La France aurait préféré une durée de trois ans. L’Allemagne, sur ordre de son ministre de l’agriculture CSU, Christian Schmidt, qui aurait désobéi à Angela Merkel, a voté pour la prolongation de l’autorisation. [2] Au-delà du passage en force à tous les niveaux, qui fait fi du vote du Parlement européen en faveur d’une sortie progressive du glyphosate, de l’opinion publique européenne, et du CIRC (le Centre de recherche sur le cancer des Nations Unies) [3], il importe de comprendre pourquoi les agriculteurs défendent becs et ongles des intrants qui les empoisonnent, et comment il est possible de sortir de ce mode de production sans les mettre en difficultés ni ruiner les consommateurs.
La Politique Agricole Commune n’est plus adaptée aux enjeux actuels de l’agriculture
Le problème vient essentiellement de la Politique Agricole Commune (PAC), prévue par le traité de Rome en 1957 et entrée en vigueur à partir de 1962. Elle n’a pas été conçue pour mettre en place une agriculture durable, qui existait à l’époque, mais pour augmenter les rendements et assurer l’autonomie alimentaire européenne, qui inquiétait à la suite de deux guerres mondiales. Son coût est important, il représentait 43% du budget de l’Union européenne en 2008 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_agricole_commune), soit 55,5 milliards d’euros. Il est cependant prévu de réduire petit à petit ce budget, jusqu’à parvenir au tiers du total de l’UE en 2020 [4] Au-delà de son coût, il est aussi question de son efficacité, et qu’est-ce qu’on considère comme étant une politique efficace : si le but est d’inciter les agriculteurs à produire le plus possible, alors celui-ci est en passe d’être atteint. En les rémunérant en fonction de la taille de leur exploitation, la PAC favorise clairement les plus gros, qui touchent pour certains des millions d’euros, et défavorise les plus petits, touchant une misère, et se retrouvant de ce fait acculés à la faillite.
Certes, depuis la dernière réforme de 2013, les Etats se sont vus accorder une plus grande latitude dans la répartition des fonds de la PAC, et un « paiement redistributif » a été introduit, permettant d’augmenter les aides aux premiers hectares cultivés. L’objectif était de réduire l’écart du montant des aides entre les petites et les grandes exploitations. Cependant, les Etats ne peuvent pas utiliser plus de 30% du montant total des aides pour favoriser les petits agriculteurs. En France, elle a de plus été figée par le ministre de l’agriculture Stéphane Travers à 10% du total, sous la pression des grands céréaliers. [5] Dès lors, toute tentative de réglementer un tant soit peu les pratiques agricoles dans un sens favorable à l’environnement heurte de plein fouet une majorité d’agriculteurs lourdement endettés et qui peinent à dégager un revenu minimum vital. En conséquence, depuis des décennies, la plupart des réformes visant à protéger l’environnement ont été sabordées par des blocages de routes et des déversements de lisier devant les préfectures. Les députés de circonscriptions agricoles sont également sous pression pour rester laxistes en la matière, sous la menace de représailles électorales (même si les agriculteurs représentent 2% de la population active, ils sont de bons relais d’opinion, et son concentrés à certains endroits).
Mieux rémunérer les agriculteurs en diminuant l’ardoise de la PAC : l’équation gagnante
Il existe pourtant une toute autre voie pour assurer à la fois des pratiques agricoles à la pointe de la technologie tout en respectant l’environnement, un revenu décent aux agriculteurs, et des prix avantageux pour le consommateur. Pour cela, il est important de prendre le vrai problème à la racine : les bas revenus des agriculteurs, qui en mènent un grand nombre à la faillite, conduisant à une réduction constante du nombre des petites exploitations. Certains en viennent même au suicide. Cette pression les incite enfin à se mobiliser pour empêcher toute politique environnementale, la moindre réduction des rendements étant catastrophique pour eux.
Du point de vue de la compétitivité internationale, l’Union Européenne n’a même pas une agriculture performante malgré un marché intérieur surprotégé : notre déficit alimentaire atteint 25 milliards d’euros en 2016. https://www.generationlibre.eu/publications/une-alternative-a-la-pac/ La conséquence, outre le creusement de la balance commerciale, est celle de toute politique protectionniste : nous payons nos produits agricoles beaucoup plus chers. Nous sommes d’ailleurs surpris lorsque nous sommes amenés à acheter de la nourriture en voyage à l’extérieur de l’Union. Le surcoût pour le consommateur de nos barrières douanières est estimé par l’OCDE à 25% du prix des denrées alimentaires. [6]
Au vu des très importants montants engagés par l’Union, plus de 50 milliards d’euros, et du faible nombre restant d’agriculteurs en Europe, la solution ne serait-elle pas tout simplement de leur verser un revenu de base, indépendant de l’étendue de leurs terres ? C’est ce que propose Claude Fourquet, ancien ambassadeur de France, pour le think thank Génération Libre (ibid .). Il suffirait de verser pour chaque agriculteur, quelle que soit la taille de son exploitation et le type de production qu’il réalise, deux salaires minimum nets (parce qu’ils travaillent souvent en couple). Pour les 250 000 agriculteurs français, le coût serait de seulement 6,7 milliards d’euros, soit à peine 60% des montants actuels distribués aux agriculteurs en France. Notons qu’ils sont beaucoup moins nombreux et/ou que le salaire minimum est beaucoup moins élevé dans d’autres pays de l’UE, ce qui permettrait de faire baisser de manière importante le montant des fonds alloués à la PAC, qui pourraient être alloués dans des domaines où ils seraient beaucoup plus utiles, comme la R&D et le financement des starts-ups.
