Hongrie : Démocratie en péril au cœur de l’Europe ?

Un témoignage dans le cadre de la campagne « Democracy Under Pressure » de la JEF Europe

, par Antoine Chabal, Auteur anonyme, Théo Boucart

Hongrie : Démocratie en péril au cœur de l'Europe ?
Viktor Orban alors que son parti, le Fidesz, faisait encore parti du PPE au Parlement européen. Photo : Parti Populaire Européen

Dans le cadre de la campagne “Democracy Under Pressure”, organisée depuis 15 ans par les Young European Federalists, Le Taurillon publie un premier témoignage anonyme sur la situation de la démocratie en Hongrie, un pays au coeur de l’Europe gouverné depuis une décennie par le très controversé Fidesz de Viktor Orban, parti récemment du Parti Populaire Européen (PPE). L’auteur de ce témoignage, qui a souhaité conserver l’anonymat, a répondu aux questions de Théo Boucart.

Le Taurillon : Une étude menée en 2020 par l’ONG américaine « Freedom House » a montré que la Hongrie n’était « plus une démocratie » ? Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? En quoi l’équilibre des pouvoirs actuels influence-t-il la politique en Hongrie ?

D’un point de vue purement théorique, on ne peut nier le fait que le gouvernement hongrois actuel a été élu démocratiquement et qu’il est tout à fait légitime qu’il soit au pouvoir. En ce sens, je ne suis pas d’accord avec cette affirmation car la démocratie fonctionne par le biais du système électoral. Toutefois, en creusant un peu plus, il est clair que les actions du gouvernement sont plutôt discutables du point de vue de l’État de droit. La liberté d’expression, d’association, l’indépendance du système judiciaire, le pluralisme des médias et la concurrence sur le marché sont généralement considérés comme des caractéristiques essentielles d’un État démocratique. Concernant cet aspect, je suis d’accord avec l’affirmation car certains de ces éléments sont extrêmement limités et d’autres sont totalement absents.

Le rapport de force actuel a influencé l’économie, les médias, le système judiciaire et la vie de tous les habitants en général. En ce qui concerne l’économie, le gouvernement essaye de racheter de grandes entreprises privées à un prix ridiculement bas afin de s’assurer un monopole. Si le chef de cette entreprise n’accepte pas de la vendre, l’État pourrait avoir recours aux autorités administratives pour imposer des contrôles qui conduiraient inévitablement à la fermeture forcée de l’entreprise.

En outre, afin d’influencer la population, ou du moins la partie vulnérable et crédule de celle-ci, des gens proches du Fidesz acquièrent des parts dans différents médias (radio, télévision, presse). Cela a eu des effets limitatifs considérables sur la liberté d’expression et le pluralisme médiatique. En outre, la liberté d’association a été limitée par la mise en place de conditions si strictes et rigides qu’elles rendent l’exercice effectif du droit de grève, par exemple, pratiquement impossible.

Le gouvernement actuel ayant été élu à la majorité des deux tiers, il peut réviser la Constitution et procéder à des changements fondamentaux. Malheureusement, ce droit n’a pas été utilisé pour créer une société plus inclusive et plus démocratique, mais pour définir la notion de « famille » de manière autoritaire. La législation par laquelle ce changement a été effectué signifie que ni les couples de même sexe ni les personnes seules ne pourront adopter à l’avenir. Très récemment, le 27 février 2021, il a été décrété que les couples de même sexe ne pourront pas adopter du tout, tandis que les célibataires devront obtenir une autorisation ministérielle pour pouvoir le faire. Cela aura évidemment des conséquences à plus grande échelle pour les foyers d’enfants, en bloquant plus d’enfants que jamais dans le système. Ce seul exemple suffit à montrer, à mon avis, l’étendue de ce que peut faire le rapport de force actuel.

En ce qui concerne le système judiciaire, son indépendance a été constamment mise à mal depuis 2010 par la centralisation de l’administration des tribunaux, la mise à la retraite forcée des juges, la fin du mandat du président de la Cour suprême avant son terme. Enfin, un autre coup dur a été porté à son indépendance : la nomination d’un ancien juge de la Cour constitutionnelle comme nouveau président de la Cour suprême en octobre 2020, malgré l’opposition de plusieurs juges. Il va sans dire que cette personne est proche du gouvernement et qu’en tant que juge constitutionnel, il a rendu des jugements qui ont permis un exercice autoritaire du pouvoir de la part du gouvernement.

LT : La Hongrie est régulièrement pointée du doigt pour son mauvais bilan en matière de liberté de la presse. Quel est la situation actuelle des médias, notamment au regard du licenciement de l’ancien rédacteur en chef d’Index.hu et la création de « Telex.hu » ?

