L’UE et le Venezuela : une relation sous haute-tension

, par Samuel Touron

L'UE et le Venezuela : une relation sous haute-tension
Manifestation dans le quartier d’Altamira à Caracas. (Flickr).

3,2 millions. C’est le nombre d’enfants en situation de très grande précarité, c’est-à-dire ne mangeant pas à leur faim, n’ayant pas accès à des soins minimaux ou à une éducation de base au Venezuela d’après l’UNICEF. Depuis 2016, le pays s’enfonce dans une crise économique, sociale et politique totale. Alors que, fin février, l’Union européenne a pris des sanctions supplémentaires contre le régime de Nicolas Maduro, entraînant le renvoi d’Isabel Brilhante Pedrosa ambassadrice de l’UE au Venezuela, une question se pose : jusqu’où Nicolas Maduro et l’UE sont-ils prêts à aller pour sortir vainqueurs de la pire crise que n’ait jamais connu ce « petit » pays d’Amérique du sud ?

Une humiliation. C’est le terme adapté pour décrire l’affront fait à l’UE au Venezuela. Isabel Brilhante Pedrosa, ambassadrice de l’UE dans le pays, a été déclarée « persona non grata ». Les autorités vénézuéliennes lui ont laissé 72 heures pour quitter le territoire en réaction aux nouvelles sanctions de l’Union à l’égard du régime de Nicolas Maduro. Les images dévoilées par les autorités vénézuéliennes sur Twitter sont explicites et témoignent d’une communication politique soignée. On y découvre une ambassadrice de l’Union embêtée, écoutant, passive, les jambes croisées et son sac à la main, prête à partir, les ordres des deux membres du gouvernement vénézuélien qui lui font la leçon sous le regard approbateur de Simon Bolivar, El Libertador, véritable héros national du Venezuela. Rarement mise en scène plus humiliante n’aura été faite pour un diplomate européen. Mais alors que s’est-il passé entre le Venezuela et l’Union pour en arriver là ?

De l’indépendance à la rupture avec l’Occident

Ancienne colonie espagnole, le Venezuela a conservé, depuis son indépendance, le 5 juillet 1811, des liens relativement étroits avec l’Europe. Autrefois baptisée Nouvelle-Grenade par l’empire espagnol, devenue Grande-Colombie à l’indépendance, puis à partir de 1830, République bolivarienne du Venezuela. Le nom du pays signifierait « Petite Venise », en référence aux habitations des populations amérindiennes, sur pilotis, le long du golfe de Maracaibo et évoquant vaguement la Sérénissime. À la suite d’une guerre d’indépendance d’une violence rare et qui dura près de treize ans, le Venezuela voyait ses liens avec le Vieux Continent se distendre durablement. Il resta neutre durant la Première Guerre mondiale.

Dans les années 1920, le Venezuela débute l’exploitation de ses réserves pétrolières, de très loin les plus importantes de la planète. Au cours des années 1950, l’économie explose. Le Venezuela est alors le 4ème pays le plus riche au monde en termes de PIB/habitant. D’immenses projets sont lancés et achevés, comme la construction du deuxième pont le plus long d’Amérique latine réalisé par l’architecte italien, Riccardo Morandi. La centrale hydroélectrique de Guri, quatrième plus grand barrage au monde est également achevée, de même que les tours jumelles de Parque Central à Caracas - les plus grandes d’Amérique latine jusqu’en 2003. Jusque dans les années 1980, le pays est le plus riche d’Amérique latine et obtient les meilleures notes possibles auprès des agences de notation américaines.

À la fin des années 1990, les réformes néolibérales du président Carlos Andrés Pérez et du Fonds Monétaire International, mal-réalisées et infructueuses, ruinent le pays et entraînent une inflation record. C’est la ruine des classes populaires. Révoltés, les habitants s’organisent pour demander de meilleures conditions de vie. Le gouvernement envoie l’armée qui tire pendant plusieurs jours et abat plus de 3.000 personnes qui ne demandaient rien de plus que des conditions de vie décentes. C’est le début d’une rupture profonde entre l’Occident et le Venezuela, le premier étant tenu responsable du drame économique et humain dans lequel se retrouve le pays.

