Pour nos voisins européens et plus généralement pour tout étranger l’indécision des français suscite l’étonnement. Comment ces fichus français peuvent-ils être incapables de choisir ?
Il y a pourtant 11 candidats !
Et parmi les « gros » candidats, le choix semble être encore plus facile. Sur les 5 (enfin, 4,5), il y a une candidate d’extrême-droite, un candidat de droite conservatrice, un candidat « central » sans être pour autant centriste, un candidat socialiste (certes en difficulté) et un candidat de gauche radicale. Deux s’affichent pro-européens mais un seul, Emmanuel Macron, semble être en mesure d’accéder au second tour. Facile donc, serait-on tenté de dire à première vue. Pro-européen, ouvert au monde, le candidat Macron apparait comme un choix logique. Oui, mais non. Parce que nous sommes en France. Parce qu’en réalité, le choix n’est pas si évident.
Petit rappel historique
En Europe, la France est un cas à part. Contrairement à ses voisins européens, la France n’a pas de régime parlementaire. Les élections législatives ne sont pas aussi décisives qu’elles le sont ailleurs. La France n’a pas non plus un régime présidentiel avec une séparation stricte des pouvoirs comme on peut le voir aux États-Unis. Non, la France dispose d’un régime semi-présidentiel avec un exécutif fort (pas tout puissant) et un Parlement aux pouvoirs strictement encadrés, en bref : le « parlementarisme rationalisé ». Cette situation s’explique par l’Histoire du pays. Depuis le 18e siècle, la France a testé tous les régimes politiques existants ou presque ; de la monarchie absolue au régime « populaire » de la Commune en passant par une bonne part des nuances intermédiaires existantes (monarchie parlementaire plus ou moins libérale, République etc.).
Avec l’avènement de la IIIe République dans les années 1870, l’instabilité gouvernementale a progressivement gagné la France. C’est cette raison qui a amené le général de Gaulle à faire rédiger une Constitution par un comité d’experts et non par une Assemblée constituante, pour ôter tout risque que le nouvelle constitution ne porte en elle les germes d’une instabilité future. Et bon an, mal an, la France est donc devenue un modèle de stabilité gouvernementale grâce au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Une Constitution complétée par l’élection au suffrage universel du Président de la République. [1]
Précédemment dans la campagne électorale…
Avec un président sortant tellement impopulaire qu’il a renoncé à se présenter, les primaires ouvertes des deux grands partis que sont le parti socialiste (PS) et les Républicains (LR, ex-UMP) apparaissaient comme LA solution pour trancher les différentes candidatures en l’absence de candidat naturel.
Hélas, tout ne s’est pas passé comme prévu puisque les favoris (Alain Juppé pour la droite, Manuel Valls pour le PS) ont été dans les deux cas largement battus par des concurrents plus tranchés politiquement. Cela s’explique par le fait que l’élection semblait promise au grand parti de droite « Les Républicains » (LR). Le président sortant étant tellement impopulaire, le risque semblait limité que le choix d’un candidat très à droite ait un quelconque impact. Même schéma du côté du parti majoritaire sortant, le PS. L’élection semblant perdue, les sympathisants socialistes ont choisi de renvoyer le Premier ministre sortant, Manuel Valls, à ses chères études et ont opté pour un candidat très à gauche, Benoît Hamon. Celui-ci s’était illustré en s’opposant à la politique du Gouvernement dont pourtant il fut ministre quelque temps auparavant.
Les primaires passées, on se disait que l’on avait épuisé toutes les surprises potentielles de cette élection. La droite et la gauche avaient choisi leur champion, et hormis Emmanuel Macron qui était alors en 3e position, rien ne semblait pouvoir empêcher un deuxième tour probable entre François Fillon et la candidate du Front national, Marine Le Pen.
Mais c’était sans compter sur le Canard Enchainé, célèbre journal satirique pour sa 100e année d’existence ne dérangeait pas à ce qui fait son succès depuis ses débuts : les scandales politiques et financiers. Utilisant la bonne vieille technique du feuilleton, le palmipède a multiplié les révélations sur François Fillon et Marine Le Pen ce qui aboutit à la mise en examen du premier et à une demande d’immunité parlementaire pour la seconde, celle-ci se refusant à se rendre aux convocations de la justice.
Ainsi, depuis janvier 2017, malgré les débats, les émissions politiques qui se multiplient, les électeurs français ont surtout entendu parler d’emplois fictifs, de costumes hors-de-prix ou de la montre de luxe qu’a reçu en cadeau le candidat Fillon ; des assistants parlementaires fictifs du Front national qui n’ont jamais ou presque mis les pieds au Parlement européen que de réelles propositions de fond pour la France.
