Haut-Karabagh : une « élection présidentielle » en trompe-l’œil

, par Paul Parent

Haut-Karabagh : une « élection présidentielle » en trompe-l'œil
La cathédrale de Ghazanchetsots, dans le Nagorno Karabakh. Image : Vladimer Shioshvili/Flickr

Entité sécessionniste de l’Azerbaïdjan, la république autoproclamée de l’Artsakh – autre nom du Haut-Karabagh – s’est choisi un président lors du 2e tour de « l’élection présidentielle », tenu le 5 avril dernier. La communauté internationale, elle, ne reconnaît pas la légitimité du scrutin dans ce territoire azerbaïdjanais sous occupation arménienne. Explications.

Le territoire du Haut-Karabagh n’en a décidément pas fini de donner des sueurs froides aux diplomates et aux historiens. Ses 4388 km² de massif montagneux sont disputés par deux pays du Caucase, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Depuis la trêve armée entre les deux pays rivaux en mai 1994, le processus diplomatique a connu quelques timides avancées, mais les rancœurs entre Erevan et Bakou sont profondes, comme en témoignent les commémorations annuelles du massacre de Khojaly (1992), perpétré par les forces arméniennes contre des civils azéris fuyant les combats vers l’Azerbaïdjan. Alors que cette enclave revendique son indépendance depuis 1991, son statut et son avenir dépendront de résolutions internationales et du travail du Groupe de Minsk  réunissant la France, les Etats-Unis et la Russie. Dans ce contexte « l’élection présidentielle » du 5 avril dernier, reconnue par la seule Arménie, n’a aucune valeur juridique sur la scène internationale.  

Une élection « illégitime et illégale »

Le 5 avril dernier, 72,7% des 105251 électeurs se sont rendus aux urnes pour élire au second tour leur nouveau président, l’homme d’affaires et ancien Premier ministre Arayik Haruntunyan, vainqueur face au ministre des Affaires étrangères Masis Mayilyan (88% contre 12%). Sans surprise, la nouvelle a été abondamment relayée dans les médias arméniens . Mais Erevan est isolée sur la scène internationale concernant la reconnaissance de la légitimité du scrutin. Même la Russie voisine, souvent prompte à jouer sur plusieurs tableaux dans la région, a officiellement déclaré ne pas reconnaître les résultats de cette élection. Selon Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Moscou : « La Russie ne reconnaît pas le Haut-Karabagh comme un État indépendant. Son statut doit être réglé par des pourparlers politiques comme celui présidé par le Groupe du Minsk de l’OSCE. »

L’Arménie soutient en effet la « vie démocratique » de cette enclave faisant officiellement partie du territoire de l’Azerbaïdjan. Dans la discorde entre les deux pays, la question du peuplement est centrale : aujourd’hui, 99% de la population de l’enclave est d’origine arménienne contre une proportion de 76% auparavant pour 21% d’azéris, soit plus de 40.000 personnes déplacées qui n’ont pu participer à ce simulacre d’élections. Additionnées aux déplacés azéris des districts voisins également occupés par l’Arménie, ce sont plus de 700 000 personnes qui vivent depuis plus de deux décennies dans le reste de l’Azerbaïdjan, en attendant de pouvoir rentrer chez elles. L’Azerbaïdjan considère en conséquence que le retour de ces populations au Haut-Karabagh, et dans les autres districts adjacents, est un préalable incontournable à tout processus d’élection, comme à toute solution négociée sur le statut définitif du territoire.

Directement concernés par la stabilité de la région, les pays du Caucase ont donc eux aussi dénoncé comme invalides les deux tours de la présidentielle, des 31 mars et du 5 avril dernier. À Tbilissi, le ministère des Affaires étrangères géorgien a déclaré ne pas reconnaître la « soi-disant » élection présidentielle : « Le ministère des affaires étrangères de Géorgie réaffirme son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan et ne reconnaît pas les prétendues élections présidentielles et législatives du 31 mars 2020 dans le Haut-Karabakh. » La diplomatie turque, quant à elle, n’a pas caché son agacement face à l’entêtement de la diplomatie arménienne à jouer la carte du Haut-Karabagh dans la région : « Cette démarche est une violation flagrante du droit international, y compris des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et des principes de l’OSCE. La tenue de présumées élections dans un territoire occupé est une démarche sabotant les efforts en vue d’une solution pacifique et permanente. La Turquie ne reconnaît pas ces élections illégales qui représentent une nouvelle violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. » Ailleurs en Europe et dans le monde, même son de cloche.

