L’attaque de Solingen en Allemagne, un attentat à l’arme blanche impliquant un Syrien arrivé récemment dans le pays, s’est produite le 23 août dernier et a eu un effet aussi inattendu que majeur sur l’espace Schengen. À la suite de cet incident et depuis le 16 septembre, le pays, gouverné par Olaf Scholz et sa coalition tricolore, soumet à ses frontières des contrôles. Les pays membres de l’UE ont le droit de réintroduire des contrôles à certaines de leurs frontières intérieures, mais cela nécessite l’approbation du Conseil européen. Toutefois, les pays membres peuvent également réintroduire les contrôles sans le consulter, en cas de “menace grave”. Le pays voulant réintroduire des contrôles doit tout de même notifier son intention à la Commission et aux États qui lui sont limitrophes, des conditions respectées par l’Allemagne. Malgré cela, les réactions ne se sont pas fait attendre, comme celle de Donald Tusk, Premier ministre polonais, jugeant cette action comme "inacceptable", la qualifiant de "suspension de facto de l’accord de Schengen à grande échelle".
De plus, cet événement n’est pas le premier qui affaiblit l’espace Schengen. En 2015, une arrivée massive de demandeurs d’asile vers l’Union s’est produite. La migration s’est retrouvée au premier plan de l’agenda politique européen et certains pays comme l’Autriche, la Hongrie, la Slovénie, la Suède et le Danemark ont considéré cette arrivée massive comme une raison valable pour rétablir des contrôles temporaires à leurs frontières. Plus tard, lorsque l’épidémie de COVID-19 a touché le monde entier, l’Europe incluse, les pays ont fermé leurs frontières pour limiter la propagation du virus. Suite à la crise sanitaire, les flux migratoires ont augmenté et certains pays se sont plaint de leurs centres d’accueil débordés, à l’image des Pays-Bas et de l’Italie. De là, les idées de délocaliser les procédures d’asile se sont imposées, à l’image de l’accord entre l’Italie et l’Albanie qui fait l’actualité en ce moment.
L’espace Schengen est donc fragilisé depuis des années et la situation allemande ne fait qu’amplifier ce phénomène. Un débat au Parlement européen sur la réintroduction des frontières intérieures dans l’UE et sur ses conséquences sur l’espace Schengen paraissait alors indispensable.
L’espace Schengen, oui !
Pour la partie gauche de l’hémicycle, il était évident que l’espace Schengen devait perdurer sous sa forme actuelle, c’est-à-dire sans contrôle aux frontières intérieures de l’Union européenne. Carole Rackete, première intervenante du groupe GUE/NGL (gauche radicale) déclarait : “Nous souhaitons construire une communauté des peuples, elle ne sera pas divisée par les frontières et les barrières”.
Erik Marquardt, du groupe Vert/ ALE (centre gauche à gauche), a commencé quant à lui par déplorer la situation “Ce qui me dérange avec cette introduction, c’est que ces mesures n’ont pas été concertées avec les autres États membres, ni avec la Commission, ce n’est pas comme ça qu’on traite ses amis”. Il a ensuite insisté pour que le règlement de l’espace Schengen soit mieux respecté.
Enfin, Juan Fernando Lopez Auguilar du groupe S&D (centre-gauche) relevait que “Schengen est un droit fondamental [...] apprécié par les plus de 400 millions de citoyens qui profitent de ce droit.” Il a fini son intervention sur le respect du règlement de l’espace Schengen et de celui du pacte asile et migration. Le pacte asile et migration, fraîchement adopté le 14 mai dernier, est un ensemble de règles qui prévoit de traiter une partie des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union et d’introduire un mécanisme de solidarité entre États membres en cas d’arrivées massives de migrants.
L’espace Schengen, oui, mais…
Pour d’autres partis, du centre et de la droite, l’espace Schengen est également une évidence, mais qu’il faut défendre en prenant certaines mesures supplémentaires, notamment afin de renforcer les frontières extérieures de l’UE. Jan-Christoph Oetjen, du groupe Renew Europe (centre), commençait sa prise de parole en affirmant : “Pour nous, Renew Europe, l’espace Schengen est un des plus gros acquis de l’Union européenne”. Il poursuivait en assurant qu’il fallait : “renforcer les frontières extérieures, renforcer Frontex, une meilleure mise en œuvre du pacte asile et migration et de meilleurs contrôles policiers”.
Même constat pour Tomas Tobé du PPE (centre droit à droite), : “La protection de l’espace Schengen et de nos frontières externes sont une priorité pour le groupe PPE”. Il détailla ensuite des points pour lutter contre la migration ”clandestine” : “garantir une application rapide et concrète du pacte asile et migration”, “de nouvelles mesures pour augmenter le taux de retour des migrants irréguliers”, “renforcer Frontex”.
Une partie des eurodéputés les plus à droite exprimait une opinion similaire. Nikola Bartusek du groupe PfE (extrême droite) déclarait : “Schengen est un des grands avantages donnés à tous les citoyens de l’UE [...] La situation dans l’UE continuera à se dégrader tant qu’on ne sécurisera pas nos frontières extérieures et qu’on ne mettra pas un terme à cette mauvaise politique migratoire, les débats sur le pacte migratoire doivent être relancés”. Alessandro Ciriani , du groupe CRE (droite radicale à extrême droite) lança : “Schengen, c’est un bien précieux qu’il faut protéger [...] il faut savoir comment mieux protéger les frontières extérieures”. Il insista ensuite sur le fait de coopérer entre pays de départ et de transit.
L’espace Schengen, pas sous cette forme
L’autre partie des eurodéputés de droite et d’extrême droite ne se retrouvaient pas dans les idées précédemment citées. Ils étaient pour une réforme d’ampleur de l’espace Schengen, comme Jordan Bardella, du groupe PfE. Il qualifia une Europe sans frontière de “monde de mafia, de passeurs, des attentats islamistes, des trafics, de la concurrence déloyale”. Selon lui, il faudrait : ” renoncer au projet fou de répartition obligatoire prévu avec le pacte asile et migration, arrêter de financer les ONG pro-migrants et réserver la libre circulation aux citoyens européens”.
Même idée de la part de Charlie Weimers, du groupe CRE, qui affirmait qu’ “il est important de réformer le système Schengen et réserver la libre circulation aux citoyens européens et aux migrants qui sont ici légalement, en revanche les migrants irréguliers, les criminels, les terroristes ne doivent pas entrer dans l’UE”.
L’espace Schengen est-il donc réellement en danger ? À première vue, on pourrait dire que non, que tous les eurodéputés sont en faveur de l’espace Schengen. Mais en écoutant plus attentivement, on remarque que chacun a sa propre vision de l’espace de libre circulation. La gauche veut conserver l’espace sous sa forme actuelle. Le centre également, mais en renforçant les frontières extérieures. Et l’extrême droite parle d’une réforme, ce qui pourrait vouloir dire la création d’un nouvel espace Schengen qui n’en est plus un. Un débat qui montre les divisions idéologiques de l’hémicycle européen, mais qui montre également que l’avenir de l’espace Schengen est assurément entre les mains des Etats.
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