Dans une enquête Eurobaromètre publiée le 6 décembre 2023, le pourcentage moyen de personnes ayant une image positive de l’Union européenne ne dépasse pas les 45%. D’ailleurs, la France se situe même en-deçà de ces chiffres : 23% des citoyens et des citoyennes en ont une image négative, 40% neutre, et seulement 36% une image positive.
Ces chiffres peuvent en outre s’expliquer par les récents scandales qui ont fait trembler la sphère européenne. En effet, l’affaire dite des SMS entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le PDG de Pfizer en avril 2021, ou encore l’affaire de corruption du « Qatargate » en décembre 2022, ont quelque peu ébranlé la confiance des citoyens et citoyennes européens dans les institutions de l’Union. Et ce qui n’est pas bienvenu en général, l’est encore moins à l’aube d’élections européennes où la participation citoyenne est cruciale.
Ainsi, que la réponse de la Commission européenne face à ce problème se soit faite sur le plan éthique n’est pas un hasard. En effet, la vice-présidente de la Commission et chargée du respect des valeurs de l’Union européenne et de la transparence, Věra Jourová, a enfin exposé la proposition d’un organisme d’éthique européen indépendant devant les eurodéputé-es en juin dernier.
Pour aller plus loin sur le sujet, consultez l’article suivant : ->https://www.taurillon.org/l-organisme-d-ethique-europeen-ou-la-nouvelle-strategie-anti-corruption-de
Mais cette proposition a surtout fait l’effet d’une provocation. Pour cause, la démarche éthique pâtit d’une image ornementale, voire instrumentalisée. Dans ce cas, nous parlons d’éthique « alibi » ou « placebo ».
Alors pourquoi avoir fait le pari de l’éthique, cette belle « coquille vide » ?
« Ti esti » l’éthique publique ?
Tout d’abord, rappelons brièvement de quoi il s’agit : l’éthique, c’est une branche de la philosophie qui s’intéresse à l’agir humain, et en particulier à la question du « bien agir ».
Dans les institutions de l’UE, il est plutôt question d’éthique dite organisationnelle ou publique. Cela désigne les principes éthiques et moraux relatifs à la conduite des membres du personnel dans leurs activités professionnelles, mais aussi les décisions prises par les institutions. Cela passe par des règles et des normes, même si en définitive, l’éthique fait appel au jugement et au sens des responsabilités du ou de la fonctionnaire. Cela implique que cette personne puisse aller au-delà du simple respect de la règle pour pouvoir in fine l’appliquer à une situation. Autrement dit, l’éthique vise la réflexion, bien qu’en cherchant à déterminer « ce qui devrait être », elle possède également une dimension normative.
Deux problèmes majeurs occupent le fonctionnement éthique des institutions européennes : Dans un contexte d’autonomie accrue, la régulation des comportements des fonctionnaires ne saurait se fonder uniquement sur un ensemble de règles prédéfinies. De nombreux facteurs rendent plus complexe le rôle du personnel de l’UE et ouvrent la porte à de forts risques éthiques. C’est par exemple la difficile distinction entre le privé et le public dans la politique.
Et concrètement, quelle forme prend l’éthique dans les institutions européennes ?
Ici, la Commission européenne est l’institution la plus intéressante pour nous car c’est elle qui développe une approche institutionnelle de l’éthique, là où les autres organisations comme le Parlement européen s’occupent d’apporter des réponses communes aux problèmes éthiques de société.
Le Groupe européen d’éthique (GEE)
C’est l’organe le plus emblématique de la volonté d’afficher la prise en compte des enjeux éthiques dans le cadre de l’élaboration des politiques de l’Union.
Calqué sur le modèle classique des comités d’éthique, le GEE est une instance pluraliste, indépendante et pluridisciplinaire. Cet organe consultatif est composé de quinze personnalités nommées par la Commission européenne sur la base de leur expertise et de leurs qualités individuelles. Cette marque d’indépendance se trouve renforcée par le choix de ne pas recourir à un système de représentation à 27 garantissant un siège par État membre.
