n’advient pas ex-nihilo, la capacité d’écoute et de prise de parole non plus. Tout ceci renforce l’impression d’un « club fermé », pointé du doigt par les pourfendeurs de l’Europe. Et il ne s’agit plus ici de constater un disfonctionnement des Institutions de l’Union Européenne mais bien une reproduction de cet entre-soi à notre niveau, au niveau du citoyen.
Opaques ? Nous ?
Malgré des efforts certains de communication, les colloques et conférences partagent trop souvent, avec les Institutions, la critique du « manque de transparence ». Pour reprendre l’exemple de l’EFA, la faible renommée - y compris dans les milieux bruxellois – de cette initiative pourtant septuagénaire, donne l’impression d’une nébuleuse floue profitant de la discrétion d’un petit village tyrolien pour diagnostiquer les problèmes du reste du monde. Les sites officiels peuvent être bien renseignés et illustrés mais manquent de relais, de diffuseurs populaires, qui pourraient leur permettre d’être visités par le plus grand nombre.
Inactifs ? Nous ?
La dernière critique faite à ces colloques et conférences est sans doute la plus répandue. C’est celle du : « beaucoup de discours, peu d’action ». Ils sont trop nombreux ces penseurs, orateurs, qui échouent à traduire en actes les bons mots de leur discours. Une remarque qui concerne également les auditeurs qui ressortent souvent galvanisés par ces échanges, imaginent un temps mille actions à entreprendre mais retournent finalement bien vite à la douce apathie du quotidien, se heurtant à la complexité de l’action citoyenne et au manque de temps. On comprend donc qu’il ne s’agit pas simplement de blâmer les Institutions de l’Union Européenne pour leur manque d’action ou les chefs d’Etat pour leurs sommets sans résultats. Ces conférences auxquelles nous participons, ces clubs d’europhiles auxquels nous appartenons souffrent eux aussi bien souvent des travers que l’on attribue trop facilement « à ceux d’en haut ».
Sans tomber dans l’auto-flagellation (sans doute trop à la mode ces derniers temps), il s’agit d’imaginer ce qui peut à notre niveau, améliorer l’image de l’Union Européenne en parant aux critiques les plus prégnantes sur son fonctionnement. Nous pouvons commencer par montrer l’exemple dans l’organisation des rencontres locales sur les thèmes européens. Lutter contre les accusations d’entre-soi, d’opacité et de manque d’action passe par exemple par la recherche d’une communication élargie faisant usage de divers réseaux de diffusion et relais d’opinion (presse grand public, journaux locaux, universités, etc). Privilégier la tenue de colloques dans des lieux ouverts et accessibles au plus grand nombre viendrait contrer les accusations de « cercle fermé ». De même, l’impression d’élitisme s’atténue dès lors que l’on démystifie l’événement en évitant les appellations ronflantes de type « symposium » ou « workshop ». Il serait intéressant enfin, de systématiser la diffusion de ce qui est ressorti des débats et d’orienter ces derniers vers des thèmes pouvant donner lieu à une action concrète, tangible et réaliste.
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