Le Taurillon : Pouvez-vous nous rappeler le rôle de l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée dans les dynamiques transfrontalières, notamment entre la Catalogne-Nord et la Catalogne-Sud, et son travail avec les autres acteurs du domaine ?
Xavier Bernard Sans : L’Eurorégion est d’abord un projet politique de coopération territoriale entre plusieurs régions européennes, né dans les années 2000. Elle est le fruit de la volonté d’Elus de la Generalitat de Catalunya (la communauté autonome de Catalogne, ndlr), de la région Midi-Pyrénées de l’époque, et de pays amis que sont les Baléares. Tout cela se faisait dans un contexte de création de « l’Europe des régions », pour laquelle les Eurorégions étaient considérés par l’Union européenne comme un outil politique à développer. Notre Eurorégion s’est concrétisée en 2004. Quatre entités régionales l’ont rejointe : les Baléares, la Catalogne, et les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
A la suite de cette création, l’Union européenne a poussé pour créer des outils juridiques, tels que le Groupement Européen de Coopération Territorial (GECT). L’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée s’est donc constituée en 2009 en organe européen géré par des régions, par délégation des Etats.
La particularité de notre structure de coopération réside aussi dans le fait que nous sommes la seule à accueillir une région insulaire (les Baléares). La coopération territoriale maritime est donc une composante essentielle de notre action, suscitant l’intérêt de l’UE. Depuis sept ans, nous montons des projets européens, nous poussons pour que les acteurs économiques locaux se connaissent et coopèrent.
LT : Vous l’avez dit, l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée est assez unique par un aspect maritime prégnant. Ainsi se pose la question du flux transfrontalier de personnes. Comment dans une région si large avec les barrières géographiques que sont les Pyrénées et la mer des Baléares, les flux de travailleurs frontaliers se matérialisent-ils, et quel rôle joue la question de la langue catalane, présente de part et d’autre de la frontière Nord-Sud de la Catalogne et aux Baléares ?
XBS : L’Eurorégion compte environ 17 millions d’habitants, plus importante et économiquement puissante que de nombreux Etats européens. Cela signifie beaucoup d’échanges économiques. Toutefois, en regardant les flux transfrontaliers concrets, terrestres ou maritimes, on parle de quelques milliers de personnes, ce qui est faible comparé aux flux de marchandises. On peut même dire que plus de camions passent la frontière que de salariés. En dehors des lignes maritimes touristiques entre Barcelone et Palma, il n’y a pas de liens, en particulier entre l’Occitanie et les Baléares.
On est dans un désert d’échanges de personnes, peut-être parce que la frontière physique reste, peut-être parce que la frontière culturelle est plus forte qu’on ne l’imagine. L’Eurorégion essaye de soutenir le développement de plus de liens.
Pour ce qui est des échanges entre la Catalogne Nord et la Catalogne Sud, les flux sont vraiment très limités et se concentrent entre la province de Gérone et le Sud de l’Occitanie. Là-bas, les collectivités travaillent beaucoup ensemble. Néanmoins, en considérant le reste de la frontière de l’Occitanie qui va jusqu’aux Hautes-Pyrénées, il est clair que les échanges sont beaucoup plus faibles, à l’exception notable du Val d’Aran, le seul endroit de Catalogne et d’Espagne tourné géographiquement vers la France (le Val d’Aran est en outre un territoire de langue traditionnelle occitane, ndlr), et où les échanges sont assez soutenus avec le Comminges côté français.
L’Eurorégion pousse pour que ces échanges se développent, mais malheureusement nous ne disposons pas de toutes les solutions. Les Etats nationaux ont un rôle prépondérant sur le sujet. L’accord d’amitié franco-espagnol qui vient d’être signé (le 19 janvier 2023, ndlr) n’aborde pas (encore) ses questions. On y parle de la ligne de TGV, du corridor méditerranéen qui n’existe toujours pas, mais on n’y parle pas du tout des problématiques transfrontalières. Il existe bien quelques lignes de bus transfrontalières, un hôpital transfrontalier à Puigcerdà, ce dont nous nous réjouissons, mais le chemin reste encore long, d’autant que les Baléares souffrent aussi de cet isolement maritime et transfrontalier.
LT : Quand vous évoquez tous ces défis, ce temps long de la coopération, ces barrières, cette réticence des Etats à déléguer les compétences, on pourrait comparer au Rhin supérieur qui est considéré par d’aucuns comme une région pionnière dans la coopération transfrontalière en France et en Europe. Pouvez-vous identifier des pistes d’échanges de bonnes pratiques entre votre contexte et celui du Rhin supérieur ?
XBS : Je connais bien cette région, pour avoir vécu à Strasbourg et travaillé dans la coopération territoriale entre la France, l’Allemagne et la Suisse. Pour reprendre une expression politique américaine, « j’ai un rêve », celui de voir la Méditerranée jouer le même rôle que le Rhin qui fait office de pont plutôt que d’obstacle. Pour les Pyrénées, c’est un peu plus compliqué.
Cela signifie donc plus d’échanges entre les collectivités, plus d’outils et de connexions, à l’image du tramway qui relie Strasbourg à Kehl. On pourrait imaginer dans l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée un bateau qui passe la frontière, ou bien un TER qui traverse un « pont de l’amitié ». On pourrait aussi imaginer plus de coopération universitaire, à l’image d’Eucor – le Campus européen.
Le Rhin supérieur peut aussi jouer la carte de l’histoire. Le traité de l’Elysée a fêté ses soixante ans en 2023, l’accord d’amitié franco-espagnol vient d’être signé. Nous avons donc soixante ans de retard sur la coopération bilatérale. Il nous faut donc « copier » l’accord franco-allemand, le mettre au niveau des régions et d’autres collectivités, comme les départements et les villes.
LT : Vous l’avez rappelé plus haut, l’objectif à la création de l’Eurorégion était de soutenir les flux de mobilité étudiante. En raison de la distance importante entre les centres universitaires occitans et catalans, cette mobilité étudiante se développe difficilement. Voyez-vous d’autres raisons, culturelles, administratives ou logistiques, qui freinent la constitution de réseaux universitaires à l’heure de la massification de l’enseignement supérieur en Europe et du programme Erasmus+ ?
XBS : Je vois plusieurs blocages. Le premier est la non-reconnaissance des doubles diplômes par les Etats. Les coopérations persistent dans des liens historiques entre laboratoires, des échanges de bonnes pratiques ou bien des échanges temporaires d’étudiants, de doctorants ou d’enseignants. Cela reste toutefois assez limité, et pas plus qu’entre Toulouse et Berlin, par exemple. Il existe néanmoins des cas particuliers, comme Montpellier et Barcelone, ou Perpignan et Gérone.
Ensuite, l’Eurocampus Pyrénées-Méditerranée qu’on aurait aimé créer sur le modèle d’Eucor – le Campus européen, n’a jamais vu le jour (l’initiative a été lancée en 2009, mais reste très limitée dans ses moyens et sa communication, ndlr). Il nous manque des fonds et la volonté politique pour atteindre la situation des cinq universités du Rhin supérieur. Pourtant, nous avons 600 000 chercheurs et étudiants dans l’Eurorégion, des chiffres plus élevés que dans Rhin supérieur (Eucor compte près de 220 000 étudiants, ndlr), mais ce potentiel est très peu exploité.
Il faut aussi mentionner l’initiative des Universités européennes. Chez nous, la stratégie des universités consiste plus à créer des coopérations transnationales et européennes plutôt que ces coopérations eurorégionales.
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