C’est le résultat que les chiffres de l’Indice d’égalité de genre publié par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) ont révélé : la situation en la matière n’est pas si noire ou blanche. En 2019 la progression vers l’égalité effective a atteint 67,4 points sur 100, soit une amélioration de 5,4 points depuis 2005.
Une progression lente donc qui diffère selon les secteurs. On apprend à la lecture du rapport de l’Institut que la politique et les instances de pouvoirs sont les lieux où les inégalités de genre sont les plus fortes. Les chiffres révèlent aussi que la maternité continue d’impacter négativement la carrière des femmes. Face à ces inégalités, la Commission européenne propose différentes actions pour corriger cette situation mais pas toutes applicables, ni efficaces…
L’égalité des genres, une compétence européenne
L’égalité femmes-hommes n’est pas un sujet politique secondaire, bien au contraire. Il est même présent dès la création de la communauté européenne. En effet, depuis le traité de Rome de 1957, c’est une valeur fondamentale de l’Union européenne. Le traité établit le principe de salaire égal pour un travail égal, inscrit aujourd’hui à l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le champ d’action de l’Union européenne (UE) dans ce domaine est transversal, il parcourt toutes les politiques européennes. L’UE peut ainsi adopter des actes législatifs en vue de lutter contre les discriminations fondées sur le sexe. L’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2000, qui regroupe l’essentiel des droits reconnus aux citoyens européens et juridiquement contraignante depuis 2007, offre une nouvelle base aux revendications des Européennes.
Le texte proclame en effet que « l’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération ». Si de nombreuses dispositions ont déjà été adoptées par l’UE, la plus médiatisée récemment est celle de la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée de 2019. Cette directive, initiée par la Commission européenne, veut lutter contre la répartition inégale des tâches au sein de la famille et permettre aux pères de s’impliquer davantage dans l’éducation grâce à leur congé de paternité et au congé parental, et ainsi faciliter une plus rapide reprise du travail des mères.
Toutes ces mesures ne vont pas être révolutionnées par la nouvelle Commission européenne. La stratégie quinquennale lancée le 5 mars s’inscrit de manière assumée dans la continuité de ces actions. Cette stratégie doit « veiller à ce que la Commission européenne intègre une perspective d’égalité dans tous les domaines d’action de l’UE ». Elle rappelle les objectifs à atteindre : « mettre fin à la violence et aux stéréotypes sexistes ; garantir une égalité de participation et de chances sur le marché du travail, y compris l’égalité salariale ; et parvenir à un équilibre entre les femmes et les hommes dans la prise de décision et la politique ». Concrètement, la nouvelle stratégie promet la prise en compte systématique de la dimension hommes-femmes dans toutes les politiques de l’UE au moyen d’une task force concentrée sur le sujet et dirigée par la commissaire chargée de l’égalité, Helena Dalli. La Commission européenne a déjà annoncé l’extension des domaines de criminalité aux violences sexistes et sexuelles (qui incluent notamment le harcèlement, la maltraitance et les mutilations génitales).
Une consultation publique a également été lancée pour élaborer une directive sur la transparence des rémunérations entre les genres. Elle souhaite aussi encourager la participation des femmes à la vie politique, notamment lors des élections européennes de 2024, par des financements et un partage des meilleures pratiques. Pour montrer l’exemple, la Commission européenne s’engage à rechercher un équilibre hommes-femmes de 50 % à tous les niveaux de sa propre hiérarchie d’ici fin de 2024.
Un signal fort pour l’évolution en profondeur des mentalités
Bien sûr, la nomination au poste de présidente de la Commission européenne d’Ursula von der Leyen et de 13 femmes commissaires sur 27 constitue en soi un grand progrès. C’est aussi un signal fort pour les autres institutions comme le Parlement européen où, en 2017, les femmes représentent 59% du personnel, mais étaient toujours sous-représentées dans les postes de direction, puisque formant seulement 15,4% des directeurs généraux.
