De l’école au débat public : Former des citoyen.ne.s suédois.e.s

Jeunesse politique en Suède (2/3)

, par Cécile Marchant

De l'école au débat public : Former des citoyen.ne.s suédois.e.s
Gamla Uppsala - Cécile Marchant, septembre 2022

Reportage. Pour la suite de notre série Jeunesse politique en Suède, Eric, Daniel et Axel nous ont parlé de leur éducation politique et de l’implication de la jeunesse dans la vie politique de leur pays. Comment l’école suédoise prépare-t-elle ses élèves à leur vie de citoyen.ne ? Comment le débat politique se poursuit-il ensuite dans le quotidien des 18-24 ans ? Ils nous répondent.

18 ans, et déjà une identité politique

Axel, Eric, et Daniel sont formels : le lycée est LE moment de cristallisation de l’identité politique. Tous les trois estiment qu’ils étaient suffisamment informés et sûrs de leurs opinions politiques à 18 ans pour glisser leur bulletin dans l’urne avec confiance. L’école suédoise prend de fait très à cœur l’éducation politique de ses futurs citoyens.

Dès la mellanstadiet, entre 10 et 12 ans, les enfants apprennent le système politique suédois et ses institutions. Au fil des années, de nombreuses occasions permettent d’expérimenter la vie démocratique, au travers d’élections internes par exemple. La démocratie est considérée comme une valeur centrale, que l’école doit obligatoirement passer à ses élèves. Ainsi, le programme officiel stipule : "Il ne suffit pas en soi que l’enseignement transmette uniquement des connaissances sur les valeurs démocratiques fondamentales”. L’école est aussi là pour mettre ces dernières en pratique, et “préparer les élèves à une participation active à la vie de la société".

L’esprit critique est fortement encouragé : "Il est également nécessaire que les élèves développent leur capacité à examiner d’un œil critique les informations, les faits et les relations, et qu’ils soient conscients des conséquences de différentes alternatives." Dans cette optique, Daniel, Eric et Axel racontent avoir assisté à un grand débat entre tous les représentants locaux. Daniel et Axel décrivent beaucoup de discussions et de simulations de débats politiques menés entre élèves.

Ils racontent avoir été grandement encouragés à s’impliquer en politique, notamment en rejoignant les partis de jeunes, des organisations politiques qui répliquent les partis au parlement. Ceux-ci sont par exemple intervenus dans leurs cours de récréation, en y implantant des "villages politiques", où chaque parti tenait un stand. Cela diffère cependant selon les écoles, certaines s’en tenant à l’information pure, comme celle d’Eric.

Pour autant, cela encourage-t-il réellement les jeunes suédois.es à s’impliquer en politique ? Dans le contexte de polarisation des opinions et du paysage politique, quelle place le débat occupe-t-il dans la vie de la jeunesse suédoise ?

Selon nos interrogés, l’intérêt politique est très haut dans la population, particulièrement chez les jeunes. Les partis de jeunes sont très populaires, actifs dans les campagnes locales et surtout considérés comme de véritables acteurs politiques, et non comme une copie simpliste des "vrais" partis. Les jeunes qui s’impliquent dans ces organisations, ainsi que les militant.es indépendant.es, sont ainsi traité.es comme des politiciens légitimes, car il est tout à fait possible d’être élu au Riksdag à 18 ans.

Néanmoins, dans les faits, le taux de participation des 18-24 ans était plus faible aux quatre élections de 2018 que le reste de la population. La même année, 4.7% des 16-24 ans étaient membres d’un parti, un pourcentage assez haut considérant que ce chiffre était de 5.5% pour la population totale âgée de 16 ans et plus. Or, si 5% des nommés sur les listes parlementaires avaient entre 18 et 24 ans en 2018, cette tranche d’âge ne représentait ensuite plus qu’1.4% des élus. De plus, les trois étudiants relèvent certaines différences de discours. Daniel, anciennement actif au sein d’un de ces partis qu’il a quitté juste avant sa nomination sur liste parlementaire, décrit des positions "idéalistes" et rarement tournés "vers des mesures concrètes". Une disposition qu’Axel généralise aux débats politiques qu’il entend dans son entourage.

Un débat public plus que moral que concret

"When it comes to politics with youth it rarely has anything to do with real policy. The point for youth to be politically active is to replace religion. [Without religion], you need some sort of idealistic social structure to explain to you how the world works and what you need to do to be a good person.

Daniel parle d’"hypermoralisation" : la philosophie politique serait au centre des discussions, au contraire des mesures concrètes à mettre en place. En ce sens, le débat politique remplacerait la religion pour faire société. Une tendance qui serait d’autant plus forte entre jeunes si l’on en croit les observations d’Axel : “It is very present [in social space] and especially in youth to entail an identity”.

Pour autant, la politique n’est pas le premier sujet de discussion abordé avec des inconnu.es, nuancent les étudiants. Au contraire, la peur de la stigmatisation entretiendrait un tabou. Pour Eric, ce tabou semble même s’étendre avec une récente radicalisation des opinions politiques des deux côtés du spectre politique, malgré l’absence d’une polarisation systémique observée : "It’s a lot harder for a right-wing and a left-wing person to have a political discussion than before".

Dans ces conditions, le débat politique interviendrait ainsi entre amis ou membres d’une famille partageant des opinions politiques proches. Bien que ne faisant pas consensus, elle serait néanmoins débattue dans des cadres relativement sécurisants pour les individus, sans opposition trop radicale entre les participants. La politique serait également un moyen pour les jeunes suédois.es de se constituer un cadre moral et de s’entourer socialement, facteur important de la construction identitaire de tout un chacun. Axel conclut : “Most of the time it’s just a social game of who do I want to associate myself with”.

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