Les barrières à l’IVG se multiplient
En juin 2023, Malte adopte une loi encadrant le recours à l’IVG, et devient ainsi le dernier des 27 États membres à reconnaître droit à l’IVG sur leur territoire, avec des niveaux de restrictions variables. À Malte par exemple, les femmes ne peuvent avorter que si leur vie est en danger et que le fœtus n’est pas viable. Plus au nord, à 2 700 kilomètres de là, en Pologne, l’interruption de grossesse n’est autorisée qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, à la suite d’un recul législatif datant de janvier 2021 - la Pologne était pourtant l’un des premiers pays à l’avoir libéralisé en 1956. Dans ce pays, plusieurs femmes sont décédées à la suite du refus des médecins de pratiquer un avortement.
Pourtant, même lorsque la législation autorise le recours à l’IVG, diverses raisons peuvent en restreindre l’accès dans les faits, à l’instar de la clause de conscience. Cette clause est prévue dans la législation de 23 des 27 États membres de l’UE et permet aux médecins de refuser la pratique de cet acte médical. Selon un rapport du ministère de la santé italien, 70% des gynécologues italiens font appel à cette clause. Ils sont même 92% à Molise, une région du sud de l’Italie. Du fait d’un manque de médecins acceptant de réaliser des IVG, les délais d’attente pour les femmes sont allongés. Elles sont parfois contraintes de se déplacer dans d’autres régions de leur pays, voire même de se rendre à l’étranger.
Ensuite, des disparités territoriales existent. En Irlande, presque aucun service d’avortement n’a été mis en place dans le nord-ouest et le sud-est du pays depuis la légalisation de l’avortement en janvier 2019. De manière générale, les zones rurales de nombreux pays européens sont dépourvues de centres médicaux qui pratiquent des IVG. En France, le Planning familial estime que 130 centres IVG ont été fermés durant les quinze dernières années. Enfin, en Autriche, au Portugal, ou encore en Croatie, l’IVG n’est pas prise en charge par l’État, ce qui tend à empêcher les femmes dans la précarité de pratiquer un avortement.
D’autre part, depuis septembre 2022, avant de pouvoir avorter en Hongrie, un décret impose aux femmes d’écouter les battements du cœur du fœtus. Cette décision a été contestée par les associations féministes ou de lutte pour les droits humains qui dénoncent un renforcement de l’humiliation envers les femmes concernées, de sorte qu’elles recourent le moins possible à l’IVG.
Quelles réponses de la part de l’Union européenne ?
Un problème se pose : la santé relève de la compétence des États membres. Ainsi, l’Union européenne possède seulement une compétence d’appui dans ce domaine et ne peut légiférer qu’avec le soutien de tous les États membres.
Depuis 2002, le Parlement européen a adopté de nombreuses résolutions pour demander à tous les États membres d’autoriser les femmes à recourir à une IVG sans conditions spécifiques. Cependant, bien qu’elles représentent une position officielle, ces résolutions ne sont pas contraignantes. Afin de contourner l’absence de compétences de l’UE dans le domaine de la santé, des eurodéputés des groupes de centre et de gauche ont demandé une modification de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour y inscrire le droit à l’IVG. Cette demande a été officialisée dans une résolution adoptée par le Parlement européen le jeudi 11 avril 2024.
Malgré la volonté des parlementaires européens de protéger le droit à l’avortement, cette résolution a très peu de chance d’aboutir. En effet, pour réviser la Charte des droits fondamentaux, la procédure requiert un vote à l’unanimité des États membres. Certains États, très hostiles à l’IVG, comme la Pologne ou Malte, n’accepteront certainement pas l’inscription de ce droit dans la Charte dans l’immédiat.
Dépasser les conflits de compétences
La libre circulation des personnes, garantie par l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, permet aux femmes qui vivent dans des pays où la législation sur l’avortement est très stricte de pouvoir se rendre dans un autre pays membre pour avorter. Néanmoins, le coût du voyage et de l’intervention ne permet pas à toutes les femmes d’utiliser cette alternative.
C’est pourquoi, depuis le 10 avril 2024, une initiative citoyenne européenne (ICE) a été lancée par le collectif « My voice, my choice ». Cette coalition d’associations féministes transnationales propose « que l’UE finance l’avortement de quiconque n’y aurait pas accès au sein de l’UE. ». Il préconise de soutenir financièrement les Etats membres dans lesquels des IVG seraient réalisées pour les femmes qui n’y ont pas accès dans un autre pays de l’UE. En décembre 2024, cette ICE a recueilli 1 million de signatures dépassant les seuils requis par la procédure dans 15 pays. Maintenant que toutes les conditions sont remplies, les autorités nationales vont vérifier les signatures, puis la Commission européenne se prononcera dans quelques mois, après avoir rencontré le collectif ou d’autres acteurs concernés. Elle précisera la proposition législative qu’elle envisage - ou, le cas échéant, les raisons pour lesquelles elle décide de ne pas donner suite.
Bien que l’UE n’ait pas de compétence sur les questions de santé, le débat sur l’IVG n’est pas absent. En attendant une législation plus protectrice de l’avortement, certaines associations féministes prennent le relais. Par exemple, Avortement sans frontières, une coalition d’ONG, apporte une aide financière pour couvrir les frais d’avortement et de voyage pour les femmes dans le besoin.
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