Le contexte de recul continu de la liberté de la presse et des médias imposait une action de l’UE. Instaurer un cadre commun apparaît comme le meilleur moyen d’assurer effectivement la liberté de la presse en Europe selon Thierry Breton “L’Union européenne est le plus grand marché unique démocratique au monde. Les entreprises de médias y jouent un rôle essentiel mais elles doivent faire face à une baisse des recettes, à des menaces ciblant la liberté et le pluralisme des médias, à l’émergence de très grandes plateformes en ligne et à un patchwork de règles nationales.” Une urgence au vu de la déliquescence de la presse en Hongrie, par exemple, où les médias d’opposition sont la cible des organes de régulation contrôlés par les proches de Viktor Orbán.
Une liberté de la presse en recul
En Pologne, la situation se détériore depuis plusieurs années avec en point d’orgue, le vote d’une loi sur la propriété des médias en août 2021 en vertue de laquelle les médias polonais ne peuvent être détenus à plus de 49 % par des entités extérieures à l’Espace économique européen. Outre ces États, la situation de la presse et des médias est préoccupante partout en Europe. Et le délabrement des institutions médiatiques précède l’illibéralisme davantage qu’il en est la conséquence.
En France, l’inquiétude croît à mesure des rachats de grands titres de presse. Au cours des dernières années, de nombreux grands médias (RTL, Europe 1, Paris Match, le Journal du Dimanche) ont fait l’objet de rachats. Avec une similitude, la concentration de ces médias aux mains de quelques groupes. Le groupe Bolloré, outre l’accumulation de médias (Canal +, JDD, Paris Match, Europe 1…), s’est illustré par ses coupes budgétaires qui ont mené CNews à devenir une chaîne d’opinion, au licenciement abusif d’un journaliste de Canal +, et plus généralement aux multiples ingérences éditoriales. Au point que le Sénat a lancé une Commission d’enquête parlementaire sur la concentration des médias. De manière générale, Reporters sans frontières observe un recul de la liberté de la presse dans une majorité des Etats de l’UE. Pressentant un avis défavorable de l’Autorité de la concurrence, M6 et TF1, parmi les plus grandes chaînes TV d’Europe ont abandonné leur projet de fusion.
La propriété des médias, enjeu majeur de l’European Media Freedom Act
L’EMFA s’inscrit dans le plan stratégique d’action pour la démocratie de la Commission européenne lancé en décembre 2020. En se basant sur la protection des consommateurs et l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Commission propose une refonte globale de la directive Audiovisuel et média de 2010. Consciente que l’initiative ne viendrait pas des États membres, l’action de la Commission vise prioritairement la concentration des médias, leur propriété et les immixtions éditoriales qui peuvent en découler.
Le texte se pose comme un rempart aux intrusions, publiques ou privées. En réaction au scandale lié à l’utilisation du logiciel de renseignement Pegasus, la directive prévoit une interdiction stricte des mesures de surveillance ou d’espionnage des médias. En lien avec le Digital Services Act, l’EMFA régule et limite la suppression injustifiée de contenu sur les “super plateformes”.
La question de la transparence de la propriété des médias occupe une place centrale dans l’initiative de la Commission. À travers la régulation du marché intérieur, l’exécutif européen entend poser des obligations relatives à l’identité de la personne physique ou morale propriétaire. L’enjeu consiste à identifier les actionnaires et les intérêts à défendre pouvant justifier une intervention éditoriale de leur part. L’article 6 prolonge le raisonnement, il facilite la possibilité de révéler l’existence d’un conflit d’intérêt et en impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance éditoriale.
L’EMFA place l’indépendance des médias au centre de ses réflexions, en particulier celle des médias publics. La législation européenne préconise un financement stable pour les médias publics. L’équipe dirigeante doit être recrutée de manière transparente et impartiale afin de garantir une information libre et plurielle. Une mesure destinée à réguler les dérives observées, en Hongrie par exemple, ou même dans d’autres États comme en France où la suppression de la redevance audiovisuelle menace la stabilité des moyens alloués aux médias publics.
Un texte trop frileux ?
Afin de contrôler le respect de ces obligations, l’exécutif européen projette de créer un “Board”, un comité, composé des représentants des agences nationales. En cohérence avec l’interdiction de Russia Today dans l’Union européenne après l’invasion russe de l’Ukraine, ce comité sera chargé de coordonner les actions, des agences nationales, relatives aux médias non européens présentant un risque pour le débat public. Néanmoins, ce comité a vocation à coordonner l’action des États et ne disposera pas de l’autonomie nécessaire pour prendre des sanctions ou des mesures conservatoires.
Avec ce texte, l’Union européenne lance une action d’ampleur comme l’affirme Vera Jourova “C’est l’essence de la proposition que nous présentons aujourd’hui et qui est totalement inédite : des garde-fous communs pour protéger la liberté et le pluralisme des médias dans l’UE”. Cet investissement croissant dans la défense de la liberté et l’indépendance des médias se reflète aussi à travers la multiplication des projets finançant le développement et la pérennisation des médias indépendants.
Malgré ces avancées majeures, certains acteurs s’émeuvent de l’insuffisance de l’EMFA. On peut regretter que le texte n’aille pas plus loin, notamment sur la précarité croissante des jeunes journalistes et des médias. Des dispositions sur le financement et le subventionnement public des médias auraient été pertinentes lorsque l’on connaît la difficulté pour les médias d’affirmer leur position dans l’espace médiatique.
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