30 ans après la tenue de la première Europride à Londres et pour la première fois depuis sa création, l’événement pan-européen était prévu dans la capitale serbe. La tenue d’une myriade d’événements sportifs et culturels prévue sur plusieurs jours a cependant fait grincer des dents, dans un pays où le mariage homosexuel n’est pas légalisé, et où l’homophobie est latente. À tel point que le gouvernement a essayé mardi 13 septembre d’interdire la grande marche des fiertés, pourtant point d’orgue de l’événement.
Une occasion ratée pour la Serbie de se montrer européano-friendly
La tenue de l’Europride à Belgrade constitue un symbole fort. Tout d’abord parce qu’il s’agit de la première fois qu’un pays des Balkans accueille ce grand évènement célébrant l’égalité des identités sexuelles. Dans une région où la communauté LGBTQI+ subit encore de fortes discriminations, la tenue de la marche dans la capitale Serbe aurait exercé une forte pression sur le gouvernement serbe et ses voisins concernant l’acquisition de nouveaux droits protégeant les minorités sexuelles. Il s’agit donc d’une occasion manquée pour Belgrade de se montrer prête à intégrer progressivement les valeurs de l’Union européenne, la Serbie étant candidate à son adhésion depuis 2012.
Plusieurs raisons à cette interdiction ont été évoquées par le gouvernement serbe, notamment les tensions avec le Kosovo et la crise énergétique et alimentaire. Celles-ci ne permettraient pas, selon le Président Aleksandar Vucic, de réunir les conditions optimales pour la tenue de la marche. Sa décision a été fortement critiquée par les organisateurs de l’événement, qui ne croient pas aux raisons formulées par le gouvernement. Dans leur communiqué, ils invoquent la liberté d’association et l’interdiction des discriminations inscrites dans les articles 11, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon eux, la charte ne donnerait pas le droit au gouvernement d’interdire un tel évènement. Face à la pression internationale, le gouvernement d’Aleksandar Vučić a finalement accepté de transformer la marche en une “escorte vers un concert”... Une tentative de solution à mi-chemin qui n’a convaincu personne.
Le rétropédalage du gouvernement serbe a certes calmé l’indignation, mais n’a pas réussi à faire oublier que la Serbie reste en décalage avec l’Europe occidentale sur les droits des personnes LGBTQI+. Car sans l’intervention de Bruxelles, la marche n’aurait peut-être pas pu avoir lieu.
L’interdiction de la marche sur fond d’homophobie systémique
Fin août dernier, un mouvement important mené par l’Église orthodoxe avait condamné la tenue de l’Europride qui “détruit et profane les valeurs de la Serbie”. Des milliers de serbes orthodoxes avaient manifesté dans les rues de la capitale, chantant et priant leur opposition à l’événement et à "l’idéologie LGBT”. Le patriarche de l’Église orthodoxe serbe, proche du Président serbe, avait d’ailleurs félicité le mouvement. Le 11 septembre, une deuxième marche contre la tenue de l’événement était organisée à Belgrade. Le gouvernement avait fini par céder deux jours plus tard, interdisant la tenue de la marche des fiertés pour des “raisons de sécurités”, craignant que manifestation conduise à des affrontements.
Un air de déjà-vu pour la Serbie, qui avait déjà été le théâtre de violences homophobes lors des deux premières marches des fiertés en 2001 et 2010, durant lesquelles des groupes d’extrême droite ouvertement “anti-gay” s’en étaient pris aux forces de l’ordre. Une décennie plus tard, le changement est imperceptible, et ce malgré la reconduction de la Première ministre serbe Ana Brnabic, première personnalité politique ouvertement homosexuelle en Europe du sud-est.
L’Union européenne tente de faire pression sur Belgrade
Ce n’est pas la première fois que Belgrade marche ouvertement à contre-courant de Bruxelles, et ce malgré sa volonté de rejoindre l’Union européenne. La Serbie est le seul pays en Europe, aux côtés de la Biélorussie, à ne pas avoir imposé de sanctions contre le gouvernement russe dans le cadre de la guerre menée en Ukraine. Ses prises de position vis-à-vis du Kosovo divergent aussi complètement de la vision européenne puisqu’elle ne reconnaît toujours pas la déclaration d’indépendance kosovarde prononcée en 2008. Avec l’interdiction de la marche, le gouvernement serbe marque une nouvelle prise de position à l’encontre des droits LGBTQI+ promus par la Commission européenne, et plus largement par l’Union.
L’Union européenne a ainsi tenté de faire pression sur le gouvernement d’Aleksandar Vučić. La Commissaire européenne à l’Égalité Helena Dalli, mais également plusieurs ministres, députés et ambassadeurs européens étaient présents à l’Europride, et ont appelé à autoriser la marche, rappelant l’importance du respect de la Convention européenne des droits de l’homme. L’eurodéputée Terry Reintke, coprésidente de LGBTI Intergroup, a ainsi déclaré : “L’Europride a lieu dans un contexte où la démocratie, l’État de droit, les sociétés libérales et la liberté dans nos sociétés sont attaqués”. Roberta Metsola, Présidente du Parlement européen, n’était pas sur place, mais s’est exprimée sur Twitter : “We still need Pride. Too many live in fear. Too much discrimination exists. In Europe you should live as you wish to live, love who you wish to love, be who you wish to be”.
Un semblant de pride aura finalement lieu, transformée en une “marche vers un concert” et encadrée par 5000 policiers… Les droits LGBTQI+ en Serbie ont encore un long chemin devant eux.
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