Raïssi venait de rencontrer son homologue azerbaïdjanais et se rendait à Tabriz avec sa délégation lorsque l’hélicoptère dans lequel il se trouvait a été contraint à un « atterrissage brutal », qui a finalement abouti à un crash fatal. Une enquête a été ouverte pour clarifier les circonstances dans lesquelles le président Raïssi a perdu la vie. Au même moment, l’Iran entre dans une phase extrêmement délicate, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Figure controversée et contestée, Raïssi laisse son pays dans l’incertitude quant à sa succession et celle de l’ayatollah Khamenei, dont il était l’héritier le plus probable. Alors que le gouvernement cherche à assurer la continuité du régime, de nombreux Iraniens espèrent un tournant historique, dans un contexte externe marqué par de fortes tensions avec Israël dans le cadre du conflit avec la Palestine.
Raïssi : populaire et révolutionnaire ou répressif et meurtrier ?
Président depuis 2021, Ebrahim Raïssi était considéré comme un proche allié du Guide suprême Ali Khamenei, qui dirige la République islamique depuis 1989, et son héritier potentiel en vue d’une succession imminente. Il était très apprécié par les membres du régime et par les médias de la République Islamique, qui le qualifiaient de « président populaire et révolutionnaire », ainsi que de « travailleur infatigable ». Pourtant, sa personnalité était très controversée. Avant d’entrer en politique, il était magistrat et avait gravi les échelons de l’autorité judiciaire jusqu’à diriger la Cour suprême iranienne. Contesté et objet de critiques, Raïssi aurait joué un rôle au sein du « Comité de la mort » qui, en 1988, a condamné à mort entre 8 000 et 30 000 prisonniers politiques. Candidat aux présidentielles une première fois en 2017, il avait perdu contre Hassan Rouhani, qui avait conclu l’accord nucléaire JCPOA de 2015.
En 2021, Raïssi est le gagnant, et seul candidat, de l’élection présidentielle. Au cours des trois années de son mandat, l’Iran a tenté de faire face aux puissantes sanctions américaines et de redresser une économie en plein effondrement. Cependant, ses promesses électorales de construire un million de logements sociaux, de faire baisser l’inflation et de réduire le chômage n’ont pas été tenues : l’inflation était galopante, le taux de chômage en hausse et la monnaie iranienne dévaluée. Les relations avec Washington ont été en dents de scie : l’administration Raïssi a mené des pourparlers avec les États-Unis tout en continuant d’enrichir son programme nucléaire. Raïssi a également renforcé les liens de son pays avec la Chine et la Russie dans le cadre de sa politique « Look to the East ». Sur le plan des droits de l’Homme, son bilan est sombre avec 600 manifestants tués depuis la mort de Mahsa Amini en septembre 2022, selon Amnesty International. La mort de la jeune fille, tuée parce qu’elle ne portait pas correctement le hijab, provoqua une vague révolutionnaire en Iran, et a attiré l’attention et la solidarité du monde entier, ainsi que la condamnation contre le régime ultra-répressif de Téhéran. Depuis 2021, celui-ci avait effectivement durci les soi-disant lois morales et leurs applications, exigeant l’intervention de la police des mœurs chaque fois qu’elles n’étaient pas respectées. A cause de cela, Raïssi et son gouvernement ont été accusés de graves violations des droits humains, y compris de viols en prison et de tortures, ainsi que de meurtres.
Un crash probablement imputable aux technologies obsolètes de l’Iran
Le crash de l’hélicoptère s’est déroulée dans l’après-midi du dimanche 19 mai 2024, lorsque le Président iranien Ebrahim Raïssi, le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian et d’autres officiels du gouvernement iranien revenaient de Qiz Qalasi, sur les rives de la rivière Aras. Là-bas, Raïssi avait inauguré un barrage avec le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev. L’hélicoptère s’est écrasé dans la forêt de Dizmar, à la frontière entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, apparemment en raison du brouillard dense et des mauvaises conditions météorologiques.