Le rôle du GEE est d’émettre des avis à la demande du président de la Commission européenne et d’en soumettre de sa propre initiative. Pour cela, il suit les principes éthiques suivants : la dignité humaine, la liberté individuelle, la justice et la bienfaisance, la solidarité, la liberté de la recherche, et la proportionnalité (c’est-à-dire le rapport raisonnable entre les fins et les moyens).
Le GEE essaie également de maintenir un dialogue avec la société civile en organisant des tables rondes publiques qui réunissent des personnes représentant différents intérêts.
Comité d’éthique indépendant et code de conduite
Un code de conduite soumet les commissaires européens à des règles en matière d’éthique et d’intégrité. Ils doivent offrir toutes garanties d’indépendance et agir avec honnêteté et délicatesse pendant et après leur mandat. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne développe ces principes, mais c’est le code de conduite qui offre des directives pratiques. La version la plus récente est entrée en vigueur en 2018.
Ce code prévoit en autre la publication de déclarations d’intérêts. Dans ces dernières, les membres de la Commission européenne sont tenus de déclarer toute fonction exercée au cours des dix dernières années, leurs intérêts financiers pouvant donner lieu à des conflits d’intérêts et leur affiliation à des organismes ayant pour but d’influencer l’exercice de fonctions publiques.
En cas de manquement à leurs obligations, la Cour de justice peut les priver de leurs droits à une pension ou à d’autres avantages. La Commission peut également décider d’adresser un blâme en tenant compte de l’avis du comité d’éthique indépendant. Ce comité a pour rôle de conseiller la Commission en se conformant au Traité.
Pourquoi un nouvel organisme d’éthique indépendant ?
Force est de constater que les dispositifs d’éthique déjà en place dans les institutions de l’UE comportent de grandes similitudes avec la proposition du nouvel organisme d’éthique indépendant. Nous pouvons alors nous interroger sur l’utilité de cette quasi redite.
Ce nouvel organisme européen proposerait aussi des règles d’éthique pour les commissaires, les eurodéputés et le personnel des institutions participantes, avant, pendant et dans certains cas après leur mandat ou leur emploi. Il sensibiliserait également aux questions d’éthique et fournirait des orientations à ce sujet.
Les réelles nouveautés semblent se situer dans sa collaboration avec les autorités nationales et d’autres organes et agences compétents de l’UE, tels que l’OLAF etle Parquet européen. Sa composition serait également novatrice : neuf membres, trois pour la Commission, trois pour le Parlement et trois parmi les anciens juges de la Cour de justice de l’UE, d’anciens membres de la Cour des comptes et d’anciens Médiateurs européens.
Mais certains spécialistes soulèvent la critique suivante : la tendance à approfondir des politiques déjà existantes est impertinente. Ils préconisent alors moins d’autorégulation et soulignent la nécessité d’un organe indépendant, externe et dépolitisé, doté de capacités de sanction. Pourtant, cette proposition revient à consolider et étendre les mécanismes existants.
Limites et voies d’amélioration
L’éthique est un instrument puissant pour tendre vers une meilleure gouvernance. Prise au sérieux, elle repose sur une réflexion rationnelle qui mène à des prises de position s’appuyant sur des principes et des valeurs. Elle est un atout-clé pour le développement de nos sociétés européennes.
Mais ce domaine est trop souvent piégé dans une posture où elle ne peut que rappeler les principes essentiels et tenter de « réparer les dégâts ». Ce défaut provoque une indifférence générale vis-à-vis de l’éthique, tant du public que des institutions, bien que les échanges au sein des instances de l’UE soient de grande qualité.
L’amélioration du statut de l’éthique passe par la revalorisation du débat au travers d’une participation citoyenne accrue, et de la mise en place d’un enseignement et d’une recherche universitaires impliquant la question de la formation en éthique et la révision de certains schèmes dans le domaine de la gouvernance.
Cette piste sera empruntée dans le second article de cette série consacrée à la place de l’éthique dans les institutions européennes.
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