En décembre 1998, Hugo Chavez est élu président de la République. Dans un pays où le socialisme et le communisme furent interdits et durement réprimés pendant la Guerre Froide ; c’est un tremblement de terre. Les entreprises pétrolières états-uniennes quittent le pays, le secteur pétrolier vénézuélien est nationalisé, les inégalités diminuent, la pauvreté également mais le pays s’endette fortement, notamment auprès de la Chine. Devenant ultra-dépendant de la rente pétrolière, le tissu industriel du pays périclite et la criminalité augmente pour devenir l’une des plus élevées du continent. À sa mort, Chavez offre la suite de son mandat à son ministre des Affaires étrangères, Nicolas Maduro. En 2016, le parlement vénézuélien lance une procédure de destitution à l’égard du président. Ce dernier s’y oppose, déclenchant une quasi guerre civile, qui s’éternise depuis entre chavistes et anti-chavistes. Les autorités policières et militaires restées fidèles à Nicolas Maduro répriment dans la violence toute manifestation. C’est dans ce contexte explosif que s’inscrivent les vagues de sanctions européennes.

Des sanctions européennes jugées illégales par Caracas

En 2017, les Vingt-Huit s’accordent sur une série de sanctions contre le régime en place et instaurent un embargo sur les livraisons d’armes et de matériel pouvant servir à des activités de surveillance. Un cadre juridique est établi afin de placer des membres du régime ou des entités sur une « liste noire » entraînant une interdiction de visa et le gel des avoirs dans l’UE. De nouvelles sanctions ont été prises le 21 février, portant la liste de personnalités et entités sur la « liste noire » à 55. L’Union reproche au régime de Maduro d’avoir tenu des élections législatives irrégulières en décembre 2020 pour s’octroyer la totalité du pouvoir. La coalition gouvernementale, le Grand pôle patriotique, avait obtenu 67,7% des voix permettant au parti du président d’obtenir 256 sièges sur 277. Juan Guaido, le principal opposant à Nicolas Maduro avait appelé les électeurs « à rester chez eux », un appel largement suivi comme en témoigne l’abstention qui s’élève à 69% des électeurs.

Ces nouvelles sanctions ont été jugées illégales par Caracas qui considère ces élections comme légitimes et valables. Les sanctions prises par l’Union mais également par les États-Unis sont ainsi vues par le gouvernement et une partie de la population comme une intrusion étrangère inadmissible dans la vie politique vénézuélienne, et donc comme une atteinte à la souveraineté nationale. Or, l’indépendance du pays fut acquise au prix d’une guerre longue et terrible, tout semblant d’intrusion étrangère est immédiatement et très largement mal-vécu, que cela apparaisse comme justifié ou non. Dans un pays plus que jamais divisé, la reconnaissance de Juan Guaido comme président légitime par les États-Unis, l’UE, la France, l’Allemagne et l’Espagne a encore davantage tendu l’opinion publique. Nicolas Maduro dispose, lui, du soutien d’alliés de taille comme la Russie, la Turquie et Cuba. L’ONU s’est pour sa part inquiétée des sanctions économiques mises en place par l’UE et les États-Unis craignant qu’elles aggravent encore plus la situation d’un peuple vénézuélien aujourd’hui très précaire.

Jusqu’en 2015 pourtant, les relations entre l’UE et le Venezuela étaient plutôt cordiales. Les deux entités avaient l’habitude d’échanger au sein des sommets UE-CELAC (Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes). Près de 2.500 entreprises européennes possédaient des actifs au Venezuela, et représentaient 1/5ème des IDE du pays. Cinquième partenaire économique du Venezuela, l’UE était loin d’être un acteur commercial marginal, faisant notamment vivre les secteurs pétroliers et miniers, centraux pour l’économie vénézuélienne. La décision prise par Nicolas Maduro de renvoyer l’ambassadrice de l’UE va sans doute encore réduire des échanges commerciaux déjà très limités, laissant le Venezuela s’enfoncer dans une crise économique qui n’en finit pas.

Pays fier, autrefois plus que prospère, le Venezuela tombe, mois après mois, dans la déshérence la plus complète. La faute à des réformes monétaires ratées par le FMI, à l’accroissement des inégalités socio-économiques et aux luttes politiques entre les chavistes et leurs opposants. Le peuple vénézuélien en paye le prix : celui du sang et de la misère. La politique de sanctions économiques de l’UE gagnerait aussi à être révisée. Tirer sur l’ambulance n’est ni très honorable ni très utile, c’est même intolérable, surtout quand un enfant sur trois s’endort chaque jour avec le ventre vide. Or, si l’UE perd son humanité, que restera-t-il de nos valeurs ?

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