La communauté internationale solidaire de l’Azerbaïdjan

L’Union européenne, le Mouvement des non-alignés, l’OSCE, mais également des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Suisse, le Canada, l’Australie, le Pakistan, l’Ukraine, la Finlande ou encore la Norvège et les pays Baltes se sont tous exprimés sur la même tonalité : respect du droit international, respect du processus politique en cours. 

L’OTAN, par la voix de James Appathurai, représentant spécial du secrétaire général pour le Caucase et l’Asie centrale, a apporté son soutien plein et entier à la troïka du Groupe de Minsk : « L’Otan ne reconnaît pas les résultats des élections générales (…) et soutient le Groupe de Minsk de l’OSCE. » La diplomatie britannique lui a emboîté le pas : « Le Royaume-Uni réitère son soutien au Groupe de Minsk, et souligne la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, au nom des principes universels et du droit international. Nous encourageons l’Azerbaïdjan et l’Arménie à accélérer leurs efforts afin d’aboutir à une résolution pacifique de ce conflit. » Mais jusqu’à présent, la diplomatie arménienne n’a pas donné suite aux résolutions 822, 853, 874 et 884, prises en 1993 par le Conseil de sécurité des Nations unies, lui intimant de retirer ses troupes du Haut-Karabagh.  

Déplacés et réfugiés : un sujet de société en Azerbaïdjan

En janvier dernier, durant la campagne électorale des législatives anticipées en Azerbaïdjan, la question des réfugiés et des déplacés azéris du Haut-Karabagh est revenue dans le débat politique. Équipe au pouvoir comme opposition se sont prononcés pour une résolution diplomatique à cet épineux dossier. Le 9 février dernier, le Parlement azéri a donc été renouvelé lors d’élections supervisées par des institutions internationales et des représentants de pays européens comme Joël Guerriau, vice-président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat français. Si certaines irrégularités ont été rapportées, M. Guerriau a reconnu que l’essentiel avait été mis en place pour garantir la validité du scrutin, avec par exemple des systèmes technologiques empêchant toute falsification : « Je pense que c’est une innovation. J’ai observé les élections en Azerbaïdjan dans vingt bureaux de vote. Le processus de dépouillement s’est généralement déroulé dans un environnement positif. » Dans le cadre de ces élections, l’exécutif azerbaïdjanais a consenti un effort important pour permettre aux citoyens déplacés, originaires du Haut-Karabagh, d’élire des représentants. Ainsi, près de 10% des 5573 lieux de vote ont été consacrés à cette partie de la population. Il semble même que cette dynamique cherche à transcender les clivages ethniques. Ainsi, élu député de Khankendi lors de ce scrutin, le représentant de la communauté azérie du Haut-Karabagh Tural Ganjaliyev a tendu la main à la communauté arménienne, assurant de sa volonté de la représenter également au sein du Parlement et devant le président Ilham Aliyev : « Les élections dans le Haut-Karabagh sont illégales, et les Arméniens de cette région doivent savoir qu’ils ont déjà un représentant élu légalement, en ma personne. Tous les problèmes de notre communauté seront discutés au Parlement mais aussi devant les institutions internationales. » Au cœur des « problèmes », la situation des populations déplacées.

En 2009, le CERA (Comité d’Etat de la République d’Azerbaïdjan) avait recensé 603 251 déplacés, vivant principalement dans la région de la capitale Bakou et dans celle de Soumgaït. Si jusqu’en 2001 ces populations réfugiées vivaient dans des conditions insalubres, sous des tentes ou dans des dortoirs désaffectés, le gouvernement central s’est depuis efforcé de construire des logements en dur, et de stabiliser socialement ces déplacés grâce à des aides financières, un accès prioritaire à l’emploi et une meilleure prise en charge médicale. Mais cette présence pose aussi quelques problèmes avec les populations locales, le retour des réfugiés s’impose donc dans l’agenda de l’Azerbaïdjan avec le Groupe de Minsk. Affaire à suivre.

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