De fait, la promesse de la Commission européenne d’obtenir un effectif paritaire d’ici 2024 au sein de son propre personnel est une étape indispensable pour une plus grande effectivité des politiques européennes sur le sujet. Le Parlement européen s’est aussi penché sur le sujet par plusieurs résolutions : la prévention et la lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles sur le lieu de travail en 2018, dans l’espace public et dans la vie politique européenne, en 2019 appelant à prendre des mesures effectives pour assurer l’égalité, améliorer la situation dans les institutions, tant au niveau administratif que politique.
La stratégie portée par U. von der Leyen rappelle ainsi qu’il y a une volonté politique en la matière et pas seulement au Parlement européen.
Dans un environnement politique, institutionnel dominé par des hommes
Cet ensemble de mesures se heurtera néanmoins à des résistances autant internes qu’externes. Internes tout d’abord, puisque même si une task force est constituée pour s’assurer de la prise en compte de la dimension du genre sur les politiques publiques, elles demeurent malgré tout élaborées, votées et mises en œuvre essentiellement par des hommes. Les chiffres en la matière sont particulièrement éloquents s’agissant des institutions financières de l’UE. Depuis 2019, tous les postes à haute responsabilité financière qui se sont libérés ont échu aux hommes. A la Banque centrale européenne par exemple, en février 2018, l’Espagnol Luis de Guindos a été nommé à la Vice-présidence, l’Italien Andrea Enria est devenu président du conseil de surveillance. José Manuel Campa a été nommé à la tête de l’autorité bancaire européenne (ABE).
Il ne reste désormais que deux femmes dans les plus hautes instances des institutions financières : la Présidente de la Banque Centrale Européenne, Christine Lagarde, et Isabel Schnabel membre du directoire de la BCE. Or, si la présence des femmes dans les institutions n’est pas une garantie de la prise en compte des inégalités de genre, leur absence en revanche, en est historiquement une dans tous les aspects de la société.
La faible présence des femmes à la BCE est dramatique pour l’égalité des sexes en Europe, puisque c’est l’institution qui définit la politique monétaire des pays de la zone euro et veille principalement à la stabilité des prix et la stabilité de la valeur de l’euro. Les choix politiques de la BCE conditionnent la faisabilité de toutes les autres politiques européennes.
Il est intéressant de noter que la présidente de la BCE est nommée par les chefs d’États et de gouvernement de la zone euro, qui sont quasiment tous des hommes. De même, le conseil des gouverneurs, principale instance de décision de la BCE ne contient qu’une femme et tous les représentants des banques nationales qui y siègent sont des hommes.
Difficile, dans ces conditions, de croire que l’égalité des sexes pourtant conditionnée par l’égalité économique soit véritablement prise au sérieux par l’UE. Difficile aussi, de croire en l’effectivité de cette stratégie sur l’ensemble du territoire de l’Union lorsqu’on sait les politiques ouvertement misogynes mises en place notamment en Hongrie et en Pologne qui incitent les femmes à retourner dans un rôle très traditionnel de femme au foyer, ménagère et mère. Ces politiques, qui vont jusqu’à faire enseigner dans les écoles hongroises que les filles sont moins intelligentes que les garçons. Ce malgré le discours de l’UE sur la nécessaire égalité des femmes sur le marché du travail et sa volonté affichée de lutter contre les politiques publiques sexistes.
Dans ce contexte, la crise sanitaire que traverse l’Europe nous rappelle à tous, si besoin était, l’importance économique et sociale de l’emploi des femmes et l’impact des politiques financières très concrètes sur la vie des citoyens et citoyennes. Or, de plus en plus de voix masculines des sphères politiques et économiques nous annoncent la nécessité d’une austérité plus grande une fois le nuage du Covid-19 passé. Qui alors, au sein des institutions financières osera rappeler que l’austérité condamne avant tout les femmes ? Que restera-t-il des dispositions annoncées dans le cadre de cette stratégie quinquennale ?
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