L’Europe est un roman italien

, par Alexis Vannier

L'Europe est un roman italien
Création : Sophia Berrada

Place ! Place à la littérature européenne ! Le Taurillon a entrepris, moyennant une nouvelle rubrique nommée L’Europe est un roman, de s’intéresser au monde littéraire européen sous tous ses aspects. Chaque mois nous vous proposerons de découvrir des œuvres d’auteurs et d’autrices, européens et européennes, des interviews de personnalités du monde du livre, actrices de son écriture à sa commercialisation, en accordant une attention particulière à sa traduction - démarche si cruciale à la vie démocratique de ce Vieux Continent, ainsi que des articles portant sur l’actualité du milieu littéraire européen.

Primo Levi, une vie marquée au fer brun

Primo Levi est né à Turin en 1919. Juif de naissance, il est enrôlé dans les toutes nouvelles jeunesses fascistes. Ses nombreuses lectures et sa passion de l’exercice physique l’isolent du monde et lui donnent le goût de la liberté. Il entre dans la résistance italienne libérale en 1943 mais est rapidement arrêté par des milices fascistes en décembre. Sa « condition de citoyen italien de race juive » lui évite l’exécution sommaire mais entraine sa déportation vers Auschwitz en 1944, il a 24 ans. À la libération et après 8 mois de voyage pour retourner chez lui à Turin, il devient chimiste dans une entreprise de peinture. Le témoignage de sa vie dans les camps dans Si c’est un homme publié en 1947 devra attendre 1958 pour que la volonté générale d’oublier les atrocités de la guerre laisse place à un besoin et un devoir de mémoire sur le continent européen. Marié et père de 2 enfants, il publiera dès lors de nombreux récits et nouvelles, souvent récompensés, jusqu’à sa mort brutale en 1987.

Un témoignage tragique et sincère de la vie à Auschwitz

Dans son livre Si c’est un homme, sorti en 1947, Primo Levi nous relate sa détention d’un an au sein du camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne occupée, de fin janvier 1944 à fin janvier 1945. Un an durant lequel il apprendra à ne plus être considéré comme un homme. Ce témoignage authentique nous décrit strictement et le plus objectivement possible le quotidien dans ce camp nazi. Les conditions de vie, le travail, les relations avec les autres prisonniers et les gardiens, les vols, la débrouillardise de certains, la catatonie des autres, la disparition de l’espoir, mais, finalement, la chute du camp et sa libération par les soviétiques.

À travers ce livre, comme il nous le dit lui-même, Primo Levi souhaite apporter un témoignage sur ce qui s’est passé à Auschwitz. Il nous signale que de nombreuses fois pendant le camp, l’idée lui est venu d’écrire ce qu’il vivait, pour témoigner pour après, même sil ne se faisait aucune illusion sur sa survie. Mais au moment de sa libération, Primo Levi a décidé de ne pas oublier et de raconter ce qu’il avait vécu. C’est une odyssée personnelle, en aucun cas un travail d’historien qui aurait pu mettre en perspective sa détention avec la vie dans les autres camps, l’avancée des troupes soviétiques, faits qu’il ne connaissait pas durant sa détention. C’est un travail journalistique.

Travail journalistique qui reprend donc un ton calme, descriptif, exhaustif mais à aucun moment moralisateur. Jamais Primo Levi ne fait part de ressentiments ou de haine envers les nazis qui dirigent et surveillent le camp, tout au plus analyse-t-il certains dans ses interactions avec les détenus. Son absence de colère, il nous l’explique dans l’appendice du livre. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont été largement racontées et commentées, néanmoins, ce témoignage vu de l’intérieur est tout à fait abordable, même aux plus sensibles. Cette réalité brute, exempte de tout spectacularité, nous empêche de verser dans le voyeurisme larmoyant et vite oublié.

La traduction depuis l’italien empêche certainement une lecture plus fidèle de l’œuvre.

S’agissant de la forme du récit, Primo Levi découpe son livre en plusieurs paragraphes qui reviennent sur des thèmes, des codétenus, des évènements personnels, des moments du quotidien. Un récit court (300 pages) qui ne s’attarde pas sur certains détails, qui permet une objectivité essentielle pour ce type de discours.

À la fin du récit, Primo Levi répond à certaines questions qui reviennent souvent lors de ses présentations en conférences publiques ou devant des élèves, notamment sur les causes de la haine des juifs en Allemagne et son exploitation par les Nazis, sur l’absence de commentaires, analyses ou prises de positions sur les goulags communistes, sa vie après le camp etc…

Il s’agit toujours d’un homme...

Ce récit constitue un témoignage dont il faut toujours se souvenir afin de préserver la liberté et les droits fondamentaux. Il doit servir à lutter non pas contre des partis d’extrême droite qui bien souvent n’ont aucune intention d’éradiquer des milliers de gens, mais contre des groupes qui se revendiquent néo-nazis, néo-fascistes ou plus généralement ennemis de l’Humanité. Le devoir du souvenir est essentiel dans la préservation de nos sociétés fondées sur l’État de droit.

La lecture de ce livre doit aussi faire écho avec la situation des Ouïghours en Chine. Nous savons que des camps sont construits pour rassembler et concentrer cette minorité musulmane, nous savons que des exactions et des violations intolérables des droits humains y sont commises, et nous ne faisons rien. La responsabilité n’incombe pas plus aux pays musulmans, tous, nous devons défendre les droits fondamentaux de chacun.

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