Et difficile pour les autres candidats d’exister. Enfin, difficile... Il en est un qui semble être passé entre les gouttes et avoir bénéficié de ce climat délétère : Emmanuel Macron.
Jamais élu, démissionnaire du Gouvernement, il a lancé son parti au printemps 2016 sous les sarcasmes des grands partis établis. Sans programme pendant longtemps, ne proposant rien de réellement nouveau, il tente de se tracer son chemin quelque part entre la gauche et la droite sans pour autant que l’on sache réellement où il se situe.
Dans le même temps, à gauche, difficile d’exister. Bien qu’auréolée de sa victoire aux primaires, Benoît Hamon n’est pas parvenu à imposer son rythme. Jean-Luc Mélenchon a lui tenté de se différencier de différentes manières : hologrammes, campagne en péniche, apéritifs citoyens, ces tentatives ont eu plus ou moins de succès. Mais plus que ces « innovations », c’est la gouaille du candidat de gauche radicale qui lui aura permet d’exister. Si, en dépit de différence sur l’Europe et l’international, des tentatives de rapprochement ont eu lieu, il n’en reste pas moins qu’il ne peut en rester qu’un pour le second tour.
Les forces en présence
A quelques jours de l’élection, c’est dans ce contexte, que bon nombre de Français ne parviennent pas à choisir. Selon les dernières enquêtes d’opinion, ces indécis se situent surtout à gauche et au centre. Les électeurs de François Fillon (LR) et Marine Le Pen (FN) étant sûrs de leur vote à 80%2. François Fillon, après une chute spectaculaire due aux affaires, s’est stabilité entre 18% et 20% d’intentions de vote tandis que la candidate d’extrême-droite, qui fait une mauvaise campagne, se tasse chaque jour un peu plus à l’approche du premier tour, son score étant estimé entre 22% et 24%. Toujours à droite, Nicolas Dupont-Aignan, candidat souverainiste récolterait lui autour de 5%. Les autres petits candidats (Poutou, Arthaud, Lassalle, Cheminade, Asselineau) sont estimés à 5% au total.
Il reste donc environ 45% de votes que doivent à se partager entre 3 candidats : Jean-Luc Mélenchon (gauche radicale), Benoît Hamon (PS), Emmanuel Macron (candidat « central »). C’est parmi ces électeurs déçus par le président François Hollande que se concentrent les indécis. Mais il ne faut pas non plus oublier les électeurs de droite, qui dégoûtés par les affaires, ont abandonné le candidat désigné par les primaires de leur parti, François Fillon. Ce dernier, pris dans la tempête, a décidé de se maintenir après avoir été mis en examen alors qu’il s’était engagé en direct à la télévision à se retirer fin janvier si cela était le cas et invoque un complot du pouvoir à son encontre, allant jusqu’à parler de « cabinet noir ».
Si les Français sont si indécis, c’est non seulement à cause des affaires, on l’a vu, mais aussi et surtout parce que, malgré les 11 candidats, il n’y a aucun candidat qui représente ce que l’on pourrait appeler la « gauche centrale », la social-démocratie classique.
Pour cela, il suffit de voir quel espace politique occupent respectivement Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron, libéral assumé, a été encarté au parti socialiste entre 2006 et 2009 mais a failli être candidat UMP (devenu Les Républicains depuis) aux élections municipales en 2007. Piochant tantôt au centre-droit, tantôt au centre-gauche, tantôt ailleurs, son programme ne se distingue pas par son côté révolutionnaire. Candidat du consensus, il ne fait pas de vague et semble en récolter les fruits.
Benoît Hamon, représente, lui, la gauche du parti socialiste. Contestant la politique de sa propre majorité entre 2014 et 2016, il se distingue par une proposition phare : le revenu universel qui est décrié par Emmanuel Macron pour son coût pour les finances publiques et par Jean-Luc Mélenchon comme un « piège à pauvres ».
Jean-Luc Mélenchon, fondateur du parti de Gauche sur le modèle du parti allemand Die Linke, s’est lui lancé très tôt au début de l’année 2016, se payant même le luxe de se passer du soutien officiel du Parti communiste avec qui, il avait alliance en 2012. Son programme très à gauche, l’a dans un premier temps desservi mais ses talents d’orateur ont réussi à le distinguer des autres candidats, jugés trop ternes.
