Horizon 2020, un programme de haut niveau pour soutenir l’innovation
Consciente que l’innovation est un vecteur important de compétitivité, notamment par rapport à la Chine et aux Etats-Unis, l’Union européenne a posé il y a vingt ans une ambition : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde. C’est ce qu’elle a appelé la Stratégie de Lisbonne (2000). Il aura fallu attendre quinze ans pour que l’UE se dote d’un instrument d’intervention de poids : « Horizon 2020 ». Déployé depuis 2015, ce programme consacre 80 millions sur cinq ans à soutenir l’innovation. Ce n’est pas énorme aux vues des enjeux. Si l’on en croit les experts, son intervention était plus que nécessaire : « un investissement de 3% du PIB de l’UE dans le domaine de la R&D permettrait de créer 3,7 millions d’emplois, et de générer 795 milliards d’euros d’ici 2025 ». Cette somme est grosso modo ventilée en trois tiers : un pour le soutien à la recherche fondamentale, le second pour le soutien à l’innovation technologique et un dernier à l’attention des consortia qui répondent à de « grands défis sociétaux » tels que le vieillissement ou le changement climatique. Nous saurons d’ici un a deux ans si ce programme a porté ses fruits, mais une question centrale peut d’ores et déjà être posée : l’intervention de l’Europe est-elle à la hauteur de l’enjeu ? La politique d’innovation est-elle encouragée ou contrariée par d’autres politiques sectorielles européennes, comme cela peut arriver (politique agricole et environnementale par exemple) ?
Europe solution ou Europe problème ?
D’après les chercheurs du World Economic Forum, le constat est sévère : « Europe fails to transform leadership in science into leadership in innovation and entrepreneurship ». L’Europe n’est pas seule responsable de ce semi-échec mais elle en porte sa part. On peut citer trois limites posées par l’UE à une innovation porteuse de croissance économique. La première limite concerne la protection des innovations. D’après Benoît Batistelli, président de l’Office européen des brevets, le système actuel de brevet européen, encore suspendu à l’accord des Etats, fait perdre du temps et de l’argent aux porteurs d’innovation. Ces deux obstacles peuvent être fatals dans les secteurs d’innovation très concurrentiels, comme par exemple sur les applications des données spatiales à d’autres champs. Pourtant, « les industries productrices de produits et services innovants, à forte valeur ajoutée, ont une part relative plus importante dans la création de richesses : elles représentent 38 % des créations d’emplois, plus de 40 % du PIB et de 90 % des exportations de l’Union européenne ».
La seconde limite concerne les règles administratives. Ainsi que le soulignait l’an dernier le Groupe de haut niveau sur l’avenir de l’innovation et de la recherche en Europe, « les règles qui encadrent les aides d’Etat en Europe rendent très difficile l’utilisation de fonds publics pour des projets privés, aussi stratégiques soient-ils ». On le constate par exemple sur le sujet du véhicule autonome. Aujourd’hui, les entreprises européennes présentent à ce sujet de si sérieux avantages qu’elles devraient pouvoir être soutenues avec moins de pudeurs légales sur la règle des aides d’Etat. Les Etats-Unis bien qu’étant un pays fédéral, et la Chine l’ont compris.
La troisième limite est un certain effet d’éviction ou de fracture économique et territoriale. Vue la complexité des dossiers « Horizon 2020 », les grands groupes captent seuls ces financements. Quant aux petites et moyennes entreprises (PME), elles bénéficient de voies d’accès spécifiques à ce programme. Résultat : les entreprises de taille intermédiaire sont laissées pour compte et au mieux, s’arriment en partenaire de second rideau à ces projets. Les entreprises des territoires peu organisés en filières, elles aussi, sont laissées pour compte. En France, le programme d’investissements d’avenir (PIA) renforce cet effet d’éviction.
L’innovation, un véritable sujet politique en Europe
Quels enseignements peut-on tirer de ce constat d’ensemble et en particulier des limites pointées ci-dessus ? D’abord, l’observation du champ de l’innovation est bien la preuve que le principe de subsidiarité, qui consiste à accorder à chaque niveau la responsabilité la plus adaptée, est à mieux définir. Les Etats doivent-ils toujours avoir une politique industrielle ? La question est provocatrice mais mérite d’être posée. La confusion règne lorsqu’une compétence est partagée, sans distinction suffisante, entre le niveau régional, national et européen. Inversement, un pays fédéral comme l’Allemagne a pratiquement cessé d’avoir une politique de l’innovation nationale. En concentrant ses moyens à la recherche fondamentale, elle laisse aux Länder le soin de mener une politique de développement et d’innovation.
Surtout, cela questionne la raison d’être de l’Union européenne et les règles d’intervention qui s’ensuivent. Si la raison d’être de l’UE est de lutter contre les fractures territoriales, alors, elle doit veiller à ce que sa politique d’innovation soit accessible à tous les territoires et à toutes les entreprises. C’est ce que préconise le 7e rapport sur la Cohésion dans l’Union. Si en revanche, sa raison d’être est de défendre la compétitivité du vieux continent face à la Chine et autres émergents, elle doit assumer de poursuivre, dans la période 2021-2027, la politique sélective de soutien initiée par le programme Horizon 2020.
Las, la crise migratoire étant le plat de résistance de chaque Conseil européen depuis 2016, qui peut donc être garant, dans le mécanisme de décision de l’Europe, d’une certaine distance vis-à-vis des sujets chauds ? Depuis le Traité de Lisbonne , le Parlement et le Conseil de l’UE ont sur de nombreux sujets, notamment « dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l’espace », un poids équivalent dans le processus de décision de l’UE. Le Parlement dispose également d’un pouvoir de censure du budget européen, qui lui permet en théorie d’obliger le Conseil à tenir compte des priorités de long terme dans le budget. Quant à la Commission, garante de l’intérêt général européen, elle dispose d’un pouvoir d’initiative législative qu’elle exerce volontiers. C’est également elle qui dispose du pouvoir d’exécution, et qui suit, par exemple, l’exécution du programme Horizon 2020. Comment ce système institutionnel s’est-il saisi de la question de l’innovation dans la programmation du futur budget de l’UE ?
Le futur budget de l’UE : la nécessité d’une Europe plus fédérale
La période qui s’ouvre est marquée par une mise sous pression du budget européen du fait du retrait de la contribution du Royaume-Uni et du repli national qui se manifeste dans de nombreux pays, de l’Italie à l’Est. Comment l’UE peut-elle assumer de consacrer plus à l’innovation quand la crise migratoire s’impose à tel point qu’elle devient un poste de dépense incontournable, la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion (FEDER et autres) ne pouvant par ailleurs pas disparaître du jour au lendemain ? Concrètement, comment éviter que le cadre budgétaire pluri-annuel ne fasse totalement disparaître son soutien à l’innovation ? Le système institutionnel actuel, sans doute imparfait, a permis à ce sujet de « sauver les meubles ». Grâce à son pouvoir, la Commission est parvenue à imposer un budget en hausse de 20% pour le programme de soutien à l’innovation, renommé « Horizon Europe », dans le cadre financier pluri-annuel 2021-2027. Des vicissitudes de l’innovation dans la grande bataille pour les priorités financières de l’UE, retenons un enseignement pour plus tard : seule une Europe fédérale est capable de défendre à long terme l’intérêt général des Européens.
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