Giscard, destin européen

, par Jérôme Flury, Théo Boucart

Giscard, destin européen
Valéry Giscard d’Estaing en février 2015, par Claude Truong-Ngoc

L’ancien Président de la République française, décédé hier à l’âge de 94 ans, a marqué de son empreinte la construction européenne, que ce soit par des réformes institutionnelles majeures, son tandem avec le Chancelier allemand Helmut Schmidt, ou bien avec le traité constitutionnel européen.

Il avait une “foi raisonnée en l’Europe”. Valéry Giscard d’Estaing, ancien Président de la République, député européen, et président du Mouvement européen international, est mort mercredi 2 décembre, des suites de la COVID-19, selon un communiqué envoyé à l’Agence France Presse (AFP). Âgé de 94 ans, l’ancien homme d’État avait vu sa santé se dégrader ces derniers mois.

Malgré la volonté de la famille d’inhumer Valéry Giscard d’Estaing dans le strict cadre privé, une pluie d’hommages politiques et officiels est déjà adressée à la mémoire du 3ème Président de la Vème République, un homme aux ambitions à la fois nationales et européennes.

Pro-européen dès le début de sa carrière politique

Valéry Giscard d’Estaing est né en 1926 à Coblence, dans la République de Weimar partiellement occupée par l’armée française. Son père, Edmond, était alors directeur des finances du Haut-Commissariat de France en Rhénanie. Plus tard, l’expérience de la guerre et de la résistance ont commencé à forger son idéal de paix et de coopération entre les pays européens. À moins qu’il ait tenu cet engagement de son père, membre dès 1946 de la Ligue européenne de coopération économique (LECE).

Cette affinité pour la construction d’une Europe unie, il l’a exprimée dès les prémisses de sa carrière politique, dédiant son premier grand discours de député à la défense des Traités de Rome en 1957, comme le rapporte CNEWS. Douze ans plus tard, il a fait intégrer le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe (fondé en 1955 par Jean Monnet) dans son nouveau parti politique, la “Fédération nationale des républicains indépendants”. C’est à ce moment-là, toujours selon CNEWS, qu’il aurait rencontré Helmut Schmidt, futur Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, et avec qui la coopération sera promise à une belle postérité.

Lutter contre l’Eurosclérose

Giscard d’Estaing était alors un homme politique jeune et plein d’ambition, désireux de faire bouger “l’establishment” politique marqué par le Gaullisme. Il a été nommé en 1962 ministre des Finances et des Affaires économiques du premier ministre George Pompidou, sous la présidence de Charles de Gaulle. Il est nommé une seconde fois ministre de l’Économie et des Finances en 1969, sous la Présidence de Pompidou, cette fois-ci avec Jacques Chaban-Delmas en tant que premier ministre. Giscard d’Estaing a d’ailleurs battu ce dernier en 1974 au premier tour de l’élection présidentielle, avant de s’imposer au deuxième tour face à François Mitterrand, devenant ainsi le plus jeune Président de la République depuis Louis-Napoléon Bonaparte en 1848.

Si son mandat national a été marqué par un certain nombre de réformes progressistes (légalisation de l’IVG, majorité abaissée à 18 ans), son engagement pour la poursuite de la construction européenne a été tout autant perceptible, d’autant plus qu’à son élection a succédé celle, une dizaine de jours plus tard, d’Helmut Schmidt à la tête du gouvernement ouest-allemand.

Les deux hommes ont eu une relation personnelle très amicale, ce qui n’a pas été le cas des précédents tandems franco-allemands De Gaulle-Erhard, De Gaulle-Kiesinger, ou encore Pompidou-Brandt. C’est d’ailleurs à ce moment qu’a été forgée l’expression “couple franco-allemand”, une association de termes aussi symbolique qu’éloignée de la réalité politique et historique de la réconciliation franco-allemande.