La quadrature du vote
Pour les électeurs modérés, qu’ils soient du centre ou de gauche, aucun candidat n’est réellement satisfaisant. Emmanuel Macron, à l’image de ce qu’il a dit durant les débats, semble être d’accord avec tout le monde. Bien que bénéficiant du soutien de François Bayrou, il n’a jamais eu d’avance décisive. Jugé trop à droite/néo-libéral pour les modérés de gauche, trop à gauche pour certains centristes, voire trop flou pour les autres, il est le candidat central présent au bon endroit au bon moment.
La candidate du Front national étant systématiquement donnée au second tour depuis plusieurs mois par les sondages, les électeurs sont partagés entre le cœur et la raison. Il s’agit de « voter utile » pour éviter que l’extrême-droite n’arrive au pouvoir et que François Fillon, englué dans les affaires d’emplois fictifs ne soit le seul recours face à la candidate d’extrême-droite. D’où des changements rapides et fréquents d’intentions de vote entre Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.
Un jour, un indécis peut se dire que Benoît Hamon qui propose certaines idées novatrices est un bon candidat. Mais voyant que les sondages lui donnent chaque jour un score plus bas, cet indécis peut se dire qu’un vote Mélenchon, qui s’est montré bon débatteur serait un choix plus opportun. Après tout, un Mélenchon avec un score élevé, enverrait au candidat Macron, le signal qu’il ne pourrait disposer d’une majorité à l’Assemblée Nationale qu’en gauchisant sa ligne politique. Mais voyant que François Fillon ne recule plus voire même qu’il remonte légèrement, ce même électeur peut se dire qu’il serait finalement plus raisonnable pour limiter les dégâts de voter Emmanuel Macron. Lui, au moins, est un pro-européen convaincu qui ne sortira pas de la zone euro. Et même s’il parle d’adopter des mesures d’austérité, son programme parait toujours moins douloureux que la purge que promet le candidat Fillon.
Dans le même temps, les électeurs des extrêmes semblent eux-aussi indécis pour une partie d’entre eux. Au-delà de leurs socles électoraux respectifs, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont une approche économique revendiquant une intervention accrue de l’État et dénoncent « l’Europe ». Ouvertement par la candidate d’extrême-droite, un peu moins pour Jean-Luc Mélenchon. Dans leur envie de « renverser » la table, ces électeurs hésitent eux aussi. Constatant qu’un « mur républicain » empêche, dans tous les cas de figure, la candidate d’extrême-droite d’accéder à l’Élysée ; ces électeurs se disent que finalement, Jean-Luc Mélenchon est un choix possible.
Bref, si les Français hésitent autant, c’est parce que le jeu qui s’annonce est à plusieurs bandes. Comme au billard, un choix aura des répercussions par la suite. Et la suite arrive très vite, puisque les élections législatives ont lieu à peine un mois et demi après. Emmanuel Macron s’il revendique de nombreux adhérents pour son parti, n’a pour autant aucune base électorale solide. Son parti vient à peine de fêter son premier anniversaire et l’adhésion y est gratuite ce qui permet les adhésions d’opportunité.
A gauche, le parti socialiste que certains donnent déjà pour mort, n’est pas pour autant complètement fini. Parti majoritaire sortant, il a bénéficié durant 5 ans de la plus grosse part des financements accordés aux partis politiques3. Assis sur un véritable trésor de guerre, il est toujours capable de financer les campagnes de ses candidats. Chose que le parti d’Emmanuel Macron qui ne bénéficie d’aucun financement public ne peut promettre. Emmanuel Macron risque d’ailleurs de faire de nombreux déçus. Cela a d’ailleurs déjà commencé puisque sur les 14 candidats annoncés pour les législatives, plusieurs d’entre eux sont déjà contestés. Les nouveaux venus en politique sont dépités devant le recyclage d’anciens élus tandis que les parlementaires ralliés pour la présidentielle ne sont pas certains de garder leur siège.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, les deux favoris depuis février, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, voient leur avance sur leurs poursuivants fondre comme neige au soleil tandis que leurs poursuivants semblent les rattraper. François Fillon en dépit des affaires garde un solide soutien partisan tandis que Jean-Luc Mélenchon semble bénéficier du « vote utile » des électeurs de Benoît Hamon alors qu’en 2012, cela l’avait desservi. Ainsi avec 4 candidats proches des 20%, bien malin est celui qui peut se hasarder à pronostiquer l’affiche du second tour.
Plus que jamais, l’élection semble ouverte et les Français… indécis.
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