Interview de Ferran Tarradellas Espuny : Lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe

, par Martin Laprovitera, Maxime Gouiran

 Interview de Ferran Tarradellas Espuny : Lancement de la Conférence sur l'avenir de l'Europe
Ferran Tarradellas Espuny

À l’occasion du lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, nous avons eu l’opportunité de rencontrer M. Ferran Tarradellas Espuny, Directeur de la communication à la Représentation permanente de la Commission à Paris. Pour lui, l’avenir de l’Europe est entre les mains de la jeunesse.

Un routier de la fonction publique européenne

M. Tarradellas, aujourd’hui à la Représentation de la Commission à Paris, a fait sa carrière de fonctionnaire européen en passant par la représentation de la Commission à Barcelone et a travaillé sur de nombreux sujets qui ont fait l’Europe que l’on connaît aujourd’hui.

Il est arrivé à Bruxelles à 26 ans pour commencer son parcours européen dans le domaine de la communication. Pour répondre aux attentes de la communauté hispanophone bruxelloise, il a lancé le magazine “El Sol de Bélgica” (“Le soleil de Belgique”), puis a travaillé en tant que rédacteur en chef de l’agence d’infos Europe Today. Il a commencé à travailler pour la Commission européenne en tant que porte-parole pour la Direction de l’Energie de 2006 à 2010 puis comme porte-parole des Relations internationales, de l’aide humanitaire européenne et de la réponse aux crises. En 2010, il intervient au cœur de la crise humanitaire qui secoue Haïti après le tremblement de terre, par exemple.

Quel futur, quelle Europe ?

La Conférence sur l’avenir de l’Europe a été lancée le 9 mai, date anniversaire de la Déclaration Schuman, acte fondateur de l’UE. Cette Conférence est un cycle de débats et de discussions menés par les citoyennes et citoyens autour de l’avenir que l’on souhaite pour l’Europe. C’est une initiative de la Présidente de la Commission européenne, destinée à rapprocher l’Union européenne des citoyens. Cette forme de démocratie plus directe est une façon pour l’exécutif européen de répondre aux défis actuels des démocraties occidentales. 71 ans après la déclaration Schuman, c’est aussi l’occasion de repenser l’Europe, de donner un nouvel horizon au projet européen.

Mais ce projet ambitieux arrive au milieu d’une crise mondiale majeure qui a une portée économique, sanitaire, sociale et politique. Alors que les défis géopolitiques de l’Europe prennent de l’ampleur, que la Grande Bretagne vient de claquer la porte et que la défiance dans les institutions démocratiques et européennes est au plus haut, M. Tarradellas se montre plutôt confiant sur la réussite de la Conférence.

LT : Qu’est-ce qui peut sortir de ce grand événement démocratique ? Est-ce que l’envergure du projet est suffisante pour véritablement fédérer les citoyens ?

FTE : La Conférence est d’abord un outil d’expression : êtes-vous pour une Europe plus fédérée ou pas ? C’est aussi un pas en avant vers une démocratie plus directe. La Conférence est un exercice inédit, différent de ce qui se fait d’habitude avec les dialogues citoyens. L’exercice est plus ambitieux cette fois, et inaugure un nouvel outil de plateforme participative.

Le fonctionnement est simple. Chacun a la possibilité d’organiser une conférence sur n’importe quel sujet pour n’importe qui, n’importe où. La plateforme permet de mettre en réseau et de comparer les conclusions à travers une fonctionnalité de traduction avancée.

Des panels de citoyens européens, représentatifs de la population de l’Union, débattront sur les différents thèmes et les différentes idées qui ressortiront de la plateforme numérique et des événements décentralisés. A partir de ces éléments ils seront chargés de faire des propositions qui seront soumises au débat lors des assemblées plénières. L’annonce de la composition des panels se fera en juin : ils vont recevoir les idées et en débattre.

Par la suite, des séances plénières réuniront les représentants de la démocratie représentative européenne à savoir le Parlement européen, le Conseil, la Commission, les parlements nationaux et les citoyens. La Conférence est donc un outil innovant pour interconnecter la démocratie directe et indirecte. C’est peut-être aussi un outil réutilisable qui permettrait d’avancer vers une démocratie plus directe en Europe, d’autant plus que les dirigeants des trois institutions européennes se sont engagés à ne pas limiter la portée des débats et à prendre en compte les conclusions de la Conférence.