Le service qu’ils rendent à la société (entretenir les paysages, débroussailler dans les zones de climat méditerranéen) serait pris en compte, et les gouvernements seraient en position d’imposer le respect de critères environnementaux stricts, voire le passage de l’ensemble de la filière à l’agriculture biologique. Il serait même possible de le faire en simplifiant les contraintes administratives, dont certaines sont des atteintes flagrantes au principe de concurrence sans pour autant assurer des produits de meilleure qualité.
Une concurrence bien encadrée et des frontières ouvertes bénéficient à tous
On pense aux réglementations concernant la fabrication des fromages, qui, sous prétexte d’hygiène, ont clairement été édictées pour favoriser les industriels au détriment de petits producteurs tout aussi compétitifs. Les éleveurs ont l’interdiction de poser leurs fromages sur des supports non prévus à cet effet, c’est-à-dire des surfaces non carrelées et non métalliques. De plus, ils doivent utiliser des ustensiles de cuisine homologués et prévus à cet effet, prohibant notamment l’usage du bois. [7] En conséquence, dans les années 2000, tous les petits producteurs qui faisaient quelques fromages à côté de leur activité principale pour arrondir leurs fins de mois ont dû renoncer, n’ayant pas les moyens de mettre leur matériel aux normes, faisant disparaître une concurrence bienvenue dans le secteur, et une diversité gustative intéressante. De plus, certains fromages moulés dans le bois ont vu leur recette dénaturée, alors que certaines dataient du Moyen-Age.
Le protectionnisme agricole est un autre facteur de réduction de la concurrence, vis-à-vis du reste du monde cette fois-ci. Il serait facile d’y mettre fin, d’autant qu’il ferme beaucoup de marchés émergents à notre industrie et à nos services, et renchérit de manière importante le prix des denrées alimentaires. Les européens les plus pauvres, dont la part de l’alimentaire dans le budget est importante, seraient particulièrement avantagés. Une objection pourra être soulevée : sans une forte pression à la rentabilité, les agriculteurs vont produire moins, ce qui mettra fin à notre indépendance alimentaire. Outre le fait que l’Union importe déjà pour 25 milliards d’euros de nourriture, la réponse sera la même que pour les critiques du revenu universel en général : l’appât du gain ne sera pas étanché, pour la majorité des travailleurs, seulement parce qu’ils seront assurés d’avoir un revenu. Mais cet argent leur donnera une sécurité qui les rendra plus innovants, et les incitera à prendre des risques, leur permettant ainsi de renverser les vieux monopoles et de mettre fin aux anciennes méthodes de production.
L’avenir de l’agriculture européenne
La permaculture est une piste prometteuse. Elle consiste à faire pousser ensemble des plantes complémentaires, dans un espace très serré, pour reproduire l’équivalent des écosystèmes sauvages. Elle donne des produits conformes aux normes de l’agriculture biologique. La ferme du Bec Hellouin en Normandie arrive à produire en maraîchage sur 1000m² l’équivalent de ce qu’une exploitation classique produit sur 1 hectare ! [(http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/02/27/20002-20170227ARTFIG00015-une-petite-ferme-normande-devient-un-modele-dans-le-monde-entier.php]] En la couplant avec l’utilisation de robots intelligents, il serait donc possible d’avoir à la fois des rendements très élevés, et de préserver l’environnement. Des robots intelligents pourraient aider à réduire la quantité de main d’œuvre qu’elle nécessite, la rendant encore plus rentable. Leur mise au point pourrait être financée avec les ressources financières libérées par la baisse du budget de la PAC dans l’Union européenne.
Les fermes verticales sont une autre solution écologique à développer avec des fonds européens. Elles feraient venir des agriculteurs au cœur des villes, et nous pourrions ensuite exporter nos matériels et nos savoir-faire vers les mégapoles africaines en plein développement. Elles consistent à cultiver hors sol les légumes en leur donnant exactement la quantité d’eau, de nutriments et de lumière nécessaires à leur croissance. La lumière est diffusée par LED et peut être diffusée jour et nuit dans des longueurs d’onde qui optimisent la rapidité de croissance des végétaux, permettant « de 22 à 30 récoltes par an et la diminution de 95% des besoins en eau [et] aucun besoin de pesticides ». [8]
Il est possible de concilier préservation de la nature, indépendance alimentaire, revenus décents pour les agriculteurs, prix bas pour les consommateurs, et protection des paysages, et ce à un coût beaucoup moins élevé que celui de l’actuelle Politique Agricole Commune. Au lieu d’alimenter oligopoles et rentes de situation, il convient d’utiliser intelligemment l’enveloppe destinée au secteur primaire pour soutenir de manière équitable l’ensemble des agriculteurs tout en finançant l’innovation. En parallèle on veillera à libérer les mécanismes de marché en simplifiant les réglementations, mais en assurant un cahier des charges exigeant en matière d’environnement, afin de construire une nouvelle agriculture européenne, à haute valeur ajoutée, qui sera à nouveau capable d’exporter des surplus et des savoir-faire dans le monde entier.
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