Le Taurillon : Mario Monti a présenté jeudi au Parlement européen, dans un relatif anonymat, les conclusions d’un « groupe de haut-niveau sur les ressources propres » crée en 2014. Quels sont les grands objectifs de ce groupe de haut-niveau ?
Alain Lamassoure : La création de ce groupe a été exigée par le Parlement en contrepartie de l’accord qu’il a donné en 2013 sur le cadre budgétaire de l’Union européenne. pour la période 2014-2020. A court d’argent, les Etats membres ont voulu réduire le budget commun pour sept ans. Le Parlement a demandé et obtenu le principe d’une réforme du financement du budget communautaire pour le déconnecter des budgets nationaux. Présidé par l’ancien Premier ministre italien Mario Monti, et constitué de de neuf membres désignés par les trois institutions européennes, ce groupe a été chargé de faire des propositions concrètes de nouvelles ressources propres.
Vous dites souvent que le budget de l’UE tel qu’il fonctionne aujourd’hui est « anti-démocratique », « opaque » et « inefficace » : comment justifiez-vous ces critiques ?
A.L. : Les traités européens prévoient que l’Union est financée par des « ressources propres », c’est-à-dire des ressources fiscales qui lui sont directement affectées. Ce système a été respecté et a bien fonctionné pendant les vingt premières années. Les ressources principales étaient les droits de douane, très rentables dans une période plutôt protectionniste, et une taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises sidérurgiques et minières. Puis il s’est déréglé : les accords commerciaux internationaux ont entraîné une baisse tendancielle des recettes, tandis que l’augmentation des compétences de l’Union, traité après traité, augmentait tendanciellement ses dépenses.
A la fin des années 80, il a été décidé de compléter ces ressources par une contribution des budgets nationaux en proportion du PIB. Malheureusement, conçue comme une recette temporaire et subsidiaire, cette ressource finance désormais plus des trois quarts du budget européen. La conséquence politique est catastrophique : au lieu de débattre des politiques européennes et de leur financement, chaque ministre des finances a pour seule préoccupation de calculer le « juste retour » que réclamait Mme Thatcher, en minimisant sa contribution et en maximisant sa part d’aides européennes. Incitant à l’égoïsme national le plus étroit, ce système est également injuste : après le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark ont obtenu un rabais purement arbitraire sur leurs propres contributions respectives. Résultat : les pays les plus pauvres de l’Union, comme la Bulgarie ou les Etats baltes, contribuent relativement plus au budget commun que les pays les plus riches !
En quoi le retour vers un financement de l’UE par des ressources propres règlerait-il ces inefficiences ? Sur quelles ressources propres le groupe d’experts s’est-il plus particulièrement penché ?
A.L. : Au lieu d’avoir un système financé par 28 contribuables – les Etats eux-mêmes -, il faut revenir à un système financé par les 500 millions de citoyens européens. C’est le bon sens et la loi de la démocratie : en France, aucun Breton, aucun Aquitain ne se préoccupe de comparer ce que sa région paye comme impôts à Paris et ce qu’elle reçoit de subventions en sens inverse.
Nous proposons une palette de solutions, à partir d’impôts liés à la politique européenne et dont le rendement devrait évoluer parallèlement à la croissance économique : un supplément à la TVA nationale, un supplément à l’imposition des bénéfices, dont les bases sont déjà en cours d’harmonisation au niveau européen, l’affectation à l’Union de ressources issues de politiques européennes, en particulier dans le secteur de l’environnement : taxes carbones, achat des « droits à polluer » par la grande industrie, taxe sur l’électricité. De même, il n’y a aucune raison que le droit de seigneuriage [1], dû par la Banque centrale européenne, et les bénéfices de celle-ci reviennent aux Etats et non à la zone euro.
Alors que beaucoup s’inquiètent des répercussions du Brexit sur le financement des politiques de l’UE, le rapport voit davantage cette perspective comme une « opportunité »…
A.L. : Oui. Malgré le « rabais » obtenu par Mme Thatcher, le Royaume-Uni reste un contributeur net du budget de l’Union. Mais s’il veut continuer de bénéficier de la liberté des échanges commerciaux – ce qui est probable -, il lui faudra payer une contribution du même ordre de grandeur de l’actuelle – c’est le statut actuel de la Norvège. Donc, le Brexit ne devrait pas diminuer nos ressources.
En revanche, avec le départ du Royaume-Uni, il n’y aura plus aucune raison d’accorder aux autres Etats riches de l’Union les rabais qu’ils avaient obtenus à son exemple. C’est une occasion rêvée pour remettre en cause le système actuel des contributions nationales.
Le sujet des « ressources propres » revient sur la table tous les sept ans, au moment des négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’UE. Une réforme du budget européen n’est-elle pas de fait « mission impossible », l’unanimité des Etats-membres étant requise pour approuver toute évolution dans ce domaine ?
A.L. : Bien sûr, ce sera très difficile. Mais, d’une part au cours des deux dernières années, les 28 gouvernements ont été contraints de créer des mini-budgets satellites pour faire face à des situations imprévues qui exigeaient une réponse commune européenne alors que le budget de l’Union était exsangue : protection des frontières, immigration, terrorisme, CoP 21 sur le réchauffement climatique, plan d’investissement Juncker … Plus personne ne peut nier le besoin de donner des moyens financiers décents aux politiques décidées ensemble. D’autre part, si certains pays s’y opposent, le traité de Lisbonne permet à ceux qui l’accepteront de mettre en place une coopération renforcée.
Dans un contexte de défiance croissante des opinions publiques à l’égard des institutions européennes, que les populistes accusent déjà de « rouler sur l’or », cette volonté de doter l’UE de ressources propres na va-t-elle pas susciter un lot d’incompréhensions ? Comment rendre ce projet « vendeur » auprès des citoyens européens ?
A.L. : En leur montrant ce qu’aucun gouvernement n’a eu l’idée de faire jusqu’à présent : 1 euro de plus dépensé à Bruxelles permet d’économiser au moins 1 euro dans les capitales nationales, pour une efficacité plus grande. Tous nos dirigeants se gargarisent du principe de subsidiarité : « Il faut que l’Europe ne s’occupe que des grands sujets, ceux pour lesquels l’action est plus efficace qu’au niveau national ». Ne nous contentons pas de le dire, faisons-le ! Nous mettons en place un corps européen de gardes-frontières : ne le concevons pas comme une 29e police, ajoutant une couche administrative et fiscale supplémentaire, mais comme la mutualisation, préfigurant la fusion, de nos 28 administrations nationales. De même, combien d’attentats faudra-t-il encore pour décider de transformer Europol en un FBI européen ? Al Qaida est autrement plus redoutable qu’Al Capone, qui avait suscité la création du prestigieux service américain dans les années 30. Et que dire du maintien persistant des 28 services nationaux de contrôle de la navigation aérienne ? C’est une situation grotesque : depuis vingt ans nous avons supprimé les frontières terrestres entre nous, mais subsistent les frontières aériennes symboliques pour la seule satisfaction corporatiste des syndicats des personnels. L’Europe, c’est plus d’efficacité pour moins de dépenses publiques et moins d’impôts !
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