L’Europe n’a pas toujours été une évidence
Pendant près de cinq siècles, le Portugal a tourné le dos à l’Europe pour se concentrer sur son vaste empire colonial en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Au début du XXème siècle, l’empire colonial portugais n’était composé plus que de ses territoires en Afrique (Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, Sao Tomé-et-Principe) et en Asie (Goa, Macao, Timor Oriental). A la suite du coup d’Etat de 1926 et de la ratification de la Constitution de 1933, le régime autoritaire de l’Estado Novo (1933-1974) est mis en place – dont le dirigeant le plus emblématique sera António de Oliveira Salazar (1933-1968). Celui-ci mise sur une propagande nationaliste, qui associe l’expansion maritime et l’empire colonial au sentiment d’appartenance à la nation. Par conséquent, la priorité du gouvernement est la sauvegarde de ses colonies pour permettre la continuité historique du Portugal. C’est pourquoi la guerre coloniale portugaise (1961-1974) n’a cessé qu’avec la fin du régime autoritaire en 1974.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Communauté internationale commence à faire pression sur le régime de Salazar pour lancer son processus de décolonisation. Malgré le refus catégorique du gouvernement portugais et contrairement aux idées reçues, le Portugal n’était pas complètement isolé sur la scène internationale. En effet, le pays ibérique est un membre fondateur de l’Organisation européenne de coopération économique (1948), de l’Alliance Atlantique (OTAN) (1949) et de l’Association européenne pour le libre-échange (AELE) en 1960. Alors que le gouvernement portugais se montre très méfiant vis-à-vis du multilatéralisme, cette participation dans les organisations régionales et internationales est motivée par le contexte de la Guerre Froide ainsi que les difficultés économiques qui sont renforcées par les guerres coloniales en Afrique. Finalement, le régime autoritaire est renversé le 25 avril 1974. La Révolution des Œillets ouvre une phase de transition démocratique basée sur les trois « D » : démocratisation, décolonisation et développement. La période révolutionnaire en cours se déroule jusqu’à l’organisation des premières élections et l’adoption de la Constitution en 1976. Dans les années suivantes, la consolidation du régime démocratique est associée au rapprochement avec l’Europe. En 1976, le premier gouvernement constitutionnel, dirigé par le socialiste Mário Soares (1976-1978), présente une demande d’adhésion auprès du Conseil de l‘Europe. L’adhésion effective la même année symbolise la reconnaissance internationale du nouveau régime. L’année suivante, le gouvernement portugais formalise sa demande d’adhésion auprès des Communautés européennes, les principales motivations étant la consolidation de la démocratie, la modernisation et le développement économique.
Le Portugal au cœur de l’Union européenne
Les négociations avec la Commission européenne débutent en 1978 mais se prolongent pendant plusieurs années. Au-delà des aspects plus techniques des discussions, organisées en vingt chapitres thématiques recouvrant les compétences communautaires, le Portugal doit faire face à un contexte national marqué par une succession de crises politiques (neuf gouvernements se succèdent entre 1978 et 1985) et de difficultés économiques (deux interventions du Fonds monétaire international en 1977 et 1983). Malgré cela, les Portugais arrivent à faire avancer les différents dossiers, même les plus sensibles comme l’agriculture et la pêche. D’ailleurs, en 1982, la suppression du Conseil de la Révolution via une réforme constitutionnelle consolide davantage le régime démocratique. Toutefois, les Etats-membres souhaitent un élargissement simultané des deux pays ibériques. Le Portugal doit donc attendre la fin des négociations de l’Espagne pour entrer dans les CE.
C’est finalement durant le Conseil européen de Fontainebleau de 1984 que les principaux blocages sont outrepassés. Le traité d’adhésion du Portugal est signé par le Premier ministre Mário Soares à Lisbonne le 12 juin 1985. Toutefois, celui-ci doit démissionner le jour suivant, suite à la fin de l’accord du gouvernement de coalition du « bloco central » (en français, « bloc central ») négocié par le Partido Socialista (PS) avec le parti centriste, Partido Social Democrata (PSD). Le nouveau leader du PSD, Aníbal Cavaco Silva, était défavorable à la coalition avec les Socialistes et décide de rompre l’accord politique, enclenchant ainsi la démission du gouvernement et la convocation d’élections législatives anticipées pour octobre 1985. Le PSD gagne les élections et c’est donc un nouveau gouvernement qui inaugure l’entrée du Portugal dans les Communautés européennes à partir du 1er janvier 1986.
Dès lors que le Portugal devient un Etat-membre des CE, le gouvernement de Cavaco Silva (1985-1995) pointe le développement économique et social du pays comme la grande priorité. Proche de la Première ministre britannique Margaret Thatcher (1979-1990), son gouvernement est aligné sur les positions prudentes, voire sceptiques, des Britanniques en matière d’approfondissement de l’intégration européenne. La participation communautaire n’était perçue que comme un moyen de contribuer au développement et la modernisation du Portugal. Toutefois, et en marge des négociations des conférences intergouvernementales du Traité de Maastricht (1990-1991), on observe une évolution de l’attitude du gouvernement portugais qui soutient à présent les réformes économiques et politiques. Le contexte de fin de la Guerre Froide et l’intérêt de la Communauté européenne qui se tourne à présent vers les pays de l’Europe de l’Est a poussé les Portugais à changer de paradigme. A partir de 1991, la priorité du gouvernement portugais devient celle de rejoindre le « noyau dur » de la Communauté européenne de peur d’être marginalisé et incapable de défendre ses intérêts au sein d’un groupe qui s’agrandira dans les prochaines décennies.
Au fil des décennies, le Portugal a dû faire face à une série de crises qui ont mis à l’épreuve son soutien à l’intégration européenne. La plus importante a été la crise de dette souveraine de la zone Euro. En 2008, des journalistes britanniques et étatsuniens avait qualifié pour la première fois les économies du Sud de l’Europe de « PIGS » - abréviations en anglais de « Portugal, Italy, Greece and Spain » et qui veut dire en français, « cochons » ou « porcs ». Il s’agit d’un acronyme très péjoratif pour critiquer ces économies en raison de leur manque de discipline budgétaire et de leurs dettes publiques très élevées. La politique d’austérité mise en place par le gouvernement centriste du PSD (2011-2015) a contribué à l’essor de l’euroscepticisme dans l’opinion publique nationale étant donné que « Bruxelles » a été accusé de forcer les coupures budgétaires. Lorsque les Socialistes reviennent au pouvoir en 2015 avec une coalition de gauche appelée « Geringonça », ils mettent un terme à cette politique afin de relancer la croissance de l’économie nationale, malgré les critiques de la Commission européenne. L’investissement massif dans le secteur du tourisme, en particulier, a porté ses fruits ce qui a poussé les observateurs à parler d’un supposé « miracle économique portugais ». Depuis, l’image de l’Europe s’est améliorée dans l’opinion publique nationale. En 2023, le Portugal était l’Etat membre avec la plus grande proportion de citoyens (64%) à exprimer une opinion positive de l’Union européenne selon l’Eurobaromètre de la Commission européenne.
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