En pleine période “d’eurosclérose”, le tandem Giscard d’Estaing-Schmidt a été à l’origine de deux innovations majeures qui a permis de relancer quelque peu l’intégration européenne dans les années 1970 : la création du Conseil européen en 1974 (longtemps une institution sans rôle officiel, puisque son inscription dans les traités européens s’est faite seulement en 2009), et la mise en place du système monétaire européen (SME) en 1979, sur les ruines du serpent monétaire européen, lui-même créé des suites de l’effondrement du système monétaire international de Bretton Woods. C’est aussi sous le mandat présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing qu’une réforme majeure pour la démocratie européenne a abouti : l’élection des députés européens au suffrage universel direct. L’ancienne ministre du gouvernement Giscard-Chirac, Simone Veil, en a été la première présidente.

La présidence giscardienne a également tenté de s’imposer sur la scène internationale et des puissances industrielles de l’époque. En 1975, une première réunion des six premières économies capitalistes (États-Unis, France, RFA, Royaume-Uni, Italie et Japon) s’est tenue à Rambouillet, préfigurant les rencontres du G7 et du G20 actuelles.

Après la Présidence, un engagement intact

Ce bilan européen positif n’a pas empêché Giscard d’Estaing d’être battu en 1981 par François Mitterrand et le membre de l’Union pour la démocratie française (UDF) a quitté l’Elysée après un seul mandat. Malgré cet échec, son engagement pour l’Europe est resté intact. En 1989, il est devenu député européen, là aussi pour un unique mandat, mais durant la période charnière de la chute du bloc communiste et de la ratification du traité de Maastricht. La même année, et le demeurant jusqu’en 1997, il est élu président du Mouvement européen international, fondé lors du Congrès de la Haye en 1948 et rassemblant 80 associations, dont 39 sections nationales du Mouvement européen.

Son grand retour sur la scène européenne s’est pourtant fait au début des années 2000, lors du Conseil européen de Laeken, en décembre 2001. A cette occasion, il a été choisi pour présider la Convention sur l’avenir de l’Europe, une institution provisoire chargée d’élaborer le traité constitutionnel européen. Malgré d’intenses travaux jusqu’à la signature du Traité de Rome en 2004, les électeurs français et néerlandais ont rejeté le traité constitutionnel par référendum en mai et juin 2005. Le traité de Lisbonne n’a repris que partiellement les innovations politiques de ce traité.

L’annonce de son décès a suscité de nombreuses réactions dans les sphères politiques européennes. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lui a rendu hommage sur Twitter. Les Députés européens, toute tendance politique confondue, n’ont pas été en reste, à l’instar d’Anne Sander (PPE) ou Yannick Jadot (Verts-ALE), saluant “un homme au service de l’Europe”. Plusieurs médias comme Le Point ou L’Express ont insisté sur l’engagement européen de l’ancien président français.

Goût d’inachevé

Pourtant, il existe bel et bien des bémols au bilan européen de Valéry Giscard d’Estaing. La création du Conseil européen en 1974 a été une réponse à une situation de ralentissement du processus d’intégration européen, mais constitue aujourd’hui un réel obstacle à la poursuite d’une fédéralisation de l’Union européenne. La réunion des Chefs d’État et de gouvernement de juillet dernier en a été une nouvelle fois le triste exemple. Le système monétaire européen a fait preuve de sa grande stabilité dans les années 1980, mais a beaucoup souffert aux crises spéculatives du début des années 1990. Une partie des défauts de la zone euro trouve aussi son origine dans le SME, notamment en termes de parité entre les anciennes monnaies nationales et la nouvelle monnaie unique.

L’abandon du traité constitutionnel européen en 2005 a constitué toutefois son plus grand échec sur la scène continentale. “Son nom est aussi attaché à l’échec du Traité constitutionnel européen”, estime ainsi le journaliste politique Pierre Haski, même s’il “est injuste de réduire VGE au seul traité de 2005, car l’Europe est le fil rouge de toute son action”.

En tant que média pro-européen et fédéraliste, nous souhaitons saluer la mémoire de ce grand leader européen convaincu. Puissent ses convictions guider l’action de l’Union européenne en ces temps troublés, entre la gestion de multiples crises et l’organisation très lente de la convention sur l’avenir de l’Europe.

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