Cependant, les causes exactes de l’accident restent encore floues. Certaines reconstitutions pointent du doigt les techniques de construction obsolètes et les systèmes de sécurité inadéquats des hélicoptères iraniens, particulièrement en cas de mauvais temps. Les premières analyses suggèrent que l’appareil a percuté une montagne à cause des conditions météorologiques déplorables. Toutefois, l’agence Irna (Agence de presse de la République islamique) a mentionné une « panne technique » et le ministre turc des Transports, Abdulkadir Uraloglu, a déclaré que « le système de signalisation était probablement défectueux ». Selon le gouvernement iranien, l’embargo imposé à l’Iran par l’Occident, empêchant l’acquisition de technologies avancées et un entraînement adéquat des équipages, serait également en cause. L’ancien ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, dénonce notamment les sanctions américaines, affirmant qu’elles causent une pénurie de pièces de rechange. Cela aurait ainsi forcé les avions à voler sans contrôles de sécurité adéquats. Cette accusation a cependant été contestée par Washington, considérée comme « totalement infondée ». Néanmoins, le chef d’état-major de l’Iran, Mohammad Bagheri, a ordonné à une commission de haut rang de lancer une enquête approfondie sur les causes de l’accident. La Russie est intervenue sur le sujet, se déclarant prête à fournir une assistance à l’Iran dans le cadre de cette enquête.
Le destin de l’Iran
L’accident survient quelques semaines après une escalade préoccupante entre la république islamique et Israël et quelques jours après des pourparlers informels entre Washington et Téhéran visant précisément à éviter une escalade régionale.
Après le bombardement de l’ambassade iranienne à Damas le 1er avril, qui a causé la mort de 16 personnes, Téhéran avait répondu le 13 avril en lançant des missiles et des drones directement sur le territoire israélien. Pendant des années, les deux pays se sont affrontés par des attaques non revendiquées ou par des proxys régionaux, mais la tension a augmenté après l’attaque du Hamas le 7 octobre et l’invasion de la bande de Gaza par Israël qui en a suivi. Ces derniers mois, les proxys iraniens ont attaqué des cibles israéliennes et occidentales en représailles aux opérations dans la bande de Gaza. Israël a riposté de nombreuses fois en attaquant à de multiples reprises des positions et des commandants des Pasdaran, une organisation paramilitaire dépendant directement du chef de l’État iranien.
La période est également complexe pour la politique intérieure iranienne. En effet, en mars dernier, les élections parlementaires ont enregistré le plus faible taux de participation électorale depuis la fondation de la République islamique. Cela a été suivi d’un second tour, au cours duquel seulement 10% des électeurs des grandes villes ont participé. Malgré les tentatives d’exclusion des candidats qui n’étaient pas proches de l’establishment, la compétition électorale a mis en évidence un conflit politique de plus en plus intense entre conservateurs et radicaux au sein de la direction iranienne, qui a fortement entravé l’agenda politique de Raïssi ces dernières années. La mort de Raïssi survient donc à un moment de fortes tensions dialectiques et pourrait soit renforcer la cohésion au sein du gouvernement en cette période de crise pour la République islamique, soit, au contraire, aggraver plus encore les tensions avec des accusations et des demandes de clarification sur ce qui s’est passé. L’ayatollah Ali Khamenei, dont Raïssi était le successeur le plus probable, a assuré qu’il n’y aurait pas de problèmes dans la gestion du pays. En effet, aux yeux de la plupart des Iraniens, ce sont le Guide suprême et les Gardiens de la Révolution islamique (IRGC) qui prennent les principales décisions politiques et étrangères. Cependant, la mort de Raïssi complique le défi déjà existant pour la succession à la tête du pays. Bien qu’il y ait d’autres candidats potentiels, aucun ne garantissaient autant que Raïssi une continuité dans la droite ligne des actions de Khamenei au cours de ces 35 dernières années.
Après la mort de Raïssi, l’ayatollah Khamenei a proclamé cinq jours de deuil national. Il a de plus nommé le premier vice-président, Mohammad Mokhber, président par intérim. Comme prévu par l’article 131 de la constitution iranienne, de nouvelles élections présidentielles se tiendront dans les prochains 50 jours. La date a été fixée au 28 juin, comme rapportée par l’Irna. Malgré le fait que certains citoyens iraniens espèrent un changement dans le paysage politique du pays, la mort de Raïssi ne provoquera probablement pas de secousses dans la politique étrangère iranienne, qui reste entre les mains du Guide suprême Ali Khamenei. En effet, l’objectif principal de la République islamique semble être de garantir la survie du régime à tout prix.
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