« Grexit » : Tellement plus que de l’économie

, par Robin Huguenot-Noël

« Grexit » : Tellement plus que de l'économie
Que signifie le « OXI » grec ? - Jordi Bernabeu Farrús

La BCE devait-elle agir en « prêteur en dernier recours » ? Les marchés seront-ils sensibles aux réformes structurelles de la Grèce ? Faut-il accorder à la Grèce un rééchelonnement de sa dette pour lui permettre de retrouver un chemin durable vers la croissance ? Les dirigeants européens ont majoritairement abordé la question grecque du seul point de vue économique. Et pourtant, ses débats ont mis en exergue que les peuples européens se soucient de bien d’autres thèmes que de celui de l’union monétaire. Si elle souhaite affirmer sa légitimité démocratique, l’Europe devra dépasser son obsession pour le respect de certains principes économiques, et accorder davantage d’attention aux émotions des peuples qui la composent.

Un « non » aussi fier qu’absurde ?

Au lendemain de l’accord signé par le gouvernement de Tsipras avec ses partenaires européens, nombre de commentateurs ont eu recours à une certaine ironie pour annoncer que la nature de cet accord serait plus austère encore que le plan proposé par le FMI quelques jours plus tôt.

Les Grecs seraient-ils donc masochistes ? Inutile, cette grande victoire du « OXI » ? On entend déjà les plus raisonnables affirmer que les Grecs auraient- mieux fait de se conformer, si ce n’est qu’une fois de plus, aux attentes de créditeurs vis-à-vis desquels ils étaient soumis. Ne serait-ce pas, après tout, l’issue la plus pragmatique ?

L’irrationalité apparente du « non » grec m’a rappelé celle d’un autre acteur historique, quand bien même fictionnel, tout droit issu de l’essai de l’imagination de Khazanov dans L’heure du roi (1977). Le récit raconte la vie d’un « Roi d’un petit pays d’Europe du Nord », qui, pour épargner à son peuple les pires atrocités de l’occupation nazi, s’efforce de se soumettre à tous les désirs du Führer – au point de se rendre personnellement chez lui, pour l’aider à se guérir. Mais quand vient le jour où l’on demande au Roi de faire appliquer le port de l’étoile jaune à tous les juifs de son royaume, celui-ci s’engage dans la plus absurde des actions : il revêtit l’étoile jaune et s’en va braver fièrement l’interdit en s’exposant à tous dans les rues publiques de la capitale.

Irresponsable diront les uns, absurde argumenteront les autres. Quelle pouvait donc être l’utilité d’une telle action, lorsque l’on sait qu’elle conduira le Roi à une mort certaine et son peuple à une souffrance qu’il avait souhaité lui éviter ? N’eut-il pas été plus responsable, plus pragmatique, de se soumettre, une dernière fois, à une autorité à laquelle un si petit pays ne pouvait résister ?

Les Grecs ont préféré la reconnaissance de leur combat à la rationalité économique

Or, que nous dit Khazanov dans ce brillant essai digne des plus grands chefs d’œuvre de la résistance phénoménologique au totalitarisme ? Khazanov cherche en réalité à démontrer que l’impuissance ne nous décharge pas de notre responsabilité individuelle. Et que même dans les situations où tous les chemins semblent mener au déluge, et que la finalité de toute action semble être réduite au registre de l’absurde, l’action peut néanmoins être perçue comme valeureuse, en soi, et indépendamment de ses conséquences.

Au-delà de son inefficience économique, il faut donc comprendre le « OXI » grec de la sorte : comme un refus, évidemment, de se voir dicter son avenir par des acteurs extérieurs à son expérience populaire ; mais aussi comme un appel du peuple à ce qu’on écoute enfin ce qu’il est et ce qu’il a à dire – et ce qu’elles qu’en soient les conséquences. Un cri sourd et profond en sorte, visant à trouver la reconnaissance – si ce n’est des autres, au moins de soi-même.

Redonner à l’économie sa finalité humaine et à l’Europe sa légitimité démocratique

Les Etats membres de l’Union européenne, ses institutions (et notamment la Commission et la Cour de Justice), ont accepté de reprendre à leur compte les principes de l’ordolibéralisme, établis en Allemagne dans les années 1930. Or, cette philosophie économique s’oppose fondamentalement à la reconnaissance de l’action passionnelle, de toute action basée sur d’autres principes que ceux fixés par la morale de cette économie.

Car l’ordolibéralisme est fondamentalement moral. Dans cette philosophie, l’entreprise est censée servir la société, tandis qu’il revient à l’Etat de fixer le cadre de la vie économique, et de s’assurer qu’il est bien respecté. C’est au nom de cette philosophie, de cet impératif de principe que les membres de la zone euro ont imposé à la Grèce une rigueur économique censée les débarrasser de cet « aléa moral », justement.

Les peuples d’Europe disposent de différentes conceptions du rôle à accorder à l’Etat dans l’économie – toutes aussi légitimes les unes que les autres. Néanmoins, dans cette négociation, les institutions européennes (il faut entendre le Conseil et la Commission en premier lieu) elles-mêmes ont souscrit à une approche morale de l’économie partagée au départ par une poignée de pays européens, se rendant ainsi complices des conséquences de sa mise en application.

L’Union s’est ainsi retrouvée otage des fondations à l’origine de sa propre construction. Le cadre offert par le libéralisme économique nous a permis de construire la paix hier. Il est temps aujourd’hui, pour l’Europe, de faire face aux aspirations politiques de ses peuples, afin de la préserver.

Un article à retrouver sur www.in-varietate.eu.

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