Futur de l’Union Européenne : May et Trump rebattent les cartes

, par Eric Drevon-Mollard

Futur de l'Union Européenne : May et Trump rebattent les cartes
L’alliance d’une Amérique isolationniste et d’une Grande-Bretagne tournant le dos à l’Europe bouleversent la géopolitique mondiale. // George Becker. Pexels

Le lundi 16 janvier, Donald Trump donnait une interview à deux journalistes, un anglais et un allemand. Interrogé sur les deux pays, le président des États-Unis assure que le Brexit «  va être une chose géniale  », et qu’un traité commercial avantageux pour les deux parties sera rapidement proposé au Royaume-Uni. Donald Trump critique durement la politique d’accueil des réfugiés syriens d’Angela Merkel, la domination germanique supposée sur l’Union européenne, et l’invasion des voitures allemandes aux États-Unis, à laquelle il promet de répondre par des droits de douane de 35%.

Le 17 janvier, Theresa May, prudente jusque-là, tenait un discours agressif sur les conditions du Brexit  : elle veut à la fois limiter l’immigration en provenance de l’UE, et conserver l’accès le plus large possible au marché unique, ce qui est prohibé par les traités européens. Si les autres pays de l’Union refusent, elle menace de baisser lourdement l’impôt sur les sociétés de la Grande-Bretagne.

C’est parce qu’elle a l’assurance de l’appui américain pour les négociations que la Première Ministre britannique hausse ainsi le ton. Les britanniques ne sont pourtant pas avantagés sur tous les plans  : ils sont protégés par l’OTAN et sont hostiles à la Russie de Vladimir Poutine. Mais Theresa May, plus protectionniste et interventionniste que ses prédécesseurs, peut compter sur le soutien de Trump non seulement dans les négociations sur la sortie de son pays de l’Union européenne, mais aussi dans le virage idéologique qu’elle veut faire prendre à la Grande-Bretagne. Elle rêve que son pays redevienne la grande puissance qu’elle a été au XIXème siècle, c’est pourquoi elle tente de négocier des accords commerciaux bilatéraux avec ses anciennes colonies, notamment l’Inde. Elle est fraîchement accueillie, l’Union Indienne donnant la priorité à l’Union Européenne et ses 500 millions d’habitants. Ajoutons qu’il est totalement illusoire pour le Royaume-Uni de mettre fin à court terme aux liens et à la dépendance de son économie à celle de l’Europe  : 55% de ses échanges commerciaux s’effectuent avec elle, et sa balance commerciale est déjà lourdement déficitaire, en particulier concernant les marchandises.

L’Union Européenne doit s’affirmer

Nous ne devons donc pas céder sur la libre circulation des européens en Grande-Bretagne en échange de l’accès au Marché Unique. L’imbrication de l’économie de ce pays avec l’Union européenne est telle que dans le cas contraire elle s’effondrerait rapidement. En revanche, l’Europe doit répondre au désir des britanniques de voir diminuer l’arrivée massive de polonais chez eux  : 831 000 se sont installés au Royaume-Uni, soit plus que le nombre d’habitants de Cracovie [1] . S’ils refusent la richesse que cette main d’œuvre travailleuse et bien formée leur apporte, pourvoyant ainsi les emplois ingrats et mal payés que refusent les britanniques, profitons-en, attirons-les en Allemagne, en France, au Benelux, par des campagnes de communication bien ciblées, et en mettant à contribution nos agences pour l’emploi. Appliquons les règles européennes, mais faisons preuve d’une certaine souplesse en mettant nos concessions sur la table. Si nous cherchons à nous imposer trop durement, Theresa May pourrait préférer l’aide de Trump pour limiter les dégâts subis par l’économie britannique, et préférer une longue récession plutôt que de céder aux exigences de l’Europe. Dans ce cas de figure, le problème pour l’Europe ne serait pas uniquement économique  : elle perdrait de son influence en terme de valeurs, auprès de la sixième puissance économique mondiale, qui a contribué à construire l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui.

Les deux derniers votes anglo-saxons ont ainsi totalement rebattu les cartes de la géopolitique mondiale. La mondialisation est remise en cause ainsi que le jeu des alliances entre les pays occidentaux. A ce titre les États-Unis ne semblent plus décidés à protéger militairement l’Union européenne  : en effet, Donald Trump a qualifié l’OTAN comme étant «  obsolète  », et a reproché aux pays membres «  de [ne pas payer] ce qu’ils devraient ». Le reproche de Trump concernant la contribution de l’Europe à l’OTAN sont hélas justifiés  : en dehors de la France et de la Grèce, les autres pays de l’Union ne consacrent pas les 2% du PIB à la défense, prévus par le traité, et qui sont d’ailleurs le strict minimum  : viser les 3% serait plus judicieux dans le contexte actuel.

Le nouveau président américain ne veut plus que son pays joue le rôle de promoteur des valeurs occidentales de liberté et de démocratie. Il donne la priorité aux intérêts économiques, sans s’encombrer des moindres considérations morales. Ce n’est pas que les États-Unis négligeaient jusque-là les avantages qu’ils pouvaient tirer de leurs alliances et de leurs guerres, mais ils prenaient au moins la peine de les habiller sous un vernis de défense de la démocratie. Et ils défendaient leurs alliés historiques face à l’impérialisme russe ou chinois.

