L’invasion de l’Ukraine lancée le 24 février dernier par Vladimir Poutine a semblé réveiller le processus d’élargissement de l’Union européenne (UE). Ainsi, la France, pourtant réticente depuis de nombreuses années à l’adhésion de nouveaux pays, a désormais une position plus ouverte sur la question. Il faut dire que la réalité géopolitique semble imposer de penser un avenir européen pour des pays qui attendent dans l’antichambre de l’UE depuis des années sans voir d’avancées notables de leurs dossiers. Les pays des Balkans occidentaux sont ici les premiers concernés, et l’on comprend de ce fait leur amertume à voir le peu de temps qu’il aura fallu à l’Ukraine pour convaincre les Européens de lui donner un statut de candidat, eu égard au symbole que cette décision revêtait.
Les Balkans occidentaux : une région stratégique
Pourtant, l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux enverrait un puissant message aux autres nations : l’affirmation d’une Europe puissance, enfin dotée de la boussole stratégique tant voulue par la Commission européenne. En effet, permettre à ces pays d’entrer dans la famille européenne, c’est les enlever des griffes du soft power de puissances concurrentes de l’UE, Russie en tête. Vladimir Poutine ne cesse, de notoriété publique, d’attiser les tensions dans la région, notamment en soutenant les nationalistes pro-serbes en Bosnie. Cela lui imposerait de plus une nouvelle défaite, lui qui désirait voir les Européens divisés avec son offensive, et qui n’a pu que constater une remarquable unité. Pékin n’est pas en reste et a associé nombre de pays des Balkans à son projet faramineux de Nouvelles Routes de la Soie. Derrière la générosité affichée de la Chine se cache en réalité un cheval de Troie fort dangereux pour les Européens, en plus d’un leurre d’aide pour les Balkans qui deviennent par la même occasion dépendants de l’argent chinois via des endettements considérables. L’exemple du Monténégro est à ce propos éloquent, avec un emprunt de 944 millions de dollars que Podgorica ne peut rembourser. S’ajoute à ces deux pays autocratiques un troisième, avec les intérêts de la Turquie d’Erdogan, qui ne se trouve pas en reste pour favoriser son agenda dans la région, au détriment de la cohésion précaire de toutes les confessions présentes. La dimension géopolitique d’affirmation de puissance se retrouve également aux frontières de ces pays, notamment sur le dossier de la migration. Les Balkans sont une route clef – 45% des 330 000 entrées irrégulières de 2022 y ont transitées. En outre, d’un point de vue historique, l’adhésion de ces pays marquerait une étape supplémentaire dans la réconciliation du continent, alors que la région reste encore la source de vives tensions. Enfin, cette étape servirait la cohésion géographique européenne, aujourd’hui coupée entre la Croatie et la Grèce par une zone balkanique occidentale enclavée.
Vers une « Commission géopolitique »
Pour toutes ces raisons, accélérer le processus d’adhésion des Balkans occidentaux à l’UE est indispensable et répondrait parfaitement à l’objectif fixé par Ursula Von der Leyen de construire une “Commission géopolitique”, objectif dont l’importance est prouvée chaque jour un peu plus par l’instabilité grandissante du monde. Toutefois, la nécessité de répondre à l’appel européen des Balkans occidentaux doit se faire de concert avec une réforme du fonctionnement des instances décisionnelles de l’UE. En effet, dans une Europe à plus de trente membres, la règle du droit de veto et de l’unanimité dans certains domaines n’est plus applicable, sauf à se satisfaire d’une paralysie des institutions. Ce chantier est évidemment titanesque puisqu’il va directement à l’encontre de l’idée de souveraineté nationale au profit d’une souveraineté pleinement européenne, soit un saut vers une Europe plus fédérale. Cela ne veut pas dire pour autant que le lyrisme du discours de Victor Hugo de 1849 est de mise pour aujourd’hui. Il apparaît à l’heure actuelle - on peut le regretter mais la lucidité s’impose – que les citoyens des Etats membres de l’UE ne désirent pas une structure fédérale. C’est pourquoi il faut que les dirigeants européens trouvent un compromis entre ce droit de veto paralysateur et son absence qui pourrait donner une impression de diktat européen, facilement récupérable par les démagogues en tout genre. L’exercice est pour le moins périlleux mais peut-être pas insoluble. Est-il envisageable de remplacer l’unanimité par une décision à la majorité des 3/5 ? des 2/3 ? des 4/5 ? Réduire le droit de veto à une résolution par an permettrait-il une meilleure efficacité ? Le lancement d’une consultation des citoyens européens sur la question est-il une option ? Ce ne sont que des pistes mais la recherche de solutions doit commencer dès maintenant !
Décentrer le pouvoir européen
Aussi, cette possible entrée de plusieurs pays dans l’UE doit s’accompagner d’une réflexion préalable quant à un mécanisme pour protéger l’état de droit de ces pays, une fois leurs admissions actées et ce afin d’empêcher des situations insupportable où la liberté de la presse, par exemple, est de plus en plus limitée au centre et à l’est du continent. Un dernier point semble important, bien que sans doute désagréable pour les dirigeants des pays fondateurs : la nécessité de décentrer le pouvoir européen. En effet, la nouvelle tournure prise par la guerre en Ukraine - débutée dès 2014 ne l’oublions pas – montre d’une certaine façon le besoin de se tourner davantage vers les membres centre et est-européens de l’UE. Si l’état de droit de certains pays pose grandement question, les laisser à l’écart risque de créer du ressentiment dans ces populations où persistent des courants très pro-européens – les manifestations massives en faveur de l’UE à Varsovie en octobre 2021 l’ont bien montré. Dès lors, constater que parmi les dirigeants des principales institutions européennes, seule la Maltaise Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, provient d’un pays non fondateur prouve la nécessité d’élargir le cercle des pouvoirs aux pays nouvellement venus. Si ces défis sont relevés, l’UE sera sur la bonne voie pour assumer un statut de puissance sur la scène internationale, statut qui doit par ailleurs montrer une indépendance vis-à-vis des Etats-Unis qui n’ont à l’évidence pas les mêmes intérêts que l’UE sur nombre de sujets (politiques industrielles et climatiques notamment).
Pour toutes ces raisons, l’intégration des Balkans occidentaux, souhaitable dans un avenir très proche, ce qui ne veut pas dire précipité et sans garanties, doit être l’occasion pour l’UE d’une refonte forte de ses instances décisionnelles. L’UE doit par ailleurs laisser plus de place au Parlement européen, seule instance dont les membres sont élus au suffrage universel direct, et rendre plus accessible le droit de pétition aujourd’hui trop méconnu, via une procédure simplifiée. Pour que la démocratie européenne soit pleinement investie par les citoyens qui la composent, et relève les grands défis de notre époque.
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