LT : C’est un outil très innovant et très intéressant, mais est-ce que ce n’est pas un peu tard pour l’UE dans l’Europe post-Brexit ? Est-ce que la confiance dans les institutions européennes n’est pas consumée de façon irréversible ?

FTE : D’abord, l’outil utilise une IA développée par un centre de recherche européen pour faire fonctionner la plateforme. Elle assure ainsi un grand niveau de transparence et d’ouverture.

Les sujets évoqués au sein de la Conférence ne sont pas strictement liés à l’Europe. La Conférence invite surtout les citoyens à s’exprimer sur des enjeux et des défis globaux. Cette approche par les défis permet de toucher les gens qui ne sont pas intéressés par la question européenne. Il ne s’agit pas de demander comment l’Europe devrait être organisée - c’est évidemment une question pour ceux et celles qui s’intéressent au sujets européens. On demande aux citoyens de définir si l’Europe est le bon instrument pour faire face aux grands défis contemporains, aux défis qui nous touchent tous et en particulier votre génération, les jeunes.

La Conférence bénéficie aussi du haut niveau d’ambition des politiques européennes tel qu’illustré par la mise en place de la RGPD ou par l’objectif de devenir le premier continent neutre. Il y a aussi du potentiel et des opportunités du fait de la taille de l’UE. Il faut montrer que l’Union se lance dans un exercice ambitieux en essayant de répondre aux attentes de 400 millions d’Européens : c’est une échelle nouvelle de démocratie à laquelle les Européens ne sont pas habitués.

Et non, il n’est pas trop tard pour l’UE : la participation aux élections européennes est en hausse, la victoire de l’UE face à la vaccination, la capacité à faire face à la crise économique et l’utilisation pour la première fois, dans le pacte vert, d’un outil fiscal comme levier politique sont autant de signaux forts de la bonne santé de l’Union.

LT : Vous vous occupez de la communication de la Commission en France. Est-ce que le défi de cette Conférence n’est pas un défi de communication comme la plupart des défis auxquels l’Europe fait face ? Quelle est votre vision de la communication européenne et des problèmes que l’Europe rencontre ?

FTE : Quand j’étais à Barcelone, j’ai mis en place une conférence qui s’appelait “Communiquer l’Europe : mission impossible”. Parce que communiquer l’Europe, c’est un défi complexe. On doit communiquer une chose lointaine, techniquement très complexe, en 24 langues différentes, auprès d’audiences qui ont des préoccupations diverses, des traditions vieilles de plusieurs centaines voire milliers d’années. L’Union européenne, par nature, doit répondre à des questions sensibles en travaillant sur des consensus ce qui pose un autre problème majeur en termes de communication. Il est aussi très difficile d’identifier la source de l’information parce qu’il y a trois institutions. Le visage de Mme von der Leyen est plus ou moins connu, mais les autres collègues sont choisis par les États membres. Les messages que veut faire passer l’Union européenne sont en concurrence médiatique avec les messages de personnalités politiques naturellement plus proches des citoyens.

La communication dans l’Union européenne est donc très difficile : les acteurs sont difficiles à identifier et les messages sont très complexes, les moyens sont très limités, les audiences restent fragmentés. En communication, ce sont tous les éléments qui rendent un message impossible à faire passer.

Malgré tout, je crois qu’on arrive à faire passer certains messages. Pourquoi ? Parce que les choses dont on parle intéressent le public. Même si le mérite des actions de l’UE est attribué à des acteurs politiques qui ont plus de facilité à communiquer… Les vaccinations par exemple : si c’est un échec, c’est la faute de l’UE. Si c’est un succès, le mérite revient aux gouvernements nationaux.

LT : Pour aller un peu plus loin par rapport à ces questions de légitimité et de lisibilité, pensez-vous que ce projet de Conférence pour l’avenir de l’Europe pourrait améliorer la participation des citoyens aux élections européennes dans le futur ?

FTE : Si la Conférence fonctionne bien, elle pourrait aboutir à un plus grand intérêt des gens pour les institutions européennes. Ils réaliseront peut-être qu’effectivement l’Union européenne peut jouer un rôle important pour résoudre les problèmes de votre génération et les problèmes déjà présents sur la table.

Dans le cas des crises liées au Covid-19, l’aide économique versée grâce au plan de relance de l’Union européenne aux États membres a été d’une importance capitale. Les Etats membres se sont endettés de manière commune pour la première fois de leur histoire sans qu’ils ne touchent à leurs budgets nationaux. Les institutions européennes ont évité que la population ne ressentent le pire de cette crise économique.

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