Pour une Union européenne qui assume sa puissance

Trump envisage donc de détruire l’ordre géopolitique mondial, et aussi de s’attaquer au libre-échange, qui a tant profité à l’économie mondiale. La mondialisation a pourtant permis l’émergence d’une classe moyenne de centaines de millions de personnes en Chine et en Inde. L’Europe en a aussi profité  : les entreprises allemandes et leurs sous-traitants des pays de l’Est exportent leurs produits dans le monde entier.

Pourtant l’Europe est potentiellement très forte  : son économie et ses 500 millions d’habitants pèsent presque autant que les États-Unis (22% du PIB mondial contre 24% pour ces derniers). Elle n’est faible que de ses divisons.

Unie, et dotée d’une armée, de services de renseignements et d’un arsenal législatif performants, elle pourrait parler d’égal à égal avec son voisin d’outre-Atlantique. Des armées européennes puissantes, et surtout unies, sont un atout essentiel dans le domaine géopolitique, nous donnant du poids lorsqu’il faut régler des conflits régionaux, permettant ainsi d’obtenir des contrats de reconstruction pour nos entreprises, et des marchés pour notre complexe-militaro-industriel, qui reste à construire.

Les différentes affaires d’espionnage américain, en France comme en Allemagne, montrent que l’Union européenne présente des faiblesses dans le domaine  : incapable de détecter les écoutes des chefs d’Etat et des entreprises sensibles, mais aussi de surveiller les États-Unis ou la Chine pour nous prémunir de coups bas lors de négociations.

L’industrie militaire européenne, dont la France est bien placée pour être le noyau dur autour duquel la développer (notamment grâce aux compétences de Dassault Aviation), est aussi un prodigieux vecteur d’innovation, concernant les technologies spatiales, les nouveaux matériaux ou l’intelligence artificielle.

Faire de l’Union Européenne le nouveau pilier de la mondialisation

L’Union européenne saura-t-elle défendre ses intérêts et ses principes  ? Donald Trump, connaissant ses divisions, les a mises en exergue lors de son interview du 16 janvier  : l’Europe serait un instrument aux mains de l’Allemagne, qui dominerait les autres pays et s’en servirait pour exporter plus facilement chez eux. C’est pourquoi il pronostique que le Brexit ne sera que le début du processus de dislocation de l’Union. Angela Merkel lui a répondu en appelant à l’unité des européens.

L’unité de l’Union européenne est un préalable pour sortir par le haut du double défi du Brexit et de l’isolationnisme américain. Si nous y joignons une politique cohérente et efficace, il est possible de tirer un bénéfice politique et économique de la nouvelle donne aux Etats-Unis.

La fin de l’ALENA en particulier nous donne une grande opportunité  : pourquoi ne pas prendre la place des Etats-Unis et élargir le CETA au Mexique  ? Ce pays a une population nettement plus importante, et donc potentiellement un plus grand poids économique une fois qu’il aura rattrapé son retard de développement.

Une autre opportunité se présente  : le président chinois Xi Jinping nous tend la main  : au forum de Davos, il a livré un brillant plaidoyer pour le libre-échange. L’Europe doit s’inscrire dans cette logique, elle sera d’ailleurs en position de force pour négocier avec la Chine une plus grande réciprocité dans les échanges commerciaux et financiers. Le flambeau de l’ancienne politique américaine des cercles concentriques [2] doit être repris par l’Union européenne. C’est pourquoi les négociations avec le Royaume-Uni doivent être dures, mais ne doivent pas éjecter ce pays de la sphère d’influence européenne.

Développons les armées européennes, et les industries qui leur sont liées, dans chaque pays de l’Union. Elles seront une base pour nous réindustrialiser, nous permettront de pallier au bouclier américain, et de peser dans le rapport de force face à la Russie et aux islamistes. Associées à une diplomatie commune portée par un véritable ministre des affaires étrangères européen, elle nous permettra de défendre à travers le monde nos valeurs de démocratie et de droits de l’homme, tout en défendant nos intérêts lorsqu’ils sont menacés.

L’Union Européenne, dotée d’armées puissantes, et d’un renseignement efficace au service d’une diplomatie active, pourra ainsi porter le flambeau du libre-échange, de la liberté de circuler et de commercer. Les États-Unis s’isolent, nous avons l’opportunité de prendre leur place  : négocions avec le Mexique et le Canada pour prendre leur place dans l’ALENA, associons-nous à la Chine dans sa proposition d’un traité de libre-échange avec le reste de l’Asie et l’Australie, tout en défendant nos intérêts, et en prenant soin d’exiger la réciprocité nécessaire à un monde libre et ouvert.

Notes

[2Les cercles concentriques théorisent une carte allant des pays les plus alliés aux plus hostiles et définis en fonction d’une proximité idéologique (plus ou moins proches du libéralisme)

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