La situation de la presse n’a pas vraiment changé depuis la politisation de la principale presse en ligne hongroise, Index.hu, au cours de l’été 2020. Szabolcs Dull, l’ancien rédacteur en chef d’Index, a co-fondé Telex.hu, le nouveau journal en ligne indépendant, avec Veronika Munk, l’ancienne vice-rédactrice en chef d’Index. Ils sont tous deux actuellement rédacteurs en chef de Telex.hu. La majorité des journalistes travaillant pour Index sont allés à Telex.hu et continuent à y exercer leur activité. Heureusement, il existe encore un certain nombre de journaux beaucoup moins lus qui n’appartiennent pas au gouvernement.

Néanmoins, il ne reste que quelques chaînes de télévision nationales qui n’ont pas été reprises par le gouvernement sous une forme ou une autre.

Cependant, en ce qui concerne les stations de radio, une autre attaque a été commise contre la liberté d’expression et la liberté des médias. Le Conseil des médias hongrois (équivalent du CSA en France), composé uniquement de délégués du FIDESZ, a refusé d’étendre l’autorisation d’utilisation des fréquences de Klubrádió, estimant que la radio avait violé certaines dispositions législatives. La radio a intenté une action en justice devant le tribunal régional de Budapest-Capital pour contester ce refus. Le tribunal a rejeté leur demande. Cette radio n’a jamais été très populaire car elle n’était pas disponible dans plusieurs régions du pays. Cependant, grâce à certains de leurs programmes, elle était rapidement devenue l’un des médias symboles de l’opposition. La majorité des hommes politiques de l’opposition accordaient souvent des interviews exclusives ou des premières interviews à cette radio, ce qui a permis à l’opposition de la reconnaître. Cela pourrait expliquer pourquoi le gouvernement, par l’intermédiaire du Conseil des médias, était si désireux de les faire taire.

LT : Quel devrait être le rôle de l’UE dans la protection de la démocratie hongroise ?

Le respect de l’État de droit est une condition que tout État qui souhaite adhérer à l’Union européenne doit remplir. Celui-ci englobe le respect de la démocratie. Cependant, au fil des ans, le respect de ces conditions n’a jamais été jamais révisé. Je pense qu’il serait bénéfique de mettre en place un système dans lequel la Commission examinerait le respect de ces conditions par les États tous les deux ou trois ans. Une autre solution serait de mettre en place un système de rapports dans lequel chaque État devrait remettre un rapport indiquant comment et dans quelle mesure il a respecté les conditions d’adhésion à l’UE et, en cas de manquement, des mesures répressives pourraient suivre.

En outre, le processus de l’article 7, bien qu’il semble bon sur le papier, n’est pas du tout efficace dans la pratique en raison de l’unanimité nécessaire pour suspendre le vote d’un État au Conseil européen. À l’heure actuelle, l’UE ne dispose pas d’une méthode efficace pouvant être utile pour protéger la démocratie dans les États membres où elle pourrait faire défaut. Le principal problème est que l’UE ne peut agir que tant qu’elle y est autorisée par les traités fondateurs de l’UE, qui sont le fruit de l’accord de tous les États membres. Bien qu’elle soit effectivement un organe supranational, elle ne peut pas vraiment s’immiscer dans les questions systémiques internes.

Si je pense que l’UE devrait accorder plus d’importance à la protection de la démocratie dans des États comme la Hongrie et la Pologne, ses moyens pour y parvenir sont assez réduits. Par exemple, la procédure qui peut être engagée contre un État membre par la Commission devant la Cour de justice européenne pour manquement aux obligations n’est pas exactement l’arme la plus puissante. Malheureusement, je ne peux pas proposer de solution efficace quant à la manière dont l’UE pourrait protéger la démocratie dans un État en particulier. Toutefois, il pourrait s’agir d’imposer des sanctions financières importantes en cas de non-exécution d’une décision de la CJUE dans une procédure en manquement aux obligations qui seraient dues à un manquement démocratique dans le pays. Néanmoins, bien que je sois favorable à un renforcement du rôle protecteur de l’UE dans de tels cas, les sanctions financières auraient un impact majeur sur le niveau de vie des citoyens, ce qui n’est pas un résultat souhaitable.

Témoignage traduit de l’anglais par Antoine Chabal.

L’auteur de ce témoignage est étudiant en droit, notamment au Royaume-Uni et en France. Pour des raisons de perspectives professionnelles dans son pays d’origine, celui-ci a préféré conserver l’anonymat.

Avertissement : ce témoignage reflète les opinions personnelles de son auteur. Il ne saurait refléter les opinions de la rédaction du Taurillon.

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