L’Allemagne et la France, main dans la main vers la croissance ?

, par Antoine Frenoy

L'Allemagne et la France, main dans la main vers la croissance ?
Malgré les apparences lors des sommets, les politiques française et allemande ont rarement été aussi divergentes et le couple franco-allemand s’oppose sur de nombreux dossiers, y compris sur les orientations à donner à l’Union européenne. - President of the European Council

Salué par des exclamations des deux côtés du Rhin, le rapport Pisani-Ferry/Enderlein apporte une contribution audacieuse à la « thérapie de couple » franco-allemande, qui pourrait montrer la voie aux autres pays de l’Union européenne.

Le diagnostic des économies française et allemande

Avez-vous emprunté récemment une autoroute allemande ? Alors vous avez peut-être croisé une de ces Audi surpuissantes aux conducteurs frustrés d’être ralentis par des travaux interminables. Vous cherchez un job en France ? Peut-être attendez-vous désespérément l’appel d’un recruteur. L’Allemagne n’investit pas assez dans ses infrastructures, et la France doit réformer son marché du travail : ce sont deux constats du rapport commandé par Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel à deux économistes, français et allemand, MM. Pisani-Ferry et Enderlein, pour relancer la croissance.

Dès les premières lignes, le ton est donné. « L’Europe risque de s’enfermer dans le piège de la stagnation. En 2016, le PIB par tête de la zone euro sera juste en dessous de celui de 2007. L’image d’une décennie perdue n’est pas exagérée ». La zone euro va mal car ses économies divergent, faute de gouvernance économique commune. Alors, pour résoudre la fragmentation, si on commençait par de l’intergouvernemental franco-allemand ? Histoire de redonner des couleurs par la même occasion à un couple qui bat de l’aile. C’est la méthode originale du rapport. Après avoir dressé un état des lieux assez accablant, pour la France actuelle et l’Allemagne de demain, les économistes proposent des « packs de réforme » pour booster la croissance.

Car le moteur allemand ralentit et vieillit. L’Allemagne, certes, se satisfait d’un taux de chômage très bas, d’un budget public à l’équilibre (le sacro-saint « schwarze Null » cher à Wolfgang Schäuble), d’une industrie performante et compétitive à l’exportation. Pourtant, des défis l’attendent à moyen terme : démographie déclinante, investissements insuffisants, trop faible participation des femmes au marché du travail, grande précarité des « working poors » condamnés aux mini-jobs à 450€, inégalités croissantes. Le fort taux d’épargne sur des comptes courants est problématique et explique notamment, avec des facteurs historiques lourds, une aversion à l’inflation qui a coûté cher aux autres pays de la zone euro.

La France de son côté - est-il utile de le préciser ? - souffre de maux immédiats : chômage élevé, exponentiel pour les jeunes, déficit budgétaire hors de contrôle, dualisme du marché du travail injuste entre salariés protégés et travailleurs précaires, désindustrialisation durable, et un taux de prélèvements obligatoires trop élevé. Cependant, quand il s’agit de construire des autoroutes qui ressemblent à des circuits de F1 et de faire des enfants, nous sommes les champions d’Europe ! Nous sommes aussi des champions du pessimisme en matière d’économie, alors que les Allemands sont plutôt confiants.

Les prescriptions de Jean Pisani-Ferry et de Henrik Enderlein

Selon Jean Pisani-Ferry, face à ces situations, la France « manque d’audace » et l’Allemagne, aveuglée par son « autosatisfaction », est frappée par la « procrastination ». Pour caricaturer, la France refuse de réformer, et l’Allemagne, de mettre la main au porte-monnaie. Enderlein et Pisani-Ferry proposent donc quelques remèdes qui ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps.

  Pour la France : Il faut indexer le SMIC sur les seuls gains de productivité (ce qui revient à le geler) et le faire converger vers le SMIC allemand, plus faible, modérer de façon générale les augmentations de salaire, diminuer les dépenses publiques, en finir avec le dualisme du marché du travail grâce à un CDI flexible (« flexisécurité » à la française), permettre aux branches de déroger au droit du travail par des accords, renforcer la concurrence en supprimant les rentes, ce qui rejoint le projet de loi Macron pour l’activité. Ces propositions libérales ont fait grincer des dents à gauche. Le financement de l’innovation et de la R&D est également préconisé.

  Pour l’Allemagne : Face aux défis démographiques, il faut favoriser l’immigration, le travail des femmes, augmenter le temps de travail, et prendre des mesures natalistes. Il faut aussi abaisser l’âge d’entrée des étudiants sur le marché du travail (avant 27 ans). Il est également préconisé de restaurer les cotisations sociales sur les bas salaires pour réduire le nombre de détenteurs de mini-jobs (8 millions à l’heure actuelle) et de transformer l’épargne en investissements, de lever les contraintes réglementaires qui les ralentissent. S’ajoutent à cela le financement accru de l’éducation et un soutien à la demande par une hausse des salaires.

Intégration économique et relance européenne

Au-delà de cette « laundry list » de réformes politiquement périlleuses, que les Etats ont peu de chances d’appliquer dans son intégralité, le rapport a l’audace de proposer quelques pistes authentiquement européennes. A l’image du plan Juncker à 315 milliards d’euros, il propose de créer un fonds européen pour soutenir l’investissement privé et public, associant les Etats, la BEI (Banque Européenne d’Investissement) et les fonds structurels actuels. Les auteurs soutiennent même l’idée à long terme d’un véritable budget européen avec des ressources propres.

Dans la foulée de l’Union bancaire, le rapport propose également un « Schengen économique » où la France et l’Allemagne approfondiraient leur intégration dans des secteurs comme l’énergie, le numérique ou la santé, montrant la voie au reste de l’Union européenne. Première ébauche d’un « modèle social européen », la reconnaissance mutuelle des diplômes et la portabilité des droits sociaux permettraient également une mobilité transfrontalière accrue, propre à faire baisser le chômage français tout en redonnant des couleurs à l’économie allemande. Mais l’idée d’envoyer les jeunes chômeurs européens travailler en Allemagne, évoquée par Peter Hartz, le père des réformes sociales allemandes controversées des années 2010, avait été diversement appréciée.

Jean Pisani Ferry rappelle en effet qu’il ne faut pas faire reposer sur les pays du Sud la formation des étudiants qui seraient ensuite envoyés en Europe du Nord pour travailler, provoquant un véritable « brain drain » européen. Si un tel processus devait exister, un mécanisme de transferts de fonds devrait exister pour indemniser les pays du Sud qui forment leurs élites pour les exporter.

Ce rapport propose des solutions étonnamment audacieuses alors qu’il émane d’un organisme, France Stratégie, qui dépend du Premier ministre. Il s’agit également de tester dans l’opinion des pistes de réformes peu consensuelles. Même si certains sujets sont passés sous silence (la question monétaire et le rôle de la BCE, le numérique et l’énergie, les particularismes historiques et sociologiques qui expliquent les divergences France/Allemagne, la dénonciation plus franche des politiques d’austérité), ce rapport est étonnamment complet quand on sait qu’il a été rédigé en un mois.

Si le niveau supranational est bloqué par une Europe à 28, l’approfondissement de l’intégration économique pourrait se faire via le couple franco-allemand, à condition que la volonté politique soit des deux partis au rendez-vous. Comme le souligne le rapport, « la France et l’Allemagne passent beaucoup de temps à des déclarations communes et des initiatives conjointes. Ce qui nous manque, ce sont les actes ». Nous attendons à présent les actes.

Un article réalisé à la suite d’une conférence de Jean Pisani-Ferry organisée par les Cabris de l’Europe.

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